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Définition

Les points de contact entre l’Ancien et le Nouveau Testament désignent la manière dont les traditions vétérotestamentaires sont évoquées et réappliquées au sein du Nouveau Testament.

Résumé

Ce procédé, parfois appelé « intertextualité », n’est pas limité aux seuls écrits apostoliques : à bien des égards, l’ensemble du corpus biblique est le fruit de réinterprétations successives de matériaux littéraires plus anciens. Toutefois, la récurrence du phénomène est indéniablement plus élevée dans les vingt-sept livres du NT, ce qui suggère l’existence d’une stratégie rhétorique commune à l’ensemble de ses auteurs.

Intertextualité ?

Est-il indiqué de désigner l’étude des points de contact entre les textes du canon biblique par le terme « intertextualité » ? Cette question n’est pas sans importance, car ce label regroupait à l’origine différentes approches herméneutiques poststructuralistes développées par des intellectuels proches de la revue Tel Quel. C’est Philippe Sollers et surtout son épouse Julia Kristeva qui sont crédités de la première utilisation de ce terme dans l’ouvrage Théories d’ensemble (Seuil, 1968). Entre leurs mains, l’intertextualité sert principalement à établir – ou plutôt à déconstruire – la séquence menant à « l’émergence du sens ». Là où les herméneutiques classiques considèrent l’auteur comme le principal agent dans la définition du sens d’un texte, l’intertextualité version Kristeva innove en attribuant cette autorité au lecteur : en décidant d’associer ce qu’il lit avec n’importe quelle autre ressource qui lui serait accessible, ce dernier devient le « maître du sens » et peut alors « créer » de toutes pièces la lecture qui lui sied le mieux. Il devient légitime, par exemple, de lire le livre de Jonas à la lumière de Moby-Dick ou de Pinocchio, deux œuvres qui sont déjà le fruit d’une lecture très orientée du « petit prophète ».

Dans cet essai, notre approche prend le contre-pied de cette intertextualité postructuraliste et présuppose que l’intention de l’auteur est le principal vecteur de l’émergence du sens. Nous affirmons donc que le lecteur ne peut jamais « créer » une relation entre deux textes ; il peut simplement reconnaître le phénomène quand il a lieu.

Parler d’intention de l’auteur n’est pas anodin : comme nous allons le voir, une connexion intra-biblique peut-être intentionnelle et faire partie de la stratégie rhétorique de l’auteur, mais elle peut également être totalement fortuite. Par exemple, lorsque les Évangiles rapportent l’engagement d’Hérode de donner « jusqu’à la moitié de [son] royaume » à sa belle-fille (Marc 6.23), ils ne font pas référence à la promesse d’Assuérus à Esther (Esther 5.3, 6 ; 7.2) : il s’agit plutôt d’une expression conventionnelle pour exprimer le désir d’un roi ou d’un héritier royal d’accéder à la demande d’un être aimé. En revanche, lorsque, sous l’action de l’Esprit de Dieu, un auteur réutilise de manière consciente et intentionnelle un texte biblique antérieur, il en produit une actualisation exégétique en lien avec sa propre composition. C’est cette « exégèse inspirée » que nous cherchons à évaluer et, puisqu’il en est ainsi, nous estimons qu’il est préférable de parler d’exégèse intra-biblique plutôt que d’intertextualité.

Évaluer les points de contact entre l’Ancien et le Nouveau Testament

L’étude des connexions intra-bibliques s’est considérablement développée ces trente dernières années et de nombreux spécialistes évangéliques y consacrent désormais leur recherche. Pourtant, il n’existe aucune méthodologie qui fasse réellement l’unanimité. Certaines approches se focalisent sur des relations textuelles globales, par exemple la dépendance de l’ensemble de l’Évangile de Matthieu au livre de l’Exode, tandis que d’autres insistent sur des points de contacts plus restreints, au risque de tomber dans la « parallèlomania » (une propension à exagérer les parallèles entre deux textes).

Nous ne prétendons pas offrir ici une méthodologie exhaustive. Toutefois, une bonne appréhension des points de contact entre l’AT et le NT nécessite la maîtrise de quelques critères fondamentaux. Nous en retiendrons trois : le type de connexion, le degré de connectivité (ou intensité de la connexion), et l’intentionnalité. Un quatrième critère, la direction de l’emprunt, mérite d’être mentionné bien qu’il ne soit pas pertinent dans le cadre de cet article. Celui-ci vise à établir quel texte réutilise l’autre, ce qui peut s’avérer très utile lorsque nous ne disposons d’aucun indice quant à leurs dates de rédactions. Puisque nous avons la certitude que c’est toujours le NT qui cite l’AT, dont le canon de l’AT était établi de longue date au moment du ministère de Jésus (cf. Luc 24.44), ce critère ne nous est pas nécessaire.

Évaluer la nature de la connexion

Lorsque les auteurs inspirés du NT souhaitaient renvoyer leurs lecteurs aux traditions de l’AT, ils le faisaient en utilisant des mots, des groupes de mots, ou des motifs mémorables présents dans les textes qu’ils souhaitaient évoquer. Ces différents types de connexions peuvent être regroupés en trois catégories.

1. Correspondances lexicales

Lorsque la relation entre deux textes est établie au moyen de termes ou de locutions en commun, on parle alors de similarité lexicale. Ce type de connexion est plus complexe qu’il n’y parait de prime abord : les auteurs du NT citent souvent l’AT de manière très libre, en usant de paraphrases et de synonymes ou en produisant une interprétation qui reflète leur propre agenda théologique.

Une difficulté de ce type se trouve dans le premier chapitre de Marc, où l’évangéliste annonce citer le prophète Ésaïe (Marc 1.2-3). En réalité, il amalgame plusieurs sources : les clauses « c’est la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers » sont bien une adaptation d’Ésaïe 40.3. En revanche, la phrase d’introduction, « j’envoie devant toi mon messager pour frayer ton chemin », est tirée de Malachie 3.1. Mais ce n’est pas tout : il est également possible que l’expression « devant toi » soit tirée d’Exode 23.20, seul texte de l’AT dans lequel elle est associée à l’envoi d’un messager/ange éclaireur.

2. Correspondances syntaxiques

Une correspondance syntaxique est plus difficile à identifier, mais elle est souvent déterminante pour établir l’existence formelle d’une connexion. Le plus souvent, c’est la forme du point de contact qui la met en évidence : une séquence d’événements similaire, un même agencement des termes ou des clauses partagées, un renversement manifestement intentionnel de la source, etc.

Certaines réutilisations de l’expression « les cieux et la terre » (Genèse 1.1) peuvent être classées dans cette catégorie. À l’origine, il s’agit d’un mérisme, un procédé littéraire qui vise à décrire une seule réalité par les éléments qui la constituent (ici, l’ensemble du monde créé est décrit par ses deux extrémités). Mais cette expression est régulièrement fragmentée et distribuée dans des lignes parallèles, par exemple dans la citation du Psaume 102 en Hébreux 1.10-12. L’association des cieux et de la terre revient à de multiples reprises dans la littérature canonique sans qu’il ne soit possible d’établir s’il s’agit d’une réutilisation intentionnelle. Cependant, lorsqu’elle est fragmentée et réinterprétée de cette manière, l’intentionnalité de la connexion ne fait que peu de doute. C’est ainsi que le Psalmiste (et l’auteur de l’épître aux Hébreux) indique à ses lecteurs que le Dieu qui a créé tout ce qui existe est également celui qui y mettra fin.

3. Correspondances thématiques

Sans surprise, les thèmes communs aux deux testaments sont très nombreux. Les auteurs inspirés, conscients de contribuer à un projet plus grand que leur propre composition, veillaient à faire résonner les grands motifs de l’histoire de la rédemption. Il n’est donc pas étonnant que certains thèmes initiés dans l’AT trouvent leur prolongement, voire leur accomplissement, dans le NT.

Cependant, tous les points de contacts thématiques n’ont pas la même pertinence et certaines connexions apparentes se révèlent souvent fortuites. Ainsi, il est préférable de ne pas s’arrêter sur les motifs trop généraux (par exemple, le thème de l’amour ou celui de la colère) : pour être exploitable, une correspondance thématique doit impérativement être spécifique et significative. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de topoï, des motifs récurrents associés à une imagerie et à un langage particulier.

Le thème du « reste », par exemple, est l’objet d’un développement significatif tout au long de l’histoire de la rédemption, mais il est également protéiforme. Si l’on s’en tient à une définition générale, le reste désigne la fraction de l’humanité ou d’un peuple ayant survécu à un événement cataclysmique associé au jugement divin. Ainsi, Noé et sa famille sont les seuls qui « restent » à la suite du déluge (Genèse 7.23) et les Judéens qui reviennent d’exil sous Esdras-Néhémie sont « le reste du peuple de YHWH » (Esdras 1.4 ; 9.8, 13-15 ; Néhémie 1.2). Cependant, ce motif est régulièrement employé de manière plus spécifique. Dans la littérature prophétique, il prend une teinte eschatologique : le reste est la fraction d’Israël qui survivra au grand jour de la destruction, lorsque YHWH déchaînera sa colère. Les auteurs du NT appliquent régulièrement cette figure de style à l’Église (voir par exemple. la citation d’Ésaïe 10.22 en Romains 9.27). D’autres passages lient ce thème à celui de la fidélité d’alliance. Lors de sa confrontation dramatique avec les prophètes de Baal, Élie déclare à deux reprises qu’il est le seul qui « reste », c’est-à-dire le seul Israélite demeuré ferme dans son attachement à l’alliance mosaïque (1 Rois 18.22 ; 19.14). Mais YHWH lui répond qu’il se trompe : « je laisserai [litt. « je ferai rester »] en Israël sept mille hommes, tous ceux qui n’ont point fléchi les genoux devant Baal et dont la bouche ne l’a point baisé » (1 Rois 19.18). En conséquence, lorsque Paul évoque cet événement en Romains 11.2-4, il fait appel à un motif très spécifique et bien connu de ses lecteurs. Et pour s’assurer qu’ils seront en mesure d’identifier la source, il prend soin d’étayer cette correspondance thématique par une citation directe.

Évaluer l’intensité de la connexion

Une fois la nature de la connexion établie, il convient d’évaluer son degré de connectivité. Ici encore, nous en resterons à une méthodologie minimaliste en limitant à trois le nombre de catégories d’analyse.

1. Points de contact fortuits

Rappelons en premier lieu que de nombreuses similarités textuelles sont en réalité purement fortuites et ne procèdent pas d’une stratégie littéraire intentionnelle de l’auteur. Nous l’avons vu, les correspondances thématiques trop générales peuvent être trompeuses. On prendra garde également aux expressions idiomatiques, aux formulations conventionnelles ou diplomatiques, aux épigrammes, ou encore aux locutions proverbiales populaires (voir l’exemple de la promesse d’Hérode à la fille d’Hérodiade mentionné plus haut).

2. Connexions à fort potentiel d’intentionnalité

Il s’agit de la catégorie la plus subjective, celle dans laquelle l’évaluation de l’intention de l’auteur nécessite maintes précautions. Le principe d’analyse peut être résumé de la manière suivante : plus il y a de points de contacts entre deux textes, plus le potentiel d’intentionnalité est élevé.

À titre d’exemple, G.K. Beale suggère que Jean emprunte l’expression « ce qui doit arriver ensuite » (Apocalypse 1.19) à Daniel 2, où une clause semblable est répétée à plusieurs reprises (cf. Daniel 2.28, 29, 45). Non seulement les deux formes lexicales sont très proches, mais les contextes respectifs de ces deux passages contiennent d’autres points de contact significatifs. Beale conclut que cette connexion est avérée, intentionnelle, et que son identification est essentielle à la bonne compréhension de l’ensemble de l’Apocalypse.[1] 

3. Connexions formellement intentionnelles

Cette catégorie regroupe les citations verbatim et les allusions appuyées à des textes de l’AT immédiatement identifiables par les premiers chrétiens. Pour signaler leur source, les auteurs du NT usent principalement de deux « marqueurs » : le marqueur d’attribution et le marqueur textuel.

Le premier consiste le plus souvent en une formule d’introduction de la source, un procédé courant dans le Nouveau Testament (cf. Matthieut 13.35 ; 15.7 ; etc.). Cependant, là encore, la circonspection est de rigueur : il arrive parfois qu’un marqueur d’attribution unique renvoie vers une accumulation de sources, comme dans l’exemple de Marc 1.2-3 mentionné plus haut. Il est également possible que la formule d’introduction soit ambiguë ou volontairement générale : par exemple, en 1 Corinthiens 14.21, Paul affirme tirer sa citation de « la loi », un terme qui évoque généralement le Pentateuque. Pourtant, c’est Ésaïe 28.11-12 qu’il évoque, ce qui suggère que, dans ce cas précis, Paul qualifie l’ensemble de l’AT de « loi ».

Le marqueur textuel fonctionne de la même manière, à ceci près qu’il ne nomme pas explicitement la source. Il consiste en un extrait du texte cité, le plus souvent une clause ou une combinaison de clauses mémorables et immédiatement identifiables par les lecteurs. Un tel marqueur se trouve à la toute fin de l’épître de Jacques : « Mes frères, si quelqu’un parmi vous s’est égaré loin de la vérité et qu’un autre l’y ramène, qu’il sache que celui qui ramène un pécheur de la voie où il s’était égaré sauvera son âme de la mort et couvrira une multitude de péchés » (Jacques 5.19-20).  La dernière clause (en italique) est une citation de Proverbes 10.12, « La haine excite les querelles, mais l’amour couvre une multitude de fautes ». Pour les premiers chrétiens, il s’agissait d’un texte de choix qu’ils associaient au thème de l’amour fraternel. Il n’est donc pas étonnant de le voir à nouveau mentionné en 1 Pierre 4.8 et dans la littérature chrétienne extra-canonique (voir par ex. 1 Clément 49.5). Cependant, Jacques ne parle pas directement d’amour fraternel dans sa conclusion ; il insiste davantage sur les thèmes de la correction de l’erreur doctrinale et de la confession mutuelle des péchés. En terminant par ce texte bien connu, il attend de ses lecteurs qu’ils fassent le lien entre le contexte original de la source, qui oppose la haine à l’amour et les querelles au pardon, et celui de son épître. Or, la question des querelles intestines alimentées par un « zèle amer » revient à plusieurs reprises sa lettre (Jacques 1.19-20 ; 1.26 ; 2.1-13 ; 3.13-18 ; 4.1, 11-12 ; 5.9). Et lorsqu’il aborde le concept d’amour fraternel, l’idée de correction mutuelle est toujours sous-jacente (Jacques 2.8-11). En usant de Proverbes 10.12 comme d’un marqueur textuel, Jacques indique à ses lecteurs que « l’amour qui couvre une multitude de faute » ne se limite pas au pardon des offenses : il inclut également la réprimande et la correction, y compris en matière d’erreur doctrinale.

Évaluer l’intentionnalité d’une connexion

C’est donc l’intentionnalité qui est décisive pour établir l’intensité (ou le degré de connectivité) d’une connexion intra-biblique. Mais est-il seulement possible de l’évaluer ? Aucun spécialiste ne peut prétendre s’introduire dans l’esprit d’un auteur et retranscrire ses intentions !

Quelques indices peuvent toutefois nous être utiles. Tout d’abord, nous l’avons vu, une accumulation de points de contacts entre deux textes indique généralement que la connexion fait partie de la stratégie rhétorique de l’auteur. Considérons Jacques 5.20 [Proverbes 10.12], que nous venons d’évoquer : ici, le marqueur textuel est caractérisé par une succession de termes en commun, mais également par un ensemble de similarités thématiques. Autre indice : la connaissance contextuelle de la source. Restons sur l’exemple de Jacques 5.20 : nous avons vu que l’auteur omet d’inclure la référence à l’amour dans sa citation de Proverbes 10.12. Or, bien que ce motif soit implicite dans sa conclusion, il n’en est pas moins central à son argument. Plus important encore, il est établi que ce texte était bien connu et associé au motif de l’amour fraternel dans la littérature chrétienne primitive. Le fait que Jacques s’attende à ce que ses lecteurs identifient ce motif implicite est caractéristique d’une allusion intentionnelle.

D’autres indices, plus techniques, sont à la disposition des interprètes. Pour en savoir davantage, on consultera avec profit les ressources ci-dessous !

Notes de pied de page

1G. K. Beale, John’s Use of the Old Testament in Revelation, Sheffield, Sheffield Academic Press, 1998, pp. 165-191.

Lectures complémentaires


Cet essai fait partie de la série « Concise Theology ». Tous les points de vue exprimés dans cet essai sont ceux de l’auteur. Cet essai est gratuitement disponible sous licence Creative Commons avec Attribution Partage dans les mêmes conditions (CC BY-SA 4.0), ce qui permet aux utilisateurs de le partager sur d’autres supports/formats et d’en adapter/traduire le contenu à condition que figurent un lien d’attribution, les indications de changements et que la même licence Creative Commons s’applique à ce contenu. Si vous souhaitez traduire notre contenu ou rejoindre notre communauté de traducteurs, n’hésitez pas à nous contacter.