Un nombre important de chrétiens recourent à des médicaments psychoactifs (pour une durée limitée ou alors pendant de longues années) dans le but par exemple de traiter une dépression, de se remettre d’un burn-out, de mieux gérer un trouble bipolaire, etc. Que faut-il en penser ? Michael Emlet tâche de répondre à cette question dans son livre Descriptions et prescriptions (éditions Impact, 2022). Cet ancien médecin, devenu maintenant conseiller et enseignant avec le CCEF, souhaite offrir une perspective biblique sur les diagnostics et les médicaments psychiatriques. Dans un premier article, nous avons réfléchi avec lui à la thématique des diagnostics psychiatriques. Dans ce deuxième volet, nous prendrons le temps de considérer l’enjeu des médicaments.
Ces médicaments sont-ils efficaces ?
On retrouve une perspective équilibrée, avec un appel de l’auteur à n’être ni excessivement « pour », ni excessivement « contre ». Les premiers chapitres consacrés à cette question permettent à Michael Emlet de dresser la liste des différents types de médicaments psychoactifs et d’expliquer leur fonctionnement. Une question essentielle se pose : les médicaments traitent-ils un déséquilibre chimique ? C’est ce que l’on a tendance à penser dans l’imaginaire collectif et c’est ce qui nous est transmis par la publicité des entreprises pharmaceutiques. En réalité, explique Emlet, nous ne savons pas exactement comment ces médicaments fonctionnent chez l’homme et ne pouvons pas non plus prouver de manière définitive qu’ils travaillent à changer les symptômes d’une personne en proie avec des difficultés de type « maladie mentale ». Bref, Emlet le résume ainsi : « Au mieux, nous pouvons donc dire que ces médicaments modulent ou modifient la neurotransmission d’une manière ou d’une autre, et que cela semble être associé à une réduction des symptômes dans une proportion statistiquement significative chez des personnes testées durant les essais cliniques ».
Les médicaments ne constituent qu’une partie de l’approche globale de la personne
Par conséquent, il nous faut non seulement toujours considérer les troubles mentaux comme ayant plusieurs causes (pas uniquement biologiques), mais aussi considérer les médicaments comme faisant parfois partie de la solution mais comme n’étant en tout cas pas le seul remède, ni un remède-miracle. Même les professionnels constatent ainsi les effets limités des médicaments et observent que la psychothérapie obtient souvent des résultats aussi prometteurs, sinon plus prometteurs, que les médicaments.
Il nous faut non seulement toujours considérer les troubles mentaux comme ayant plusieurs causes (pas uniquement biologiques), mais aussi considérer les médicaments comme faisant parfois partie de la solution mais comme n’étant en tout cas pas le seul remède, ni un remède-miracle
Dans le cas de la dépression, par exemple, « des études individuelles ont révélé que la thérapie cognitive était aussi efficace que la médication après quatre mois de traitement, bien que la médication puisse apporter une amélioration plus rapide que la psychothérapie (…). Les méthodes de soins qui font appel à l’écoute, au questionnement, au raisonnement, au dialogue, à l’évaluation des pensées et à la modification des comportements sont utiles en cas de dépression ». Bref, les médicaments « ne constituent qu’une partie de l’approche globale de la personne ». D’où l’importance de porter toujours attention aussi bien aux aspects physiques qu’aux aspects spirituels d’une personne : ignorer le cœur et ses dispositions morales ou spirituelles serait déshumanisant ; ignorer le corps et ses faiblesses le serait aussi, remarque Emlet.
Ne pas se ruer sur des médicaments au premier signe de souffrance
Alors, en tant que conseillers chrétiens, doit-on ou ne doit-on pas prescrire de médicaments ? Emlet en appelle au principe de la sagesse, qui signifie une perspective équilibrée et adaptée à chacun, et qui prend en compte plusieurs réalités complémentaires. Il faut ainsi articuler et joindre plusieurs principes.
Premièrement, « c’est une priorité du royaume de Dieu que de soulager notre souffrance et c’est une des priorités du royaume que de nous racheter (nous transformer) par la souffrance ». Autrement dit, il est légitime de chercher à apaiser les souffrances et, dans ce sens, on peut considérer les médicaments comme faisant partie de la grâce commune. Mais d’un autre côté, Dieu agit à travers la souffrance, et d’une certaine manière cette souffrance doit être accueillie : « Si le soulagement de la souffrance est une priorité du royaume de Dieu, la recherche d’un simple soulagement détaché de la vision du plan de transformation de Dieu au milieu de la souffrance peut court-circuiter tout ce que Dieu veut accomplir dans la vie de la personne ». Autrement dit, se ruer sur des médicaments au premier signe de souffrance n’est pas forcément une bonne idée…
Parfois utile… parfois contre-productif
Deuxièmement, « trop de souffrance peut être « dangereux » pour la croissance spirituelle, tout comme trop peu de souffrance peut être « dangereux » pour la croissance spirituelle ». Dans certaines situations, une personne accablée par une souffrance intense risque de tomber plus facilement dans la colère ou l’angoisse ; prescrire des médicaments peut alors s’avérer utile pour freiner cette tendance.
A l’inverse, une personne épargnée par toute souffrance peut courir le risque de s’éloigner de Dieu : la Bible est claire sur ce rapport entre « vie facile » et « oubli de Dieu ». Dans cette perspective, le fait de prescrire un médicament dès qu’apparaît une souffrance intérieure n’est pas forcément la solution, car il est parfois préférable de traverser la souffrance pour grandir en maturité.
Attention à l’idolâtrie du « médicament-sauveur » !
Troisièmement, « les médicaments sont des dons de la grâce de Dieu, mais ils peuvent être utilisés de manière idolâtre ». Et Emlet de s’inquiéter : « Je rencontre parfois des gens qui sont de meilleurs évangélistes pour le Prozac que pour le Dieu vivant. Au lieu de considérer les médicaments comme un simple élément d’une approche thérapeutique complète, centrée sur Dieu et sur l’âme, ils les considèrent presque comme leur salut. Par définition, il s’agit d’idolâtrie, puisque cela consiste à attribuer le pouvoir et l’aide ultimes à quelque chose d’autre que notre Dieu trinitaire. Si une personne conseillée croit que ce qui compte réellement, c’est d’ajuster la dose de son Paxil, et qu’elle considère la discussion sur les choses spirituelles superflue ou non pertinente, c’est un problème ». Tout est dit !
« Les médicaments sont des dons de la grâce de Dieu, mais ils peuvent être utilisés de manière idolâtre ».
Une question de motivations
Quatrièmement, « une personne peut avoir de mauvaises raisons de vouloir prendre des médicaments, tout comme une personne peut avoir de mauvaises raisons de ne pas vouloir prendre de médicaments ». Ce serait une mauvaise motivation de vouloir recourir à la médication parce que l’on veut une solution immédiate pour s’épargner le difficile mais nécessaire travail consistant à examiner nos désirs, nos craintes, nos pensées, nos choix et notre mode de vie. A l’inverse, ce serait une mauvaise motivation de refuser de prendre des médicaments si c’est l’orgueil de vouloir s’en sortir tout seul qui nous y pousse.
Cette médication sera-t-elle une aide ou un handicap ?
Cinquièmement, « l’utilisation de médicaments peut rendre plus difficile la résolution des problèmes moraux et spirituels, tout comme le fait de ne pas utiliser de médicaments peut rendre plus difficile la résolution des problèmes moraux et spirituels ». Pour le dire simplement, la prise de médicaments ne devrait pas être une solution de facilité pour aller tout de suite mieux et éviter la remise en question.
A l’inverse, prendre des médicaments s’avère parfois utile, parce que la personne est dans un tel état d’épuisement ou d’anxiété qu’elle n’est plus capable de réfléchir correctement et qu’elle éprouve une très grande peine à sortir du cycle négatif dans lequel elle se trouve. « L’utilisation de médicaments, dans certaines situations, peut être semblable à calmer les eaux en surface pour faciliter une exploration en profondeur. Une expédition de plongée est impossible s’il y a trop de vent à la surface de l’eau ». Et en même temps, soyons prudents, avertit Emlet, parce que « nous vivons dans une société qui ne tolère pas le moindre signe de « mer agitée » et qui aspire au confort des eaux calmes et limpides. Cela contribue à la surconsommation de médicaments psychoactifs chez certains, qui ne veulent qu’une solution rapide ».
En guise de synthèse, Emlet rappelle que la question des médicaments est une question de sagesse, qui doit être abordée de manière individuelle : « Qu’est-ce qui semble le plus sage pour cette personne précise avec ces médicaments précis à ce moment précis ? ».
La question des médicaments est une question de sagesse, qui doit être abordée de manière individuelle : « Qu’est-ce qui semble le plus sage pour cette personne précise avec ces médicaments précis à ce moment précis ? ».
Tout comme les béquilles, les médicaments peuvent être appropriés ou non
Finalement, il faut voir les médicaments comme une béquille. Et nous avons là plusieurs cas de figure. Certaines personnes souffrent de blessures qui ne nécessitent pas de béquilles, même s’il y a une véritable douleur. De même, certaines difficultés mentales ne nécessitent pas de médicaments.
D’autres ont besoin de béquilles après avoir subi une blessure ou une opération importante, mais seulement pour un certain temps. De même, la médication peut être utile pour un temps, par exemple lors d’une dépression post-partum grave ou de crises de panique sévères.
D’autres souffrent d’un handicap plus important et doivent utiliser des béquilles pendant une période prolongée. C’est le cas, si l’on transpose l’illustration aux troubles mentaux, à des problèmes tels que la schizophrénie ou le trouble bipolaire, « pour lesquels la perturbation du cerveau a une influence plus forte sur l’expression de la santé mentale que les autres facteurs contributifs, ce qui implique la nécessité d’une utilisation à long terme de médicaments ».
Enfin, certaines personnes sont entravées dans leur progression à cause des béquilles, par exemple quelqu’un qui se fait une entorse à la cheville et qui, plutôt que de bouger un peu et se réhabituer à marcher, compte sur ses béquilles. De même, certaines situations en lien avec des difficultés intérieures ne peuvent pas être réglées si l’on compte sur les médicaments pour régler le problème.
Le réconfort ultime n’est pas dans des pilules, mais en Christ
Quoi qu’il en soit, conclut Emlet, « même si nous considérons les médicaments comme un outil potentiel dans une approche ministérielle globale, nous devons toujours chercher à apporter la richesse de la rédemption de Christ dans la vie des gens. Les pécheurs auront toujours besoin de miséricorde, de grâce, de pardon et de puissance surnaturelle pour aimer Dieu et leur prochain. Les personnes qui souffrent auront toujours besoin de réconfort, d’espoir et de la volonté de persévérer. En fin de compte, ces bénédictions ne se trouvent pas dans un flacon de pilules… mais dans la personne de Jésus-Christ ».