On trouvera ici la première des conférences prononcées à la Convention de Morges de 1970 par le professeur Jules-Marcel NICOLE, sur le livre de Job (deuxième partie).
Cette question n’est pas seulement lancée à la face du ciel comme un défi par les incrédules. Elle surgit bien souvent du cœur angoissé d’un croyant qui reste perplexe en face du mystère de la souffrance, particulièrement quand celle-ci atteint des innocents. Parmi ceux qui liront ces lignes, sans doute en est-il peu qui ne se la seront jamais posée à un moment ou à un autre, peut-être à froid dans un climat de réflexion objective, peut-être en pleine crise et le cœur torturé. Nous voudrions avoir une double mesure de tact et d’amour pour essayer d’y répondre à la lumière de la Parole de Dieu. Parmi tous les livres de la Bible, celui où ce problème est abordé avec le plus d’insistance et sous ses aspects les plus divers est le livre de Job, dont il constitue sinon le sujet principal, en tout cas un des thèmes les plus apparents. Nous passerons en revue les diverses réponses que l’on peut déduire de ces pages toutes palpitantes d’émotion et de douleur en même temps que de foi.
1. La réponse des amis de Job : “toute souffrance est le résultat d’un péché particulier”
Pour les trois premiers amis du patriarche, Vliphaz, Bildad et Tsophar, le problème est simple : toute souffrance particulière est le résultat d’un péché particulier. Elle est proportionnelle à la gravité de l’offense. Puisque les épreuves de Job sont exceptionnelles , il doit s’être rendu spécialement coupable, et par conséquent la seule solution pour lui, est de faire l’aveu de sa faute ; alors Dieu lui pardonnera et le rétablira. Chacun des trois amis expose la même thèse dans son style particulier, Éliphaz avec une condescendance solennelle, Bildad en alignant des sentences, Tsophar avec une impétuosité juvénile. On peut noter aussi qu’au fur et à mesure que la discussion se prolonge, les accusations des trois amis deviennent toujours plus violentes pour aboutir à la charge accablante qu’Éliphaz fait subir au pauvre Job au chapitre 22. Mais pour le fond, du commencement à la fin, la mélodie est la même à travers les variations de la tonalité. Quelques citations suffiront donc :
« Quel est l’innocent qui a péri ? Quels sont les justes qui ont été exterminés ?… Ceux qui labourent l’iniquité Et qui sèment l’injustice en moissonnent les fruits. Ils périssent par le souffle de Dieu, Ils sont consumés par le vent de sa colère. » (Job 4.7- 9) « Pour toi dirige ton cœur vers Dieu, Etend vers lui les mains, Eloigne de toi l’iniquité… Alors tu lèveras ton front sans tache, Tu seras ferme et sans crainte ; Tu oublieras tes souffrances. » (Job 11.13-15)
Bien sûr, cette solution ne s’appliquait nullement à Job qui, bien loin de subir un châtiment pour des fautes commises, était au contraire accablé de maux à cause de sa justice. Aussi peut-il à bon droit reprocher à ses amis de manquer d’amour envers lui, de lui refuser cette compassion à laquelle le malheureux a droit même s’il abandonne la crainte du Tout-Puissant (6 v. 14). Il peut aussi les attaquer sur le plan de la sincérité. Job n’était pas pour eux un inconnu ; ils ne pouvaient le soupçonner de crimes affreux qu’en faisant de graves entorses à ce qu’ils savaient de sa conduite. Pour soutenir Dieu, ou plutôt la théorie qu’ils considéraient seule compatible avec la justice de Dieu, ils n’hésitaient donc pas à aligner des faussetés (Job 13.7), et l’Éternel, à la fin du livre, peut constater qu’ils n’ont pas parlé avec droiture (Job 42.7). C’est même tragique de voir à quelles extrémités peuvent se laisser aller des hommes animés des intentions les meilleures, pour l’honneur de Dieu et la consolation de leur ami, lorsque la fureur théologique les amène à ne pas vouloir démordre d’une théorie qui pourtant est contredite par les faits.
Cependant, il ne faut peut-être pas trop vite écarter ce que disent les « consolateurs fâcheux » (Job 16.2). Si leurs explications ne s’appliquent en aucune manière à Job, elles contiennent une part de vérité dans d’autres cas.
D’abord, il est vrai que la souffrance en général, est la conséquence du péché en général. C’est à la suite de la chute que le sol a été maudit, que les douleurs de l’enfantement ont été aggravées, que le travail est devenu pénible (Genèse 3.16-18).
Il peut arriver aussi qu’une faute déterminée ait pour conséquence une souffrance déterminée. « Ce qu’un homme a semé, il le moissonnera » (Galates 6.7). Les exemples concrets de ce principe ne nous manquent pas dans la Bible. David, même après avoir reçu le pardon de Dieu, a subi dans sa famille et en particulier par la mort de son enfant, le châtiment de la faute qu’il avait commise avec Bath-Schéba (2 Samuel 12:13-14). L’apôtre Paul établit un rapport entre la participation indigne de certains Corinthiens à la Sainte-Cène et les maladies parfois mortelles dont ils ont été frappés (1 Corinthiens 11.30). De même il insiste sur les conséquences physiques de l’inconduite et qui en sont la juste rétribution (Romains 1.27). Chacun connaît les résultats désastreux de l’alcoolisme, ceux plus subtils mais plus néfastes encore des pratiques occultes. Il est indéniable que l’égoïste ou l’avare font le vide autour d’eux. Nous pourrions multiplier les exemples.
Nous avons donc le droit, lorsque le malheur nous arrive, de nous demander si nous ne l’avons pas mérité d’une manière ou d’une autre, comme les frères de Joseph ont vu dans leurs déboires en Égypte, le châtiment du crime dont ils s’étaient rendus coupables envers leur jeune frère (Genèse 42.21). N’allons cependant pas jusqu’à nous tourmenter par une autocritique de ce genre.
Surtout soyons doublement prudents lorsque c’est notre prochain qui est en cause. Jésus dit formellement qu’un homme peut être éprouvé sans que lui-même ou ses parents aient commis une faute (Jean 9.1-2). N’ajoutons pas aux souffrances de nos frères le poids d’accusations qui en définitive risquent d’être fausses. Pourtant n’oublions pas que parfois Dieu permet ou envoie même sur la terre la souffrance comme châtiment de tel ou tel péché.
2. La réponse d’Élihu : “par la souffrance, Dieu donne des avertissements”
Le jeune Élihu s’était engagé à répondre tout autrement que les trois autres amis au problème posé par le livre (Job 32.14). En fait on peut se demander s’il a toujours été très fidèle à ces louables intentions. Parfois il a bien l’air d’emboucher la même trompette que ses collègues (Job 34.20-34).
Mais effectivement il y a de l’inédit dans ses propos, et il avance une explication différente de la souffrance humaine de celle, trop schématique, d’Éliphaz et compagnie. Pour lui, le malheur peut avoir la valeur d’un avertissement. Il faudrait relire tout l’admirable chapitre 33, si évangélique. Nous ne retiendrons que les lignes suivantes qui résument l’avis d’Élihu :
« Dieu parle tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, par des songes, par des visions nocturnes, quand les hommes sont livrés à un profond sommeil. Alors II leur donne des avertissements, Afin de détourner l’homme du mal et de le préserver de l’orgueil. » (Job 33.14-16) Et plus bas : « Dieu sauve le malheureux dans sa misère. Et c’est par la souffrance qu’il l’avertit. »
En ce qui nous concerne, nous ferons bien de méditer la thèse avancée par Élihu. Il est bien vrai que dans la prospérité, trop souvent nous avons tendance à oublier Dieu. Agur l’avait bien senti, lui qui formulait sa prière en ces termes :
« Ne me donne ni pauvreté ni richesse, de peur que dans l’abondance je ne te renie et ne dise : Qui est l’Eternel ? Ou que dans la pauvreté je ne dérobe. (Proverbes 30.8-9).
Moïse prédit qu’en devenant « gras, épais et replet » Israël en viendra à regimber contre Dieu (Deutéronome 32.15). Il ne devrait pas en être ainsi. Quand notre situation est florissante, nous devrions, pleins de reconnaissance, louer Dieu avec d’autant plus de ferveur. Hélas, nous sommes souvent si ingrats et si frivoles que nous avons besoin d’une épreuve pour nous souvenir de l’Éternel. Le petit enfant aime à folâtrer de droite et de gauche tant que tout va bien pour lui, et même lorsque sa mère l’appelle, il n’est pas pressé d’accourir. Mais s’il tombe et se fait mal, immédiatement il se précipite auprès d’elle pour se faire consoler. Ainsi l’épreuve est souvent chez nous ce qui déclenche le désir de nous approcher du Seigneur Jésus. Que de gens se sont convertis à la suite d’une maladie, d’un deuil, d’une déception ! Combien plus nombreux encore ont retiré d’un malheur une bénédiction spirituelle ! Combien qui pourraient dire comme Ézéchias : « Mes souffrances sont devenues mon salut ! » (Ésaïe 38.17). Ce n’est pas, bien entendu, que les souffrances humaines, même les plus pénibles et les plus vaillamment supportées, puissent jamais constituer un mérite qui nous vaudrait l’acquisition du salut. La seule souffrance expiatoire, est celle que le Fils de Dieu a subie à la croix, et qui est pleinement suffisante pour racheter quiconque se confie en Lui. « Tout est accompli » au calvaire. Mais nos épreuves peuvent être salutaires pour nous, dans ce sens qu’elles nous montrent notre faiblesse et nous invitent à nous jeter dans les bras du Sauveur. Il peut donc arriver que Dieu dans sa bonté nous frappe, non pas pour nous punir, mais pour remédier à un mal éventuel, comme un chirurgien qui manie le bistouri et qui blesse son patient en vue de son bien véritable. Prenons donc pour nous la parole de l’Ecclésiaste : « Au jour du bonheur sois heureux et au jour du malheur réfléchis, Dieu a fait l’un comme l’autre » (Ecclésiaste 7.14).
3. La réponse de l’auteur du livre de Job : “la souffrance sert de témoignage face aux hommes et aux anges”
Guidé par l’Esprit de Dieu, l’auteur nous donne dans les deux premiers chapitres la réponse véritable en ce qui concerne le sens de la souffrance de Job. Elle a la valeur d’un témoignage. Par la manière dont il supporte son malheur, le patriarche donne la preuve qu’il est vraiment attaché à Dieu, qu’il le sert d’une manière désintéressée.
Il est à noter que c’est Dieu le premier qui a lancé un défi à Satan : « As-tu remarqué mon Serviteur Job ? Il n’y a personne comme lui sur la terre, c’est un homme intègre et droit, craignant Dieu et se détournant du mal » (Job 1.8). Souvent, hélas, Dieu n’a pas lieu d’être fier de ceux qui se réclament de Lui, et l’adversaire, au contraire, peut se vanter de leurs inconséquences. Job, au moins, était un homme fidèle.
Satan relève le défi. Il laisse entendre que les vertus de Job sont dues à la protection dont le Seigneur l’a fait bénéficier. « Mais, ajoute-t-il, touche à ce qui lui appartient et je suis sûr qu’il te maudit en face » (Job 1.12). Lorsque Job tient bon malgré ses pertes matérielles et ses deuils familiaux, l’adversaire revient à la charge : « Touche à ses os et à sa chair, et je suis sûr qu’il te maudit en face » (Job 2.5). Il accuse donc Job d’être pieux uniquement par intérêt, sans dévouement véritable à la cause de Dieu. Mais par-dessus tout il accuse Dieu de ne pas être très honnête, de se vanter de Job par devant et de le soutenir insidieusement par derrière. Il l’accuse, de plus, d’être incapable de se faire aimer vraiment, d’être uniquement servi pour ce qu’il donne. On ne saurait imaginer d’attaques plus blessantes envers un Dieu de vérité et d’amour, que ces deux accusations là.
Pour relever le contre-défi de Satan, un seul moyen s’offrait : il fallait que Job soit privé de ses biens, de sa famille, de sa santé et donne ainsi la preuve de la réalité de son attachement. En passant, remarquons que Dieu fait la part belle à Satan. Celui-ci avait souhaité que Dieu frappe le patriarche. Dieu lui répond: «Frappe-le toi-même ». De la sorte l’adversaire pouvait être sûr que les coups étaient donnés avec la vigueur voulue. Si Job tenait bon, l’épreuve était concluante, la gloire de Dieu éclatait.
On peut se demander de quel droit Dieu, pour sauvegarder sa gloire, permettait que l’un de ses serviteurs souffre des tourments aussi horribles. Certes nous pourrions être choqués si le Seigneur restait un spectateur impassible de ce qui se déroule sur la terre. Mais à la lumière de la croix, nous savons qu’il a part à nos souffrances, qu’il les a prises sur lui. Même les épreuves de Job, aussi énormes qu’elles aient été, n’atteignaient pas, même de loin, les souffrances que le Seigneur a voulu endurer par amour pour nous. A la lumière de ce sacrifice sanglant et total, allant jusqu’à la mort, y compris la mort spirituelle, l’abandon du Père, nous pouvons bien nous incliner lorsque le Seigneur nous demande, à notre tour, de nous sacrifier pour lui. Il a fait bien plus qu’il ne nous en demandera jamais. Tout ce que nous endurerons pour la gloire de Dieu, ne sera toujours qu’un faible écho de ce qu’il a subi pour nous. Quand nous aimons quelqu’un, nous aimons partager ses douleurs afin de les atténuer. Si dans la communion avec Christ nous souffrons comme Job, pour la justice, nous avons lieu non seulement d’accepter cette destinée, mais d’en être heureux (1 Pierre 3.14). Combien sont allés au supplice en chantant et en triomphant ! La lignée de ceux qui ont rendu témoignage par les peines qu’ils ont patiemment subies a été si marquée, que le mot même de témoin a fini par signifier martyr.
Pourquoi Dieu permet-il la souffrance ? L’auteur du livre de Job nous répond : Parfois cela est nécessaire en vue d’un témoignage face aux hommes et aux anges.
Quel contraste extraordinaire dans le livre de Job entre la scène terrestre et la réalité invisible ! Sur terre, voilà un pauvre homme dépouillé de tous ses biens, privé de ses enfants, atteint d’une maladie répugnante, en train de se gratter misérablement, méprisé par ses amis, incompris par sa femme, c’est le comble de l’abjection.
Dans le monde invisible, les esprits infernaux et les esprits célestes se penchent avec un intérêt passionné sur cet homme. Car de sa réaction résultera, ou bien le triomphe de Satan, ou bien la gloire de Dieu. Le Seigneur a confié, en quelque sorte, son honneur aux mains fragiles de cet homme. Il savait ce qu’il faisait, mais cela n’enlève rien à l’écrasante responsabilité qui pesait sur les épaules du patriarche. Il devait être le champion de Dieu en face de Satan.
« Nous sommes en spectacle au monde, aux anges et aux hommes », disait Paul (1 Corinthiens 4.9).
Et cela précisément quand nous sommes les derniers des hommes, faibles, méprisés, dénués de tout, maltraités, injuriés, persécutés, quand nous devenons les balayures du monde.
La race de ceux qui souffrent en vue d’un témoignage n’est pas éteinte. Personnellement c’est en m’occupant de croyants atteints de dépression nerveuse que j’ai passé certaines des heures les plus édifiantes de ma vie. Voir des gens qui ont tout perdu, leur équilibre psychique, et même leur joie chrétienne, qui sont au comble de l’affliction et du délabrement de la personnalité, et qui pourtant gardent intact leur désir d’être agréables à Jésus-Christ, combien cela est touchant ! Béni soit le Seigneur qui permet la souffrance, parfois comme un châtiment de nos fautes, parfois comme un avertissement pour nous guider sur la bonne voie, parfois aussi comme un moyen de lui rendre un témoignage qui ne pourrait jamais, autrement, avoir une telle valeur !
Peut-être, parmi ceux qui lisent ces lignes, y en a-t-il qui appartiennent à la lignée de Job et qui en ce moment glorifient Dieu plus que tous les chrétiens triomphants du monde. Y a-t-il rien de plus consolant que cette pensée ?
Oui, il y a mieux encore. Après toutes les réponses humaines que nous trouvons dans le livre de Job, il y a la réponse de Dieu.
Ichthus N° 10 Février 1971 page 8 à 12
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