Il n’a jamais été aussi facile de trouver du contenu théologique. Internet a rendu ce genre de ressources pour la vie chrétienne accessibles partout – qu’il s’agisse d’études bibliques pour les femmes, de commentaires, de sermons en ligne, de livres, de résumés vidéos de livres bibliques, d’essais sur les doctrines complexes, de vidéos de méditations, ou tout ce que vous pouvez souhaiter. Il est certain qu’il y a, plus que jamais auparavant, du mauvais contenu chrétien mais il y a aussi une tonne de choses utiles, dignes de confiance et solides sur le plan doctrinal. Le monde aura toujours besoin de ressources théologiques solides et de conseils pour la vie chrétienne, et la technologie facilite la diffusion de ces ressources. Nous devrions en être reconnaissants.
Mais même si nous devrions nous réjouir de cette ère d’abondance en ressources chrétiennes – ce que ma collègue Sarah Zylstra appelle « l’abondance théologique » – je m’inquiète de certains de ses effets secondaires. C’est à dire : pourquoi l’augmentation de l’accès au matériel théologique coïncide-t-elle avec un déclin de la fréquentation des Églises chrétiennes ? (NDLR un constat fait par Lifeway research aux US mais qui semble partagé par de nombreux pasteurs en France en cette période de reprise des activités suite au Covid) Se pourrait-il que l’accès facile au contenu théologique nous fasse, d’une manière tordue, considérer l’Église comme inutile ? Après tout, écouter un podcast chrétien ou une application de méditation spirituelle est beaucoup plus facile que de sortir du lit le dimanche matin pour se rendre dans une église. Mais est-ce la même chose ?
Non, ça ne l’est pas.
Deux perversions
Tout comme l’abondance matérielle peut nous empêcher d’aller à l’église le dimanche parce que nous avons les moyens de nous distraire de toutes sortes de façons (vacances à l’étranger, week-ends au lac, matchs de football sur notre écran plat de 90 pouces), l’abondance théologique peut nous empêcher d’aller à l’église parce que nous avons d’innombrables ressources disponibles pour remplir notre « réservoir » théologique pendant la semaine. Pourquoi devrions-nous nous désespérer de devoir assister régulièrement au culte à l’église, en écoutant le message dominical de notre pasteur médiocre, alors que nous pouvons écouter les sermons de John Stott et John Piper sur notre trajet quotidien, cinq jours par semaine ? N’est-ce pas le cas ?
Si ce raisonnement problématique semble raisonnable pour de nombreux chrétiens évangéliques aujourd’hui, c’est en partie parce que nous avons longtemps pratiqué une foi qui est systématiquement corrompue par (au moins) deux perversions :
1. La perversion consumériste
Nous concevons notre foi en termes de « ce que j’ai à y gagner» – qu’il s’agisse d’un sermon réconfortant, d’un groupe d’amis « sûr » (surtout pour nos enfants) ou d’un billet pour échapper à l’enfer. Il y a certainement des gains dans la vie chrétienne (le gain ultime !), mais lorsque nous l’abordons en tant que consommateurs avec des « que pouvez-vous faire pour moi ? », notre foi est inconstante et fragile. Que faisons-nous lorsque le fait d’être chrétien commence à nous coûter quelque chose, lorsque la souffrance arrive, lorsque l’Église devient … inconfortable ? Cette perversion consumériste (amplifiée par les tendances trop individualistes de la culture occidentale) fait que les églises sont devenues des lieux de passage – puisqu’il y aura toujours une église avec un meilleur café, de meilleurs ministères pour enfants, des gens moins ennuyeux, etc. Si l’Église consiste principalement à « obtenir » le meilleur de la chose spirituelle que vous recherchez, vous serez toujours insatisfaits – vous essayerez constamment de nouvelles Églises et finirez peut-être par abandonner ou vous tourner vers Internet. Après tout, les « meilleurs » prédicateurs et la « meilleure » musique de louange se trouvent sur iTunes et non dans votre Église locale.
2. La perversion gnostique
Nous considérons la foi principalement comme une expérience « ayant du contenu ». Elle se trouve dans notre tête et dans notre cœur : ce qui compte, ce sont les idées que nous recueillons dans les livres, les podcasts et les sermons. Nous considérons notre christianisme comme une expérience mentale, désincarnée. Et cela rejoint la perversion du consumérisme, puisque si le christianisme est principalement un « contenu », nous pouvons justifier des normes exigeantes – exiger que la prédication d’une Église soit intellectuellement stimulante, doctrinalement rigoureuse (mais pas trop), culturellement contextualisée, etc. Vous pouvez voir comment cette perversion gnostique pourrait progressivement convaincre quelqu’un que l’Église physique (avec son « contenu » médiocre) est inutile à une époque où un contenu de meilleure qualité se trouve juste à trois touches de smartphone.
Ce que seule l’Église offre
Mais les chrétiens ne sont pas censés être des consommateurs ; nous sommes censés être des serviteurs. Et le Christianisme n’est pas seulement du contenu ; c’est une communauté incarnée et vivante. Un engagement actif et consacré dans l’Église locale nous le rappelle.
Être un chrétien c’est être comme Christ : servir plutôt qu’être servi (Marc 10.45). Vous ne pouvez pas réaliser cela dans votre véhicule en écoutant une émission chrétienne ou en regardant sur YouTube une vidéo au sujet de la Bible. Dans ce type d’activités vous êtes servis. C’est sûr, on vous sert des choses merveilleuses ! Mais cela ne suffit pas. Vous avez aussi besoin de servir les autres et l’Église locale vous y invite. L’Église est l’endroit où les chrétiens se servent les uns les autres (1 Pi. 4:10), s’encouragent l’un l’autre (Héb. 10:25), s’aiment l’un l’autre avec une affection fraternelle et se surpassent les uns les autres en faisant preuve d’honneur mutuel (Rom. 12:10). L’Église est une communauté profondément orientée vers l’amour des autres et le service du monde au-delà d’elle-même.
Le Christianisme, ce n’est pas seulement du contenu. C’est une communauté incarnée et vivante.
L’Église est aussi une communauté incarnée, quelque chose qui ne peut être reproduit à travers les livres et les écrans. À l’ère numérique désincarnée, nous avons l’illusion d’une « connexion » avec nos nombreux followers sur les réseaux sociaux, mais nous sommes toujours seuls et inconnus derrière tous les filtres manipulateurs et les couches de façade. L’Église locale – une communauté incarnée constituée de personnes tangibles restant très proches et gardant le contact régulièrement – peut être un antidote à notre chagrin désincarné. Elle nous enracine dans la réalité et nous rappelle que nous ne sommes pas seulement des cerveaux sur des bâtons. Nous sommes faits pour une connexion physique avec des personnes, et pas seulement pour une connexion informationnelle à travers des écrans.
Dans un monde de solitude et de désincarnation, l’Église offre une belle alternative : une communauté incarnée où, au moins une fois par semaine, vous êtes en présence physique de votre famille ecclésiale. C’est un lieu où les filtres manipulateurs de la vie virtuelle tombent et où l’on peut être connu dans un sens plus vrai, avec tous ses défauts. C’est un lieu où il est plus difficile de cacher nos véritables luttes et nos faiblesses ; un lieu où la guérison – émotionnelle, spirituelle et physique – peut se produire. C’est un lieu où l’on peut faire des choses physiques ensemble : chanter, se lever, s’asseoir, s’agenouiller, s’embrasser, tenter des poignées de main maladroites entre frères, et même manger et boire les éléments de la Sainte Cène. Vous ne pouvez rien obtenir de tout cela au travers de podcasts, d’applications ou de livres audio.
Pas de substitut pour l’Église
Malgré tous les avantages offerts par la surabondance de ressources disponibles en cette ère d’ « abondance théologique », ces ressources ne peuvent pas vous faire sortir de vous-même pour entrer dans une communauté incarnée, orientée vers les autres. Des sites Web comme The Gospel Coalition/[Evangile 21] offrent aux chrétiens de nombreuses ressources (précieuses, je l’espère !), mais ils ne peuvent pas vous donner une communauté comme une Église locale est en mesure de le faire. Ils ne peuvent pas vous distribuer les éléments de la Sainte Cène ni vous permettre de vivre l’expérience du chant communautaire ni de prier les uns pour les autres, semaine après semaine. TGC ne remplace pas une Église. Aucune ressource en ligne ni aucun ministère para-ecclésial n’en est capable.
Des sites Web offrent aux chrétiens de nombreuses ressources, mais ils ne peuvent vous donner tout ce que l’Église peut donner.
Est-il possible de trouver une communauté incarnée en dehors d’une Église ? Bien sûr. Mais la plupart de ces communautés finissent par être ce que Robert Bellah appelle des « enclaves de style de vie » – des groupes de personnes partageant les mêmes idées qui « expriment leur identité par des modèles communs d’apparence, de consommation et de loisirs ». Mais l’Église offre une forme de communauté plus profonde et plus satisfaisante, car elle réunit les gens autour d’autres liens que ceux d’une apparence similaire et d’un goût pour les mêmes choses. Une communauté ecclésiale vous permet de faire partie de quelque chose de plus grand que vous, de côtoyer des gens qui ne sont pas comme vous. Elle vous libère des bulles qui confirment les préjugés et qui vous exposent uniquement à des personnes qui vous soutiennent toujours mais ne vous remettent jamais en question.
L’Église locale n’est pas accessoire ou optionnelle ou remplaçable, même quand des choses qui ressemblent à l’Église sont largement accessibles au bout des doigts. L’Église est et sera toujours centrale à la vie chrétienne : un joyau sans prix que nous devrions thésauriser et ne pas vendre contre quoi que ce soit.
En relation avec ce sujet : L’Église rassemblée, un essai de Jonathan Leeman