Depuis que le monde a été mis en quarantaine par COVID-19, les termes « essentiel » et « non essentiel » occupent une place importante dans notre discours. Les entreprises et les services jugés « essentiels » ont été maintenus ouverts : supermarchés, quincailleries, stations d’essence, animaleries, laveries automatiques, etc. Beaucoup d’autres, jugés « non essentiels », ont été fermés jusqu’à nouvel ordre : gymnases, cinémas, casinos, magasins de détail, stades de sport et salles de concert. Les Églises tombaient dans cette dernière catégorie.
La grande majorité des Églises ont obligé et annulé leurs cultes et activités selon le fait que les grands rassemblements de personne présentent des risques élevés de transmission du virus. La plupart ont ensuite attendu le feu vert du gouvernement pour recommencer à se réunir.
Bien que le raisonnement de la fermeture des Églises soit logique (pour diverses raisons, les rassemblements d’Églises présentent un risque accru de transmission du virus), que faisons-nous du fait que peu de personnes ont contesté le fait que les rassemblements d’Églises soient considérés comme étant « non essentiels » ? Je ne parle pas ici strictement de la sagesse des stratégies de confinement dues au COVID-19, mais plus largement de la valeur perçue des Églises locales dans la société. Même si nous respectons les directives du gouvernement et réfléchissons prudemment à la réouverture de nos Églises, il vaut la peine de considérer comment le terme « non essentiel », appliqué de manière désinvolte, diminue la stature et la place de l’Église dans le monde.
L’Église une bonne chose (mais non essentielle)
Lorsqu’il a été annoncé que les rassemblements religieux ne reprendraient quand dernier lieu du plan de réouverture, j’ai été triste – non pas parce que je contestais le risque élevé que de tels rassemblements représentent, mais parce que cela soulignait à quel point la pratique religieuse est devenue peu prioritaire dans la culture occidentale contemporaine.
Les Églises sont dans la même catégorie de réouverture que les salons de manucure, les salles de sport et les cinémas – des luxes « des agréments » dont on peut vraisemblablement se passer pendant une saison prolongée. Les Églises sont assimilées à des lieux de divertissement, ce qui est une bonne chose pour les personnes qui aiment ce genre de choses, mais qui n’est en aucun cas essentiel à l’épanouissement de l’homme et de la société, et ne valent certainement pas de prendre des risques pour la santé. Il est révélateur que notre société ait décidé que nous ne pouvons pas vivre sans les « éléments essentiels » comme les blanchisseries, vendeur de journaux et les bureaux de tabac mais que nous pouvons vivre sans les rassemblements physiques à l’Églises.
Il est révélateur que notre société ait décidé que nous ne pouvions pas nous passer de « l’essentiel » comme les magasins d’alcool, les dispensaires de marijuana et les terrains de golf, mais que nous pouvions vivre sans se réunir physiquement à l’Églises.
Réalisons-nous à quel point cela est révolutionnaire dans le schéma de l’histoire ? Il y a quelques décennies à peine, le rôle de l’Églises dans la société était si central dans la vie quotidienne, si fondamental pour le bien-être des individus et des communautés, qu’il aurait été impensable de reléguer les rassemblements religieux à un statut « non essentiel ».
Le fait que nous en soyons venus à considérer les rassemblements religieux comme « non essentiels » témoigne de quelques dynamiques que la pandémie COVID-19 n’a pas créées mais qu’elle a révélées. Ces dynamiques n’ont pas été imposées par un quelconque croque-mitaine extérieur et anti-chrétien ; dans de nombreux cas, il s’agit de dynamiques perpétuées par les chrétiens eux-mêmes.
La foi en tant que bien de consommation privatisé
Nous ne devrions pas être surpris que le fait d’aller à l’Églises soit perçu comme une question de préférence superflue, au même titre que les habitudes de consommation comme le cinéma et la pratique sportive. Depuis des décennies maintenant, nous concevons l’Église non pas tant comme quelque chose devant laquelle nous sommes responsables et par laquelle notre identité chrétienne est réalisée, mais comme une amélioration facultative de notre propre cheminement spirituel.
Même si les Écritures montrent clairement que l’Église (ekklesia) occupe une place centrale dans le plan éternel de Dieu (par exemple Eph. 3:7-12), notre ecclésiologie anémique relègue souvent l’Église à une place décidément nonessentielle. Si l’Église n’est qu’une partie agréable de notre voyage spirituel autoproclamé – mais seulement dans la mesure où elle renforce plutôt que de miner notre identité individualiste – alors, bien sûr, nous pouvons nous en passer pendant de longues périodes. L’Église n’est pas essentielle, supposons-nous, car le christianisme est tout aussi facile à pratiquer seul à la maison. Donnez-moi une Bible, de la musique de louange inspirante et peut-être quelques podcasts spirituels, et c’est bon. Avons-nous vraiment besoin de l’Église pour être en bonne santé spirituelle ?
Les conservateurs et les progressistes ont tendance à avoir cette vision de la foi de la « spiritualité personnelle privatisée », bien que pour des raisons différentes.
Tant les conservateurs que les progressistes ont tendance à tenir cette vision de la foi de la « spiritualité personnelle privatisée », bien que pour des raisons différentes. Les conservateurs mettent l’accent sur le mot « personnel » parce qu’ils valorisent l’auto-souveraineté et le pouvoir de l’individu de déterminer lui-même ce qu’il en est de la foi et de l’expression de la foi. Les progressistes mettent l’accent sur la « privatisation » parce qu’ils préfèrent que la religion soit exclue de la vie publique et de la politique. (En effet, en matière de foi, « plus en sécurité chez soi » est une politique que certains progressistes aimeraient voir adopter de façon permanente).
Mais lorsque la foi est reléguée à un domaine privatisé, personnel et consumériste, tout le monde y perd. La spiritualité personnelle devient un gâchis incohérent lorsqu’elle a des liens faibles avec une communauté ecclésiale solide. La société dans son ensemble souffre lorsque les Églises locales ne fonctionnent pas pleinement. Entre autres choses, les Églises répondent à des besoins critiques dans leurs communautés (banques alimentaires, aide aux sans-abri, soutien éducatif, soins aux orphelins, conseils, entre autres) et contribuent à la santé mentale et spirituelle de la population en général.
Le monde remarquerait-il si les Églises ne rouvraient jamais ?
Je ne suggère pas que les Églises doivent défier les directives du gouvernement, se considérant comme « essentielles » même si les autorités disent le contraire. Cela ne ferait qu’attiser les guerres culturelles existantes de manière inutile. De plus, ne devrions-nous pas montrer que nous sommes essentiels plutôt que de simplement dire que nous le sommes ?
Néanmoins, cette pandémie – et le statut « non essentiel » de l’Église en son sein – devrait être un signal d’alarme pour nous. Les Églises manquent-elles au monde lorsqu’elles sont enlevées ? Les chrétiens eux-mêmes ressentent-ils un trou béant dans leur foi lorsque l’Église locale manque ? Reconnaissant-ils que l’ekklesia est le projet de Dieu (Matt. 16:18-19) et une partie centrale de sa mission ? Comment l’Église peut-elle reprendre une position dans la société quand elle est perçue par tous – croyants et non-croyants – comme n’étant plus « essentielle » ?
Comment l’Église peut-elle revendiquer une position dans la société quand elle est perçue par tout le monde – croyants et non-croyants – n’étant plus « essentielle » ?
J’espère qu’au moins cette saison nous rappelle le don glorieux et incomparable qu’est le corps rassemblé du Christ. Comme l’écrit Megan Hill dans son excellent nouveau livre, A Place to Belong (Un lieu d’appartenance), « Dans le rassemblement sans prétention de l’Église locale, nous sommes en communion avec le Christ lui-même. Cher chrétien, nous n’avons pas de plus grand privilège ».
J’espère également que cette saison nous montre que la spiritualité privatisée et consumériste ne suffit pas. Ni pour les individus, ni pour la communauté. Nous avons besoin de plus qu’une foi « moi et Jésus » qui a peu d’influence sur le monde et qui nous incite peu à quitter la maison. Nous avons besoin d’une foi qui s’enracine dans des communautés ecclésiales locales fortes, qui servent et multiplient, le genre de foi qui fait une telle différence dans sa présence tangible que tout le monde remarque et déplore son absence.