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Que faut-il penser des diagnostics psychiatriques ? Est-ce légitime, pour un chrétien, d’adhérer aux catégorisations et définitions du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), la référence dans le domaine de la psychiatrie ? Un chrétien en difficulté doit-il chercher à établir un diagnostic et peut-il croire un psychiatre qui le considérerait comme atteint d’un « trouble obsessionnel compulsif », d’un « trouble borderline » ou encore d’un « trouble du déficit de l’attention », pour ne prendre que quelques exemples ? C’est à ces questions pointues que cherche à répondre Michael Emlet dans son petit ouvrage Descriptions et prescriptions (éditions Impact, 2022). Cet ancien médecin, devenu conseiller et enseignant avec le CCEF, souhaite offrir une perspective biblique sur les diagnostics et les médicaments psychiatriques. Dans ce premier article, nous nous pencherons sur les diagnostics, puis nous réfléchirons à la question des médicaments dans un second article.

Le risque d’être trop « pro » ou trop « anti »

Sans grande surprise, la perspective d’Emlet se veut… équilibrée. Totalement convaincu de la suffisance de la Bible et de la pertinence de l’accompagnement pastoral dans les Eglises même pour des « cas difficiles », il met en garde contre deux extrêmes en ce qui concerne les diagnostics psychiatriques. D’un côté, une acceptation inconditionnelle de ces diagnostics risque de nous amener à mettre un accent trop grand sur les soins médicaux, à externaliser l’aide à des « experts » qui se trouvent hors de l’Eglise et à négliger une analyse biblique du problème. « Vous pointerez du doigt des solutions incomplètes. Vous manquerez des opportunités de ministère ».

D’un autre côté, que se passera-t-il si l’on est trop frileux à l’égard de tout diagnostic psychiatrique ? Emlet prend l’exemple d’une personne diagnostiquée « bipolaire » par son médecin, qui viendrait chercher de l’aide dans l’Eglise. Mépriser le diagnostic nous fera potentiellement considérer son comportement uniquement sous l’angle du péché, en oubliant qu’il y aussi une part de faiblesse, voire de maladie. On risque d’ignorer, à tort, certains éléments physiques de sa situation. Résultat des courses : le danger de se mettre la personne à dos parce qu’elle se sentira incomprise.

Un diagnostic peut décrire un dysfonctionnement, mais pas l’expliquer

La sagesse nous conduira donc à être conscient des problèmes et limites de ces diagnostics, tout en sachant garder ce qui est bon et l’utiliser à bon escient dans l’accompagnement pastoral. Commençons par les limites. Emlet en relève quatre. Premièrement, les diagnostics psychiatriques sont des descriptions, non des explications. On décrit le « quoi », sans jamais pouvoir définir le « pourquoi ». Il est ainsi possible de décrire des symptômes (ce qui est rapporté par le patient) et d’observer les signes (ce qui est observé par le médecin), pour établir une forme de diagnostic. Mais on ne peut pas aller plus loin. Prenons l’exemple du trouble dit de « l’anxiété sociale ». Il est possible de l’observer, voire de le diagnostiquer… mais on ne peut pas savoir comment les facteurs physiques, spirituels, relationnels, situationnels et culturels ont interagi pour conduire à ce que l’on observe aujourd’hui. Or, trop souvent, le commun des mortels et même les fabricants de médicaments ont tendance à mettre l’accent sur une seule cause, souvent biologique, et à considérer dès lors que le traitement le meilleur, voire le traitement unique, sera le médicament. Emlet met en garde contre ce raccourci néfaste…

La sagesse nous conduira donc à être conscient des problèmes et limites de ces diagnostics, tout en sachant garder ce qui est bon et l’utiliser à bon escient dans l’accompagnement pastoral

Le risque de coller des étiquettes et de voir des malades partout…

Deuxième limite aux diagnostics psychiatriques : « Ils ont le potentiel pour a-normaliser la normalité par le surdiagnostic », avertit Emlet. En d’autres termes, on colle toutes sortes d’étiquettes sur un nombre croissant de gens, que l’on se met à considérer comme « malades ». La faute, entre autres, à la pression des entreprises pharmaceutiques, désireuses de vendre leurs médicaments. La faute aussi à la tendance qu’ont beaucoup de gens à s’autodiagnostiquer comme étant « malades » (alors que ce n’est pas nécessairement le cas) et à demander sans beaucoup de recul critique des médicaments à des médecins généralistes, par ailleurs pas toujours formés en la matière.

Un pédophile n’est pas un malade mais un coupable

Troisième limite : « Certains diagnostics psychiatriques redéfinissent un comportement que l’Ecriture qualifierait principalement de péché ». On médicalise le comportement pécheur. Emlet donne l’exemple d’un homme pédophile qui s’est appuyé sur le diagnostic que le DSM appelle « trouble frotteurisme » pour se considérer comme malade. Or, la Bible appelle le péché « péché », et il en va de même avec la pyromanie, la cleptomanie ou d’autres comportements que l’on ne peut pas excuser en agitant un diagnostic psychiatrique.

Enfin, la quatrième limite tient à l’influence de la culture sur les diagnostics. Pour ne prendre qu’un exemple, l’homosexualité était considérée comme un trouble mental dans les premières éditions du DSM, ce qui n’est évidemment plus le cas aujourd’hui. On voit ainsi que ces diagnostics ne sont pas seulement scientifiques, puisqu’ils évoluent au fil des ans.

Un diagnostic n’est pas synonyme de destinée ou de fatalité

Quelles leçons en tirer pour le ministère, demande Emlet ? Il appelle d’abord les chrétiens à ne pas se laisser impressionner par un diagnostic, et les Eglises à ne pas abandonner leur responsabilité d’accompagnement. De plus, il encourage ses lecteurs à ne pas considérer l’identité d’une personne comme se résumant à un diagnostic, en la mettant dans une case où elle serait enfermée. D’autant que « le diagnostic n’est pas synonyme de destinée » : Dieu travaille à la sanctification et aux progrès de tous ses enfants, et il n’y a aucune « clause d’exception ». Une personne bipolaire, dépressive ou souffrant de toute forme de psychose peut garder l’espoir d’une amélioration. « C’est une nouvelle radicalement bonne pour toute personne (aidant ou luttant) qui pourrait être tentée de considérer un diagnostic comme une fatalité ».

L’auteur encourage ses lecteurs à ne pas considérer l’identité d’une personne comme se résumant à un diagnostic, en la mettant dans une case où elle serait enfermée

Une réflexion en profondeur pour une aide spirituelle adéquate

Bref, un diagnostic peut aider… mais il ne détermine pas tout. Emlet explique par exemple que si quelqu’un vient le voir avec un diagnostic de « trouble de l’anxiété sociale », il fera avec lui le même travail qu’avec n’importe quel autre chrétien en proie avec une forme d’anxiété, bien que prenant ici la situation particulièrement au sérieux. Il lui demandera d’expliquer ses luttes, de parler de sa vision de Dieu ; il apprendra à le connaître dans sa complexité, avec ses espoirs et ses craintes, ses souffrances et ses péchés, ses joies et ses peines. Et puis, le conseiller pourra ainsi établir un « diagnostic » aussi spirituel, réfléchir aux causes de cette anxiété (ce que la psychiatrie ne fait pas) et apporter une aide pour aller de l’avant (ce que la psychiatrie ne fait pas non plus).

Les diagnostics sont des outils qui peuvent s’avérer utiles

En quoi un diagnostic psychiatrique peut-il néanmoins aider ? Michael Emlet relève quatre éléments. Tout d’abord, « les diagnostics psychiatriques organisent la souffrance en catégories qui suscitent une attention particulière ». Autrement dit, on peut identifier des schémas d’expérience et prendre conscience de certaines luttes dont on ignorait l’existence. Emlet raconte que sa connaissance du syndrome d’Asperger lui a permis d’accompagner de manière plus pertinente une personne dont il a dû prendre soin : il a pu notamment mieux comprendre quand cette personne était tout simplement incapable de faire quelque chose… quand elle était réticente à le faire. Probablement qu’il serait arrivé aux mêmes conclusions et aux mêmes conseils même s’il n’avait rien su préalablement de cette catégorie psychiatrique qu’on appelle syndrome d’Asperger ; mais le fait d’avoir déjà étudié le sujet lui a permis de gagner du temps dans le suivi.

Ensuite, « les diagnostics nous rappellent que l’expérience de cette personne est effectivement différente de la nôtre ». C’est un bon garde-fou contre la tentation d’offrir des solutions simplistes ou superficielles. Bien sûr, nous avons souvent des points communs avec les luttes de la personne, mais pas toujours selon la même intensité : « Par exemple, nous sommes tous anxieux, mais nous n’avons pas tous connu des crises de panique. Nous traversons tous des périodes de découragement, mais nous n’avons pas tous connu des mois de dépression paralysante ».

Savoir discerner les dysfonctionnements particulièrement graves

En troisième lieu, « certains diagnostics suggèrent des schémas particuliers de gravité et de danger ». Il s’agit pour les accompagnants de relever les symptômes et signes particulièrement alarmants, qui peuvent être des indicateurs du développement d’un dysfonctionnement plus grave. « Par exemple, l’énergie excessive, la volubilité et l’égoïsme que vous avez observés chez votre ami au cours de deux derniers mois sont-ils une manifestation d’orgueil et d’égocentrisme ? C’est possible. Mais avez-vous envisagé que ces symptômes puissent constituer les premiers stades de la manie ? ». Dans ce cas, une vigilance particulière s’impose.

Enfin, « certains diagnostics nous rappellent le rôle plus central du corps dans la lutte d’une personne ». Il peut y avoir une composante génétique dans certains comportements, notamment quand il est question de schizophrénie, de troubles bipolaires ou de troubles du spectre de l’autisme. La biologie peut alors contribuer à expliquer le problème… sans être le seul facteur pour autant.

En résumé, écrit Emlet, « les diagnostics représentent un point de départ pour le ministère, non un point d’arrivée. Ils ne confèrent pas d’identité aux gens et ne permettent pas de les comprendre pleinement. En même temps, le système de diagnostic psychiatrique présente un certain nombre d’avantages, qui soulignent la nécessité de prendre au sérieux certains schémas de souffrance et de péché si nous voulons prendre soin des gens avec sagesse ». [A suivre]

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