L’ascenseur est tellement étroit ! On y tient à peine à deux. Il n’avait pas été prévu, à l’origine, dans ces vieux immeubles.
Elle traverse un long couloir avec de grandes fenêtres donnant sur une cour intérieure. Les portes se succèdent, les unes après les autres. Voici la bonne : « Madame Simonette André. » Elle sourit déjà, et sonne.
Aussitôt la porte s’ouvre et elle est là, devant elle.
« Ma petite Moune ! »
Elle tombe dans ses bras.
Elle fait un pas en arrière et la regarde : il lui semble qu’elle est chaque fois plus petite, perdue dans une ample gabardine, beige, avec ses cheveux gris blancs, coupés au carré, comme ceux d’une petite fille sage. Elle est sans couleur, sa petite Moune, triste.
« Tu m’attendais derrière la porte depuis longtemps ?
– Je suis tellement contente que tu sois là pour moi, Louna … »
Elle la prend par le bras.
« Allez, viens ! On sort … »
« Tu sais, je ne marche plus très vite … D’ailleurs souvent, je ne sors même plus. J’ai peur de traverser la route. Les voitures roulent si vite …
– Je suis là … Appuie-toi sur moi … »
Louna est une jeune et jolie femme.
« Tu sens bon, dis donc !
– J’aime les parfums de fleurs …
– Oh ! Moi, il y a longtemps que c’est fini, tout ça … »
Elles marchent le long du canal. Un vol de mouettes, en éclats blancs. Elles tournent, et retombent à l’eau, où flotte du pain.
« Tu sais ce qui me plairait … Ce serait d’aller au jardin pour enfants …
– Tu ne changes pas, ma Moune.
– C’était ma vie … »
Louna pousse la porte grillée, grinçante et elles vont s’asseoir l’une à côté de l’autre, sur un banc vert, près d’un bac à sable où des petits jouent. Moune est tout yeux, tout oreilles.
« Ma Louna … Je me rappelle quand ils t’ont confiée à nous. De tous ceux qui sont passés, tu étais la plus discrète. Une vraie petite souris.
« Moune, je me disais : si je suis bien sage, je pourrai peut-être rester là, cette fois. »
Moune tapote la main de Louna.
« Et tu es restée … »
« On boit un café ?
– Non ! Tu vas pas te faire des frais pour rien …
– Pour rien ? Ma Moune à moi … »
Le jeune maghrébin qui les sert est beau, souriant.
Louna regarde Moune, qui s’ouvre comme une petite fleur. Sa tête tourne de tous les côtés. Elle sourit à tout le monde. Même à ceux qui passent, derrière la vitre du café. Lorsqu’elles en sortent, Moune dit à Louna : « Tu me prends du sucre ? Je n’en ai plus à la maison. »
Louna le fait.
Tandis qu’elles marchent, bras dessus, bras dessous, Louna avance timidement sa question : « Dis-moi, Moune, tu as tout ce qu’il te faut, au moins ? »
Moune ne répond pas. Elle baisse les yeux. Petite fleur fanée, si seule, si triste.
Louna la serre contre elle.
« Je ne t’abandonnerai pas, ma Moune ! »
Un petit sachet de sucre est tombé par terre.
Ecclésiaste 11 : 1 :
« Jette ton pain à la face des eaux
Avec le temps, tu le retrouveras. »