On l’évoquait comme un mouvement anglo-saxon. Voilà que nos pays connaissent à leur tour son foudroyant démarrage. Les Informations catholiques internationales (15 janvier 1974) annoncent mille personnes impliquées, surtout catholiques, pour Paris seulement et sa banlieue. La Suisse romande « flambe » depuis plus longtemps déjà.
Nous parlons, le lecteur l’a compris, du mouvement néo-pentecôtiste, que d’autres préfèrent appeler « renouveau charismatique ». (Si nous choisissons la première appellation, c’est pour empêcher qu’on réserve le nom de « charismes » aux dons extraordinaires, miracles, glossolalie, prophétie, qui ornent le mouvement en cause ; pour l’apôtre Paul, en effet, les dons peu spectaculaires de l’entraide fraternelle ou du gouvernement de la communauté ne sont pas moins que les autres des charismes (1 Cor. 12).) [1]
La revue Foi et Vie a récemment confié un numéro double aux promoteurs de la spiritualité nouvelle[2]. C’est un événement ! Les textes réunis par les pasteurs A. Schwartz et J.-D. Fischer dans cette livraison importante méritent, à coup sûr, un commentaire dans les pages d’ICHTHUS, et nous ne voulons pas le faire tarder davantage. Des articles, des éditoriaux, ont exprimé dans le passé l’avis de notre équipe, essentiellement du point de vue de l’exégèse et de la doctrine. Foi et Vie nous donne l’occasion de faire le point après quelque temps, et de signaler encore quelques autres lectures instructives que nous avons faites dernièrement.
Après un bref liminaire, l’ensemble publié par Foi et Vie s’ouvre par un témoignage-reportage du pasteur A. Wohlfahrt, de Strasbourg, sur les choses vues aux États-Unis. Son article vivant et clair permet au lecteur de se transporter sans peine dans l’atmosphère à la fois fervente et détendue, pleine d’actions de grâce et de louange, des réunions néo-pentecôtistes. Il raconte les miracles éclatants qui se produisent par le ministère de Kathryn Kuhlmann, qui souligne toujours : « Ce n’est pas moi qui guéris » et prêche la nouvelle naissance, le plus grand miracle ; si nous sommes bien renseignés, ce ministère très spécial a une place à part, malgré ses affinités avec le plus vaste « réveil ». La seule réserve du pasteur Wohlfahrt porte sur l’insuffisance de la conscience sociale des néo-pentecôtistes américains, sauf catholiques (pp. 16ss).
Une brève analyse du théologien charismatique allemand Arnold Bittlinger, directeur du centre œcuménique du Schloss Craheim, complète ce reportage : ce renouveau répond à la triple soif des hommes de notre temps, soif d’extase, soif d’amour, soif de communauté, qui cherche à s’étancher aux fontaines de la drogue, de l’hindouisme, de l’occultisme, de la militance politique, et bien d’autres (pp. 21s). L’interprétation nous paraît perspicace ; il nous reste cependant une question : les besoins et tendances contemporains ne risquent-ils pas aussi de déformer, ou de déséquilibrer la vie de l’Esprit ? Il nous faut nous rappeler que la grâce ne se contente jamais de répondre aux besoins, elle les juge en même temps ! Il faudrait peut-être s’inquiéter d’une trop exacte, ou trop facile, correspondance… La soif d’extase et la soif de communauté se lient aisément à des orientations peu scripturaires.
Suit un texte du Cardinal Suenens, le hiérarque romain le plus favorable au néo-pentecôtisme. Langage très surveillé. Comme Jean XXIII avait appelé de ses vœux une nouvelle Pentecôte, le cardinal voit dans le renouveau charismatique, l’accomplissement de son désir. Nous avons noté une phrase aussi juste que belle sur la relation des dons à l’Esprit : « ils en sont comme l’efflorescence et les satellites » (p. 29). Puis le pasteur J. Serr recense dans la tradition patristique et orientale les témoignages sur les dons de l’Esprit : « La tradition monastique, lorsqu’elle revient à ses sources est essentiellement “ charismatique ” » (p. 42) ; la plupart des textes cités se réfèrent à un Esprit conféré par les sacrements, mais le point n’est pas relevé. Pour équilibrer le tableau historique, on pourrait ajouter les déclarations de St-Jean Chrysostome et de St-Augustin sur la disparition des charismes extraordinaires depuis le temps des apôtres. [3]
L’étude doctrinale est représentée par de larges extraits du Rapport de la Commission théologique de l’Église Presbytérienne du Sud (aux États-Unis.), présenté en 1971, et par un article du pasteur J. P. Gabus qui donne une synthèse d’un cours professé l’an dernier à la Faculté de théologie protestante de Paris (p. 59). On trouve enfin deux textes de Louis Dallière (datant de 1933 et 1935), une brève traduction de M. Harper sur le don de prophétie, et une autre, plus nourrie, d’A. Bittlinger sur la glossolalie.
« Œcuménisme évangélique »
C’est une belle brochette d’auteurs, impressionnante dans sa diversité ! Cette diversité ne fait que refléter la diversité du mouvement néo-pentecôtiste lui-même, qui s’engage de plus en plus dans un « œcuménisme évangélique concret ». Fraternisent des croyants qu’on n’aurait jamais imaginés ensemble il y a même cinq ans ! Ce fait est en passe de devenir le trait le plus saillant du renouveau. Le Rév. Jim Brown en donne une parabole délicieuse : tandis que les canards-chefs de plusieurs mares séparées discutent en vain de leur union éventuelle, une grande pluie du Saint-Esprit fait de toutes les mares une seule, où les canetons se mêlent joyeusement (p. 11). Mais d’autres, qu’on n’a pas le droit de mépriser, rappelleront l’exigence première de vérité (Jn 17), et l’avertissement sur les prodiges du faux-prophète. Ils souligneront que les catholiques pentecôtistes restent d’abord catholiques (d’après les I.C.I. déjà citées, 63 % d’entre eux « visitent le Saint-Sacrement plus souvent qu’avant » leur expérience). Ils remarquent des infiltrations modernistes (une référence à Tillich étonne un peu sous la plume de Wohlfahrt, pp. 12-13). Faut-il dénoncer comme une confusion le rapprochement qui s’amorce ? Nous ne pensons pas en avoir le droit. Les fruits du mouvement tels que nous avons pu les observer, y compris chez de jeunes catholiques, nous portent plutôt à nous réjouir. Dieu est à l’œuvre, et nous n’avons pas à nous montrer plus pressés que lui. La Réforme ne s’est pas faite en un jour. Certes, le renouveau de l’Église requiert à la fois la vie de l’Esprit et la vérité de l’Écriture, mais nous n’avons pas à exiger d’emblée une parfaite lucidité théologique et une orthodoxie impeccable. Nous avons cependant le devoir de discerner si l’orientation reste juste, et de demander qu’on ne s’arrête pas à une fraternisation sans autre fondement que l’expérience. Nous appelons donc nos frères, qui risquent d’être grisés par la joie d’une communion nouvelle, à la vigilance la plus extrême. Il serait diabolique qu’ils considèrent les divergences de doctrine comme un détail périphérique, que seul pourrait encore mentionner un esprit chicanier ! Le Nouveau Testament insiste avec la plus grande vigueur sur la discipline doctrinale (Rom. 16 :17, 2 Thess. 2 :15, les épîtres pastorales, 2 Jean, etc.). La conclusion de l’éditorial d’ICHTHUS No 19 reste actuelle :
« Le plus grand danger d’un côté serait de s’opposer à l’œuvre de Dieu, de refuser sa nouvelle Réforme ou un puissant Réveil, peut-être le dernier et le plus grand avant que Jésus ne vienne. Le plus grand danger de l’autre côté, serait de verser dans un œcuménisme de confusion, de préparer, sous couvert charismatique, Babylone. »
L’Église presbytérienne parle
Nous trouvons le plus de poids au Rapport de la Commission presbytérienne. Nos différences d’appréciation ne nous empêchent pas d’y reconnaître un document sobre et responsable. Il est seulement dommage que les auteurs laissent un certain flou nimber leur recours à l’Écriture : « Notre étude de l’Ancien et du Nouveau Testaments, écrivent-ils, toutefois, n’a révélé aucune doctrine de l’Esprit qui soit consistante [4]et qui soit immédiatement applicable à la situation contemporaine » (p. 51). Ils ne tirent pas tout à fait la même chose du livre des Actes, en effet, que de Paul et de Jean (pp. 48s, 50). Dans plusieurs passages des Actes (non pas tous), ils admettent qu’un intervalle sépare la conversion, à laquelle est lié le baptême d’eau, et le baptême-effusion-plénitude de l’Esprit (pp. 46s) ; le baptême du Saint-Esprit est d’abord compris comme une attribution de puissance pour le service et le témoignage (pp. 47s). Chez Paul, 1 Corinthiens 12 :13 exprime un autre point de vue : « Le baptême de l’Esprit entraîne ici l’unité en Christ de tous les croyants » (p. 49). La conclusion pour notre temps reste très prudente : « il nous faut rester compréhensifs à l’égard de ceux qui, actuellement, préconisent un intervalle de temps » (p. 54). Cependant, il est « impossible d’affirmer qu’il existe au sein de l’expérience chrétienne une transition entre le fait de vivre avec l’Esprit et de vivre dans l’Esprit. L’Esprit habite tous les Chrétiens » (p. 53). Les phénomènes comme la glossolalie peuvent marquer le baptême du Saint-Esprit, mais on ne peut pas dire qu’ils le doivent (p. 55) ; ils n’impliquent aucune supériorité spirituelle (id.). C’est seulement dans leur interprétation des Actes que les auteurs du Rapport ne nous convainquent pas : nous pensons que dans le livre des Actes comme chez Paul, le baptême de ou dans l’Esprit concerne davantage l’entrée dans la Nouvelle Alliance que la donation de puissance. Si les auteurs ne l’ont pas vu, c’est qu’ils n’ont pas étudié les textes assez historiquement, en tenant suffisamment compte de la transition des deux économies ; c’est aussi qu’ils ont confondu des termes que Luc utilise avec discrimination (ils notent cependant, p. 55, qu’une effusion ultérieure doit être appelée plénitude et non baptême). La sagesse pastorale du Rapport est bienfaisante : il avertit contre une excessive valorisation du surnaturel et signale le danger des divisions (pp. 56ss). L’accent majeur est celui de la Bible : l’Esprit est l’Esprit du Christ.Amen !
Quelques dangers
Les réflexions du pasteur J.-P. Gabus ont un caractère plus général. Elles attestent une forte influence de la pensée orientale (orthodoxe-russe et byzantine) telle que l’interprétait Paul Evdokimov. Dans cette vision, il donne de la conviction occidentale sur le filioque le Saint-Esprit procède du Père et du Fils une vilaine caricature (p. 60). Que n’a-t-il cité Karl Barth sur ce point, lui qui le cite au début et à la fin (pp. 59 et 73 ; deux autres auteurs citent aussi Barth, pp. 12 et 103) ! K. Barth a bien vu que le refus oriental du filioque (l’Esprit ne procède pas du Fils) avait favorisé la dénaturation du rapport de Dieu à l’homme « en une sorte de fusion mystique directe et immédiate » fort éloignée de la pensée biblique (Dogmatique, I, 1**, p. 171). La même influence semble faire glisser M. Gabus vers l’universalisme, le châtiment des pécheurs signifiant selon lui « leur purification et rétablissement » (p. 72 ; cf. p. 62, tous les hommes déjà greffés sur l’Humanité Nouvelle). Mais nous avons relevé plusieurs pensées très stimulantes. M. Gabus note très bien que l’institutionnel, pour la Bible, est un mode particulier du charismatique (p. 66). Il critique avec vigueur certains courants : « La concentration christologique, voire jésuologique dans la théologie contemporaine est souvent l’expression d’une foi qui ne connaît qu’un baptême d’eau et ignore tout de ce baptême de feu et d’Esprit qu’inaugure la mission de Jésus, puis celle de la communauté chrétienne » (p. 65). L’« identité » que des Églises protestantes cherchent à sauvegarder n’est, sans l’Esprit, que celle de « la « maffia » des enfants et petits-enfants de pasteurs autrefois ou aujourd’hui encore célèbres » (p. 67). Le baptême d’Esprit permet d’affirmer la spécificité chrétienne (p. 68). Il faut seulement se garder du danger d’hyper-eschatologisme et d’illuminisme (p. 69) bon conseil, qu’on aimerait plus précis.
Ce n’est pas une précision plus grande qu’on souhaiterait sur le don de prophétie, mais plus de souplesse, de nuance, d’ampleur. En réduisant la prophétie aux révélations spéciales, aux communications dont le merveilleux est manifeste, M. Harper nous semble décrire une forme du charisme biblique, mais non pas toutes. Il a une remarque intéressante, qui suscitera peut-être des discussions : il suggère que les femmes peuvent prophétiser et non pas enseigner (p. 87). Le pasteur Louis Dallière définit le prophète comme « un soldat de deuxième classe » qui apporte les pensées du Chef, tandis qu’il appartient aux anciens et aux diacres de prendre les décisions (p. 93). Nous nous rallions plus facilement à cette vue qu’à sa thèse : « Il n’y a pas à juger les fausses prophéties, mais les faux prophètes » (p. 95) ; au contraire, les textes impliquent pour nous un examen du message, même d’un vrai prophète reconnu (1 Cor. 14 :29 et 1 Thés. 5 :21), la doctrine apostolique servant de critère (1 Cor. 14 :37s ; 1 Jn. 4 : 1ss, 6 ; cf. Rom. 12 : 6).
La glossolalie
Arnold Bittlinger traite enfin de la glossolalie. Avec justesse, croyons nous, il marque la place à la fois secondaire et décisive de ce don dans le néo-pentecôtisme : « sans la glossolalie, il n’y aurait pas de mouvement charismatique » (p. 98). Il souligne : « Dire que la glossolalie est un parler extatique est faux, et induit en erreur » (p. 99) en quoi il s’oppose au Rapport presbytérien (p. 49) mais s’accorde avec le Nouveau Testament (on a remarqué que ce sont les auditeurs qui sont « en extase », existanto, en Actes 2 :7, 12, exestësan, Actes 10 :45). Pour Bittlinger, la xénoglossie, parler en des langues étrangères réelles, est un cas particulier du parler en langues (p. 99). Du parler en langues en général, il faut dire que c’« est un phénomène naturel comme le rêve, le rire, les pleurs ou le bâillement », par lequel s’exprime l’inconscient (p. 101). Même le phénomène de la xénoglossie pourrait s’expliquer par l’inconscient collectif jungien (p. 102). Bittlinger, avant d’en venir au « point de vue religieux », paraît accepter l’idée du psychiatre W. Sargant « que des expériences comme celles du parler en langues peuvent avoir des effets analogues à ceux de l’électrochoc », en supprimant des « nœuds » (p. 103).
Ces remarques d’un leader néo-pentecôtiste nous ont d’autant plus intéressés que nous avons lu récemment deux ouvrages scientifiques très fouillés sur les aspects sociolinguistique et psychologique du problème, chacun d’eux le produit d’une enquête de plusieurs années. Le premier est l’œuvre d’un professeur de linguistique et d’anthropologie à l’Université de Toronto, William J. Samarin [5] ; le second d’un psychologue clinicien, depuis longtemps expert de la cure psycho-spirituelle, et mandaté (avec un collègue psychiatre) par l’Église Luthérienne Américaine, John Kildahl [6]. Ils sont assez proches de Bittlinger : « La glossolalie est normale, non pas surnaturelle comme le pentecôtiste le croit ; elle est normale, non pas anormale comme l’homme de la rue le croit » (Samarin, p. 229 ; cf. Kildahl, p. 47, qui cite le grand linguiste évangélique Eugène Nida dans le même sens). Ils n’ont cependant trouvé aucun cas de « xénoglossie » : Samarin a enquêté soigneusement sur plusieurs cas avancés par les néo-pentecôtistes et il parvient à la conclusion très nette que les histoires ont été enjolivées, que la reconnaissance de la prétendue langue étrangère a toujours été le fait d’une personne qui la connaissait mal et qui n’a saisi au vol qu’un ou deux mots (p. 111 ss) ; Sherrill et McDonnell n’ont procédé à aucune critique sérieuse des témoignages qu’ils ont invoqués (pp. 121s). Contrairement à Bittlinger qui assure qu’on ne peut pas distinguer, « à l’analyse phénoménologique », la glossolalie d’une langue étrangère (Foi et Vie, p. 99), Samarin montre que la glossolalie est un pseudo-langage dont l’artificiel est bien reconnaissable pour le spécialiste : Samarin démonte avec aisance les mécanismes de sa production (pp. 82ss). Et, comme aussi Kildahl, il souligne qu’on l’apprend : il décrit les techniques d’apprentissage couramment pratiquées (répétez certains mots, répétez la glossolalie d’un leader, ouvrez la bouche comme ça, etc., pp. 52ss).
Kildahl admet la valeur thérapeutique de la glossolalie ainsi comprise, par libération de l’inconscient, mais il voit la cause principale dans l’intégration au groupe réalisée, et particulièrement dans le rapport au leader : quand ce rapport se détériore, la glossolalie n’a plus guère d’effet (Kildahl, pp. 51s, 55, 79s). La dépendance à l’égard d’une figure d’autorité est le grand trait commun aux glossolales étudiés (pp. 44, 50, 53, 80). Sa conclusion est frappante : « C’est notre thèse que l’hypnotisabilité constitue le sine qua non de l’expérience glossolalique » (p. 54) ; « sans exposition à une expérience de groupe régressive, la glossolalie ne peut pas se produire » (p. 59). Les effets bienfaisants, selon Kildahl, sont en partie liés à la conviction que le phénomène est miraculeux (pp. 45ss), conviction qu’il juge erronée, mais la médaille a son revers : presque toujours des divisions (pp. 66ss, 70s, 85), et des sentiments d’hostilité déguisés, car la chaude solidarité des glossolales se fait aux dépens des autres, avec une attitude de sur-justification caractéristique (pp. 67ss).
Une question double
Il ne nous appartient pas de juger la valeur scientifique de ces deux livres qui contiennent encore une foule d’informations et de notations instructives. La question la plus brûlante à notre avis est une question double :
a) la glossolalie actuelle est-elle un pseudo-langage naturel comme l’affirment Bittlinger (dans le cas général), puis Samarin et Kildahl (dans tous les cas), plutôt qu’un parler miraculeux dans des langues étrangères réelles (xénoglossie) ?
b) si on répond oui, cette glossolalie est-elle le charisme dont parle le Nouveau Testament ?
Les pentecôtistes (et néo-) répondent non à la question a) dans leur très grande majorité (73% avec assurance dans l’enquête de Samarin, p. 107, et d’autres encore avec hésitation) pour eux, glossolalie xénoglossie comme à la Pentecôte et ils répondent oui à la question b) ; la position de Bittlinger est parmi eux très rare. Avant la lecture de nos auteurs, nous tendions à penser comme eux, mais nous avouons que les démonstrations de Samarin et Kildahl remettent en cause notre réponse à la question a). Sur la question b), cependant, nos conclusions sont formelles : la glossolalie du Nouveau Testament est xénoglossie (mot nouveau forgé par Charles Richet) ; c’est ainsi qu’elle se distingue de la (pseudo) glossolalie qu’on trouve chez les Mormons, les Spirites, etc… L’opposition qu’on fait parfois entre Actes 2 et 1 Corinthiens 12-14 n’est pas justifiée [7]: les différences tiennent toutes à l’usage des dons et à la situation, non pas au don lui-même. La place nous manque pour développer les arguments, mais notons que l’adjectif autres (heterais) n’est pas réservé, comme on dit souvent, à Actes 2 :4 ; on le trouve aussi en 1 Corinthiens 14 :21, et même deux fois, dans la citation d’Ésaïe que Paul applique à la glossolalie « corinthienne ». Les raisonnements de Paul impliquent une glossolalie-xénoglossie. Du coup, un problème sérieux surgit : si la glossolalie aujourd’hui n’est pas xénoglossie, du moins ordinairement est-elle le don biblique ?
Certains diront que les fruits spirituels, là où elle est pratiquée, l’authentifient comme « charisme ». Le lien ne nous semble pas si étroit entre fruits et dons. A Corinthe, les fruits étaient inquiétants et pourtant la glossolalie authentique. Si on tient compte de tous les mécanismes psychologiques et sociologiques mis en lumière par Kildahl et Samarin, et si on admet que le Saint-Esprit s’en sert, on peut rendre compte des effets constatés dans le néo-pentecôtisme sans faire de sa glossolalie la glossolalie miraculeuse du Nouveau Testament.
Mais les glossolales croient avoir le charisme biblique ! Dieu bénirait-il par une erreur ? Nous répondons : ce ne serait pas la première fois. Tel est l’humour de la miséricorde divine. L’erreur de sa doctrine de la création éternelle a aidé Origène à former la pensée juste de la génération éternelle du Fils. La croyance erronée à la régénération baptismale des petits enfants a aidé à soutenir aux IIIe et IVe siècles la vérité du péché originel. Ce n’est pas que le mal enfante le bien : Dieu se sert d’un mal pour écarter un autre mal, plus grave. De nos jours, le mal plus grave, c’est la sécularisation du christianisme, l’éclipse d’un Dieu qu’on ne voit plus que lointain, abstrait, inefficace. Dieu bénit malgré l’erreur bénigne, et s’en sert souverainement.
L’erreur, même bénigne, est toujours nuisible comme erreur. Que Samarin et Kildahl aient raison ou qu’ils aient tort nous n’ en sommes pas persuadés, mais nous sommes ébranlés il est souhaitable que les questions a) et b) soient affrontées en toute lucidité.
Lucidité, vigilance, prière plus que jamais ce sont les mots d’ordre. On pourrait dire aussi : docilité au Saint-Esprit, ce doigt de Dieu (Luc 11 :20, cp. Matt. 12 :18) qui a laissé dans l’Écriture ses empreintes digitales ! D’autres esprits que Celui qui est saint, cherchent à pousser dans les pièges que signalent nos divers auteurs : outre la confusion ou l’excessive rigidité, l’irrationalisme (tellement dans l’air du temps !), et les divisions. Contre l’esprit de supériorité, où qu’il soit, contre l’esprit de jugement, qui divise, avertissent encore deux écrits qui méritent d’être cités, et que nous voudrions recommander pour, enfin, conclure. Le premier dirige son avertissement surtout vers les glossolales, le second, surtout vers le reste des évangéliques. Michael Griffiths, directeur de la grande mission de foi O.M.F., autrefois fondée par Hudson Taylor, prêche dans l’esprit d’ICHTHUS ; peut- être sera-t-il traduit ? [8] Le second texte
est du professeur Clark Pinnock, qui se spécialise dans les efforts de conciliation (cf. ICHTHUS No 19). Il a présenté à la Société des Études Pentecôtistes un travail important, où il va aussi loin qu’un non-pentecôtiste puisse aller, avec des remarques aussi judicieuses que profondes ; il vient d’être traduit et publié en français. [9] Nous y renvoyons les lecteurs si nos quelques pages, comme nous l’espérons, leur ont ouvert l’appétit.
Ichtus N°40 – Février 1974 -Page 21 à 27
UN NUMÉRO SPÉCIAL DE « FOI ET VIE » SUR LE MOUVEMENT «CHARISMATIQUE »
L’ESPRIT SOUFFLE