Ichtus N°12 – Avril 1971 – Page 6 à 8
Le Réveil d’une Église est un mouvement de conversions à Dieu. Qu’un homme se tourne vers son Père à la manière de l’enfant prodigue et qu’il prenne la résolution de changer de vie, c’est une chose admirable, un miracle de l’Esprit. Que vingt, trente, quarante personnes prennent cette décision et entrent dans la Vie, c’est un Réveil. Ce groupe de nouveau-nés de l’Esprit apporte alors dans toute la vie paroissiale un changement, une résurrection. Dans le culte, dans la prière, dans la vie familiale, dans la générosité, dans l’esprit fraternel, une transformation se manifeste. Une église sort de sa torpeur, de sa routine, de son inertie. La transformation vient de la base, des membres de l’Église, devenus conscients de la grâce qui leur est faite en Jésus-Christ.
Karl Barth a décrit en termes admirables Réveil et Conversion. Il définit le péché comme une inertie et il accumule les termes qui caractérisent cette torpeur : médiocrité, bêtise, bassesse. C’est une mort. Le péché a quelque chose de profondément ennuyeux. Littérature et films de notre époque en apportent une preuve surabondante. Nos Églises sont atteintes par cette paresse. Elles sont devenues « le monde ou l’on s’ennuie ». La jeunesse les déserte. Mais comment y irait-elle, cette jeunesse qui n’entend plus de nos jours d’appels à la conversion et au don de soi et que l’on prétend nourrir de difficiles exégèses intellectuelles ou de considérations plus ou moins politiques ? Elles n’a pas besoin de cela, elle a besoin de passer de la mort à la vie, de l’érotisme à la sainteté, de la torpeur à l’action vraie.
Par-dessus tout, Dieu veut le Réveil. « Il ne veut pas la mort de celui qui meurt mais sa conversion et sa vie » (Ézéchiel 18:32). Il veut, de génération en génération, se susciter un peuple de témoins, qui le glorifie et le serve.
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Le premier converti de la paroisse, le premier réveillé, c’est le pasteur. Qu’il me soit permis d’apporter ici mon témoignage. Je suis arrivé, jeune candidat, dans une paroisse de la montagne, abandonnée depuis dix ans. Il ne m’a pas fallu longtemps pour me sentir écrasé par une tâche surhumaine. Dieu permit que je rencontre à ce moment-là (juillet 1923), l’équipe de la Brigade de la Drome constitué depuis près d’une année. Ce fut une plongée dans la réalité : réalité de la perdition pour les âmes qui m’étaient confiées, réalité du salut par la Croix de Jésus-Christ et sa résurrection, réalité de la vie chrétienne dans la sainteté et dans la prière. Toutes les choses apprises intellectuellement et discutées rationnellement, devenaient réelles, vivantes, contraignantes. Ce fut une conversion totale. Je pris la résolution de refaire ma théologie, Bible en main, sur un coin de table et de me soumettre entièrement à cette révélation accordée jour après jour. Des âmes furent sauvées, le Réveil se manifesta, une Église surgit à nouveau de ses cendres. La joie était dans les cœurs et les chants sur les lèvres. Mouvement de conversions, le Réveil naît de l’appel à la conversion. Des mots d’ordre sont donnés : « Dieu ne se contente pas de ce que nous sommes ! » Le rappel des exigences du Dieu saint est comme un projecteur qui fouille les recoins les plus obscurs de l’âme et conduit à la repentance. « Il faut que tout change ! » Une vie nouvelle surgit, transformée par des décisions nouvelles. Dieu reprend sa place dans la vie de l’individu, de la famille, de la paroisse. Des réunions de prière se créent ici et là. Les temples délabrés, aux murs moisis, sont restaurés dans un élan populaire. Un jour, ayant terminé de blanchir les parois d’un sanctuaire, le maçon trempa son pinceau dans un pot de peinture et écrivit de lui-même sur le mur ces mots : « Gloire à l’Éternel ! »
La Bible est ainsi retrouvée, non par une fidélité théorique à une orthodoxie routinière, mais par le dedans du cœur, par une œuvre de l’Esprit. Je me suis retrouvé un jour calviniste sans le savoir, par simple obéissance aux directions de la Parole. Ce ne fut ni une mode, ni un complot, mais une soumission, un mûrissement de la foi sous le soleil de la révélation. J’étais resitué dans le grand courant de l »Évangile éternel et j’y retrouvais les théologiens indestructibles, Saint-Paul, Saint-Augustin, les Réformateurs, redevenus avec l’Écriture mes maîtres à penser.
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Mais un Réveil ne va pas sans lutte. Il dérange trop de tranquillités et de complaisances. Les cabarets du village se vident et aussi les salles de bal. Les parents ont peur que leurs enfants se convertissent et partent pour les Missions. Un conflit est inévitable. Il éclata un dimanche après-midi sur la place du village. Un homme, légèrement pris de vin, s’approcha de moi, menaçant, et me demanda « si cette comédie n’était pas bientôt finie ». Un cercle se forma, des injures partirent, de la boue fut jetée. Plus heureux cependant que les méthodistes du siècle dernier en Vaunage, je ne fus pas jeté dans la fontaine. Mais l’opposition était violente. A la réunion du même soir, je dis à l’Église rassemblée : « Nous entrons dans une période de lutte et nous ne pouvons triompher que par la prière. J’invite tous ceux qui veulent mener avec moi ce combat de l’intercession à venir dès demain chaque jour au presbytère à 13 h. 30 pour prier. » Pendant trois mois chaque jour a eu lieu cette rencontre de prière. J’y ai entendu des choses admirables. Non des langages étranges ou des prophéties exaltées, mais des effusions du cœur d’une sincérité merveilleuse, témoignant d’un grand amour des âmes et d’une vraie adoration du Dieu vivant. Le Réveil prend sa source dans la prière et grandit en elle.
Le Réveil est un mouvement de sanctification. Il est la prise au sérieux de l’exigence divine : « Soyez saints, car Je suis saint, moi l’Éternel votre Dieu » (Lev. 19:2). Il a pour conséquence une rénovation des mœurs, une rupture avec l’immoralité. La tenue des villages en était transformée et des voyageurs de passage en faisaient la remarque. Certains adversaires du Réveil d’il y a un demi-siècle craignaient que cette rigueur nouvelle ne conduisit au pharisaïsme. Nous pouvons les rassurer. Quoiqu’on dise, le moralisme et le piétisme n’ont jamais fait de mal à personne. Nous ne pouvons que souhaiter pour notre époque de relâchement moral et de dangereux laisser-aller, un renouveau de pureté et de sincérité.
Car la conversion n’est pas l’affaire d’un jour, mais bien celle de la vie tout entière. Il y a certes un premier jour, une nouvelle naissance, une ouverture de l’âme à la présence du Christ par l’action du Saint-Esprit, Mais cette nouvelle naissance, naissance d’En-haut, naissance de l’Esprit n’est que le début d’une vie avec Dieu. C’est tous les jours que nous recommençons notre conversion vers Dieu et que nous avançons sur le chemin de la sainteté, sans nous lasser. Car celui qui nous a appelé est fidèle (1 Thess. 5:24).
Le Réveil est un mouvement de l’Esprit, cet esprit toujours jeune, toujours inventif, toujours créateur, qui est un esprit de liberté. Il libère l’Église de la routine et du ritualisme. Bien avant Bonhoeffer, la Brigade de la Drôme disait : « Dieu a horreur des gens religieux ». « Drôles de pasteurs, disait-on, ils abolissent la religion ». Le croyant fait alors par amour ce qu’il faisait jadis par contrainte. Il avance en chantant sur la route, car le signe du Réveil c’est la joie. Le Réveil est le résultat d’un acte de foi. Il faut croire que « l’heure est venue où le Fils de l’Homme doit être glorifié », et vivre cette heure en pleine certitude. Il faut écarter les obstacles que notre crainte dresse sans cesse devant nous et affirmer la Vie afin qu’elle nous fasse vivre.