Au moment où les gens ont commencé enfin à revenir à l’église… Voilà Omicron. Encore combien de lettres de l’alphabet grec devrons-nous traverser avant d’en terminer avec ces vagues ? En tant que pasteur d’une église locale, j’apprécie la révision du grec mais je suis plutôt préoccupé par l’ impact de notre société actuelle sur l’amour fraternel. Depuis le début de la pandémie, grâce à la technologie, nous pouvons être proches tout en gardant nos distances. Si nous manquons le culte, nous pouvons remplir nos maisons d’une atmosphère de positivité par des albums en streaming ou des vidéos produites par des musiciens de classe mondiale. En outre, il y a des millions de podcasts, livres numériques, livres audio, audio de sermons et vidéos pour garder nos esprits occupés par des pensées saines. Quelle bénédiction pour ceux qui sont en quarantaine, qui ont un nouveau-né à la maison ou qui sont immunodéprimés.
Cela dit, les effets ne sont pas tous positifs, comme en témoignent les études sur l’augmentation de la solitude[1] et les statistiques sur la violence[2]. Il semblerait que notre génération ait fait une véritable découverte par les effets d’une Église technologique face à une réunion en direct, de gens imparfaits mais inscrits dans le processus de la sanctification. Cette nouvelle situation a donné le genre d’expérience où personne ne doit être offensé, où l’illusion de proximité dure la longueur d’une vidéo que je peux mettre en pause, et où j’ai le choix de montrer ou non mon visage. Pour citer Jacques Ellul alors qu’il écrivait sur comment l’image a supplanté la parole dans la sphère publique : « Tout cet ensemble non seulement stérilise l’intervention, mais institue une fausse relation à un faux réel. Je prends pour réalité ce qui m’est montré, et le réel s’efface. »[3] Cela me semble être l’un des dangers les plus silencieux, une perte de ce qui est réel à ce qui est illustré, présenté et téléchargé. Une version stérilisée ou homogénéisée de ce qui devrait transformer notre vie: rencontrer Dieu dans l’assemblée.
J’aimerais donc me demander, ainsi qu’à mes lecteurs, pourquoi avons-nous besoin d’un culte en présentiel ? Est-ce vraiment nécessaire pour notre expérience chrétienne ? Avant d’inquiéter ceux qui me connaissent, je vais énoncer franchement ma position. Oui ! Je crois en l’Église. Je crois en la fraternité et le besoin de se rencontrer en personne avec d’autres croyants et je limiterai mes arguments à cinq seulement.
Nous avons besoin de la communion fraternelle parce qu’elle fait partie de la Création.
Pour commencer, nous avons besoin de la communion fraternelle parce qu’elle fait partie de la Création. Comme Dieu plaça l’homme dans le jardin pour le cultiver et dominer sur la Création (Gn 1, 26-27; 2, 18-20), il dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » (Gn 2, 18). Le Seigneur a alors créé la femme comme un assistant. Ce devait être le début de la culture, une série de relations destinées à être « un lieu de floraison humaine »[4]. On peut soutenir que l’intention de Dieu de répondre aux besoins de l’homme a été trouvée dans la relation conjugale dans Genèse 2:18 et non dans l’Église. Certes, le texte immédiat soutiendrait cela, tout comme le fait qu’aucun auteur du Nouveau Testament ne cite cela pour justifier la nécessité de se réunir en personne. Mais je répondrais que dans le cadre du mandat culturel de cultiver des relations saines à travers une gestion bienveillante de ce que Dieu a créé pour les soins de l’homme, il est un dessein implicite que les humains ne sont pas faits pour vivre seuls. Je voudrais également souligner le fait que le mot français que nous utilisons pour l’église, (notre traduction du mot ἐκκλησία) veut dire une assemblée ou un rassemblement de personnes.
Nous avons besoin de la communion fraternelle parce qu’elle nous aide à comprendre les relations d’alliance dans la Bible.
Étroitement lié au point précédent, nous avons besoin de la communauté parce qu’elle nous aide à comprendre les relations d’alliance dans la Bible. De nos jours, le mot « ami » a évolué pour dire une connaissance, un partenaire conjugal, ou un nom numérique que je peux bloquer chaque fois que je ne suis plus d’accord avec son opinion. Je suis convaincu que la plupart des gens comprennent les divers degrés d’amitié et d’engagement, mais je me demande ce que la dévaluation du terme a produit dans les relations. Quand nous considérons les cérémonies d’alliance dans la Bible, comme celle que le Seigneur a célébrée avec Abram dans Genèse 15.9-21, ou la sainte-cène dans Matthieu 26.20-29, nous pouvons lire une continuité qui dure toute une vie. Bien que, ce soient des alliances conclues entre Dieu et l’homme, leur impact a survécu à la vie de ces hommes avec lesquels Dieu a interagi. Dans les deux cas, les hommes impliqués ont été appelés amis (Gn 15,6 ; 2Chr 20,7 ; Is 41,8 ; Jn 15,15). Avant de m’éloigner du sujet, permettez-moi de souligner deux observations : l’amitié implique autant la coopération que la complicité. Par exemple en Genèse 15, Dieu rassura Abraham et lui fit des promesses tandis que le patriarche crut et reçut sa bénédiction avant la cérémonie d’alliance. Quant à la complicité, les deux alliances auparavant citées impliquent deux parties étroitement liées, formant une unité. N’est-ce pas ce que nous voyons dans la description de Paul de l’Église et de son utilisation des dons spirituels dans Romains 12.1-8 ? L’Église faite de membres si serrés que Paul les décrit comme des parties d’un même corps, travaillant en harmonie et dans un même sens, les nombreux membres deviennent un. C’est loin de l’expérience actuelle de ceux qui écoutent seuls devant un écran ou en chantant des louanges à l’aide de Siri ou Alexa. Il me semble que dans cette nouvelle ecclésiologie technologique, par sa grâce, nous pouvons connaître un sentiment de la présence de Dieu, mais nous ne pouvons pas connaître le plein sens de la communauté.
Nous avons besoin de la communion fraternelle parce qu’elle nous aide à nous comprendre nous-mêmes.
De façon très similaire, nous avons besoin de la communion fraternelle parce qu’elle nous aide à nous comprendre nous-mêmes. C.S Lewis en a parlé dans The Four Loves. Il a écrit : « Chez chacun de mes amis, il y a quelque chose que seul un autre ami peut faire ressortir pleinement. Par moi-même, je ne suis pas assez grand pour mettre tout l’homme en activité [dans le sens de relever les qualités de tous] ; je veux que d’autres lumières que la mienne montrent toutes ses facettes. »[5] Son idée était que lorsque nous apprenons à connaître une autre personne, nous nous trouvons des centres intérêts et des passions en commun avec celle-ci, et peut-être pouvons-nous en découvrir de nouveaux grâce à elle. Nous entrons dans un discours qui devient propre à la relation qui se sent comme perdue quand la personne est partie. De même, quelqu’un avec le don spirituel de l’administration a besoin d’une communauté de personnes avec des besoins organisationnels, un enseignant doit avoir des étudiants. C’est un peu comme une danse, c’est alors que nous déplaçons nos pieds en musique que nous découvrons si nous pouvons sentir le rythme, c’est alors que nous tenons la main de notre partenaire que nous apprenons si nous pouvons nous diriger avec facilité ou si nous avons tendance à marcher sur les pieds de l’autre. De cette façon, appliqués à l’utilisation de nos dons spirituels dans la communion, nous découvrons notre place unique dans le corps du Christ.[6]
Nous avons besoin de la communauté parce qu’elle nous aide à connaître Dieu.
Cela m’amène à une autre idée : nous avons besoin de la communauté parce qu’elle nous aide à connaître Dieu. L’Église ne se résume pas au sermon ou au culte. Nous apprenons sur Dieu lorsque nous mangeons le pain et buvons la coupe, ou en regardant un nouveau croyant se faire baptiser. Mais il y a des choses que nous ne pouvons apprendre sur Dieu que lorsque nous sommes en relation avec d’autres croyants. Cela fait partie de la Création à son image et de la restauration de cette image par la nouvelle naissance. Alors que je sers l’Église avec une sœur qui a un don différent du mien, elle me montre comment Dieu fonctionne d’une manière que je n’aurais pas connue. C’est dans son discours, ses dons, que je ne possède pas. De la même manière, j’apprends sur Dieu grâce à un frère qui me sert ou prie pour mes besoins. Plus qu’une simple perspective, c’est Dieu qui travaille à travers lui, que si on me donne des yeux pour voir, j’en apprends plus sur Dieu qu’un simple transfert d’informations que je peux lire dans un livre. Je parle d’une connaissance expérientielle, observable, palpable ou pour emprunter une phrase du théologien John Frame : connaître Dieu c’est l’amitié.
Nous avons besoin de communauté parce que la Bible l’exige impérativement.
Enfin, nous avons besoin de communauté parce que la Bible l’exige impérativement. Hébreux 10.25, probablement l’un des versets les plus cités à ce sujet, dit : « N’abandonnons pas notre assemblée, comme c’est la coutume de quelques-uns, mais exhortons-nous mutuellement, et cela d’autant plus que vous voyez le Jour s’approcher. » Pour ce qui est d’un texte preuve, nous avons presque un cas hermétique avec celui-ci. Notez que le mot traduit « assemblée », ἐπισυναγωγή (un mot composé de ἐπι — sur + συν — avec + αγω — pour amener ou diriger) est le même mot utilisé dans la phrase « l’avènement du Seigneur Jésus-Christ et notre rassemblement auprès de lui » à son retour en 2 Thessaloniciens 2.1. Pour revenir à Hébreux 10.25, cette claire exhortation à persévérer dans l’assemblée fait, en réalité, partie d’une pensée beaucoup plus vaste. C’est l’impératif d’une déclaration indicative puissante, c’est-à-dire l’application de ce qui nous a été donné en Jésus (Hb 10.19-21). Parce que nous avons l’audace d’entrer dans le lieu saint (v19a), parce que le Christ était le sacrifice qui a ouvert la voie (v19b-20), et parce qu’il est le souverain sacrificateur sur la maison de Dieu (v21), alors nous ne devrions pas abandonner l’assemblée. Au bout du compte, se rencontrer ensemble est un privilège dynamique et vivifiant qui vient d’en haut. Il trouve son origine dans ce que Jésus a accompli pour nous et qui se traduit par un acte d’adoration.
[1] Par exemple, il y a cette étude : https://www.vie-publique.fr/en-bref/282946-covid-19-les-francais-de-plus-en-plus-touches-par-la-solitude
[2] J’ai trouvé aussi cet article du Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/28/la-delinquance-a-chute-en-2020-avec-le-covid-19-et-les-confinements-exception-faite-des-violences-sexuelles-et-familiales_6067977_3224.html
[3] J. ELLUL, La parole humiliée, La Table Ronde, 1981, réédition 2020, Paris, p.229
[4] J’emprunte cette phrase à Andy Crouch qui l’utilise souvent dans ses écrits.
[5] C.S. LEWIS, The Four Loves, Friendship, Harcourt, Brace, New York, 1960, p.92, Digital Copy, https://ia803108.us.archive.org/19/items/the-four-loves/the-four-loves.pdf
Traduction personnelle de l’originel : “In each of my friends there is something that only some other friend can fully bring out. By myself I am not large enough to call the whole man into activity; I want other lights than my own to show all his facets.”
[6] J’emprunte beaucoup d’un point de vue philosophique dans ce point et le paragraphe suivant à Esther Nightcap Meek et son livre Loving to Know.