La campagne des élections présidentielles 2022 est en cours. Les programmes et les slogans envahissent les rues et les écrans. Les débats aussi tentent de se faire une place, quoique dans notre société la qualité du débat soit devenue relative, laissant place aux jeux de mots plus ou moins bien choisis. Comme à chaque élection présidentielle, la pression à se conformer à certaines attitudes sera forte. Comme à chaque présidentielle, les chrétiens seront poussés à se choisir un « camp », y compris « le camp de Jésus ». Comme à chaque élection, la chasse est ouverte. Les chrétiens vont tirer à vue sur les autres chrétiens.
Deux tendances
Le problème, si on peut parler de « problème », c’est que les élections présidentielles marquent aussi l’ouverture de la chasse. C’est le moment de tirer à vue sur tous les frères et sœurs qui ne pensent pas comme nous. Que ce soient des opinions économiques, sociales, politiques ou bibliques, tout va devenir l’occasion de dénoncer les autres comme étant soient corrompus par la société, ou comme étant légalistes.
D’un côté, il y aura ceux qui s’engageront activement dans la promotion d’une vision sociale et politique. Pour ces frères et sœurs, il est important que les chrétiens soient impliqués dans le choix de la société de demain. La foi chrétienne a quelque chose à dire dans tous les domaines. Il ne s’agit pas nécessairement de soumettre la foi à une idéologie politique. Ces frères et sœurs cherchent généralement à ce que la foi chrétienne puisse informer les choix politiques, sociaux, et économiques, et ceci en vue du bien commun.
D’un autre côté, il y aura ceux qui dénonceront les visions politiques de certains chrétiens comme une perversion, ou au moins une tentation, du message de Jésus. Pour ces frères et sœurs, il est impératif de se garder de toute idéologie politique. Lorsque les chrétiens font trop fortement entendre leur opinions politiques, cela ne peut qu’être au détriment de ce qui est essentiel : le témoignage de Christ. D’ailleurs Jésus lui-même ne s’est pas vraiment positionné sur les questions éthiques et sociales qui semblent intéresser certains chrétiens. Soyons moins « politiques » et plus comme Jésus.
Pour les premiers, se réclamer simplement de Jésus c’est oublier que nous vivons dans une société pour laquelle nous devons souhaiter le bien. Peut-il y avoir d’autre bien que se vouloir une société qui se modèle sur ce que le Seigneur demande ? Une société qui honore les parents, dans laquelle le mariage est honoré, le respect est mutuel, etc. Pour les seconds, trop d’implications politique, c’est vouloir une « société chrétienne », ce qui est absolument indésirable, et même dangereux. C’est une trahison de Christ.
Un désir de pureté
Malgré les oppositions entre ces deux tendances un peu radicales, toutes les deux se rejoignent en une chose : leur désir de pureté. Il y a des deux côtés un désir de pureté qui ne sert le plus souvent qu’à disqualifier les autres de toute prétention à se dire chrétien. Des deux côtés, il y a souvent la prétention à incarner la meilleure manière d’être chrétien dans le monde… ou même d’être ceux qui suivent vraiment Jésus. Nous sommes purs et fidèles, les autres sont corrompus ou séduits.
Les uns sont trop « séduits » par le pouvoir et la morale. Les autres sont corrompus par l’esprit du monde. Les premiers chercheraient une pureté morale illusoire que Jésus lui-même a rejeté. Les seconds demanderaient une pureté ecclésiale que Paul a prêché.
Dans les deux cas, il y a une exigence de pureté. Le vrai tragique de la situation, c’est que cela ne conduit qu’à exacerber les divisions entre chrétiens. Les deux côtés sont convaincus d’être le parti « biblique » ou « de Jésus ». Les autres sont des vendus, des traitres, manquent de courage ou de lucidité. Ils sont naïfs, épris de pouvoir, ou trahissent un grand orgueil spirituel. Pour certains, des deux côtés, il y a les vrais chrétiens, et il y a les autres… comprenez par « les autres » ces chrétiens qui trahissent la Bible ou Jésus. Ou les deux. Et comme ils sont devenus un danger pour le témoignage chrétien, la chasse est ouverte.
Ne vous ébréchez pas les uns les autres
Les présidentielles sont de retour et, avec elles, la nécessité de nous mettre de nouveau à l’écoute de Paul : « Par amour fraternel, ayez de l’affection les uns pour les autres ; par honneur, usez de prévenances réciproques. » (Rm 12.10) Usez de prévenances réciproques, soyez pleins de précaution les uns avec les autres. Un ami a récemment prêché sur ce texte et a pris cette image : ne vous ébréchez pas les uns les autres.
Ne vous ébréchez pas les uns les autres. Dans tout ce que nous disons, dans ce que nous postons en ligne. Même dans ce que nous disons, « en rigolant », entre deux portes, avec des amis… usons-nous de précautions avec nos frères et sœurs chrétiens ? Sommes-nous pleins d’attention, non seulement avec ceux qui sont « comme nous », mais avec tous les frères et sœurs – même ceux qui ont des opinions politiques très différentes ?
Veillons à nos paroles et à nos pensées. Mettons un frein à nos mots trop forts et trop rapides. Ayons en vue l’humilité qui conduit vers l’amour. Et comme l’écrit Paul à Tite : « Rappelle-leur d’être soumis aux gouvernements et aux autorités, d’obéir, d’être prêts à toute œuvre bonne, de ne médire de personne, d’être paisibles, conciliants, pleins de douceur envers tous les hommes. » (Tite 3.1-2) Pouvons-nous dire que nous sommes pleins de douceur envers tous les hommes ? L’être avec les autres frères et sœurs en Christ, ce n’est déjà pas facile… ! Mais nous y sommes appelés !
Avec les présidentielles, les exhortations de Paul nous frappent de plein fouet. Nous devons être conciliants avec tous. Que nous ayons la même vision politique ou pas. Nous devons être pleins de précautions avec tous les frères et sœurs, sans exception.
Et par-dessus tout, nous devons montrer que malgré ce que nous pensons des préférences politiques des autres croyants, nous nous aimons les uns les autres. En pleine campagne présidentielle, y aurait-il un meilleur moyen d’être témoin de Christ que de montrer un amour fraternel qui soit, osons le mot, radical ?