Nos vies sont envahies par les images qui y sont déversées, par divers canaux et, en particulier, par la télévision. L’impact de ces images sur l’individu, dans nos sociétés, est souvent puissant. Les médias exercent une vraie pression sur nos vies. Elles peuvent même devenir très anxiogènes.
Le romancier Serge Joncour s’est emparé de cette problématique dans un roman paru en 2006 : Que la paix soit avec vous. On lit, sur la 4e de couverture : « Paris. Été 2003. Il vit seul dans un studio au dernier étage d’un immeuble (…). Devant lui, son poste de télévision sur lequel défilent des images de la guerre en Irak, irréelles et menaçantes … Le narrateur (…) est la parfaite incarnation de la solitude humaine dans les grandes villes. »
Serge Joncour a obtenu le Prix Femina, en 2020, pour son roman Nature humaine.
Dans cet article, je m’appuierai sur le roman de Joncour pour appuyer « là où ça fait mal », aussi, dans nos vies, aujourd’hui.
La vie d’un monsieur-tout-le-monde
Le héros, qui est aussi le narrateur, vit dans un studio, « 22 mètres carrés à soi dans le grand format du monde. »Et que fait-il ? « Je suis là (…) devant la télé, piégé par l’émotion… » Dès l’ouverture du roman, la télévision est bien présentée comme un piège : elle manipule par les émotions.
Cet homme sans nom est en cours de marginalisation : il n’ouvre plus son courrier, il ne paie plus son loyer… « Tout le monde cultive plus ou moins cette arrière-pensée, de sortir un jour du système. » Joncour met en scène un homme pris dans un système oppressant. Un homme qui n’est au cœur du monde que par informations interposées : « Je sais le temps qu’il fait partout dans le monde, sauf ici, je ne suis pas encore sorti. » Rejoindre le monde réel, ou bien les autres, apparaît comme une véritable difficulté.
La télévision comme réalité
La vie peut-elle être conditionnée par la télévision ? Pour certains, oui : «Le soir on allume sa télé comme on demande de l’aide ». Terrible aveu ! Celui d’attendre une aide à vivre de sa télé, au risque, conscient, d’être déçu. On lit juste après : « et souvent c’est l’inverse qui se produit. » La télé n’aide pas à vivre…
Joncour montre un être au monde conditionné par la télé : « Encore une de ces soirées où tous mes projets se confondent avec le programme télé. » Et ce qui vaut pour l’un vaut aussi pour tous : « Le plus émouvant dans le journal de 20 heures, c’est de savoir que tout le monde le regarde en même temps. Tous les soirs je suis de la belle fraternité, j’y participe, un peu en retrait, en spectateur. » Participation volontaire à…une manipulation des émotions : « A la télé l’émotion se décrète, les soirées « spécial fou rire » succèdent aux moments de panique totale, je n’y échappe pas, l’actualité est une peur qui n ‘en finit pas de se réinventer. »
La télévision en vient donc à perturber le rapport à la réalité même, qui « s’assimile de plus en plus à une sphère inconnue. » Le héros prétend regarder pour comprendre, mais « Au fil des reportages on réinvente la réalité, on nous prend plus ou moins pour des spectateurs, par nature prêts à tout croire. » On assiste à une déformation du réel : « La réalité est un feuilleton bien moins rationnel que la fiction. »
La télévision peut faire basculer dans l’irrationnel.
L’angoisse médiatique
Le roman est paru en 2006 et il s’ouvre sur une date : « 11 novembre 2002 ». Le contexte du roman est celui de la Guerre d’Irak, ou seconde Guerre du Golfe, qui commence en effet le 20 mars 2003, et oppose la coalition menée par les États-Unis contre le Parti Baas de Saddam Hussein. Joncour a choisi cet évènement historique précis, comme il aurait pu en prendre un autre, car ce n’est pas le fait en lui-même qui importe, mais ses répercussions sur nos vies intimes.
Nous savons tous combien un événement, passé « à la une », peut être martelé par les médias, au point d’avoir le sentiment qu’il s’intègre à notre vie. C’est le cas pour le héros : « Aujourd’hui c’est vraiment le sentiment de guerre qui domine. » La guerre en question est programmée, montrée, commentée : « Crise en Irak. Je regarde ça avec l’avidité d’un feuilleton. » Pourquoi livre-t-on ainsi son être aux images ? « Tout ça réveille des instincts d’apocalypse. » Le sujet envahit même les échanges interpersonnels : « En ce moment j’ai l’Irak en tête d’une façon démesurée, irrationnelle. – Qu’est-ce que tu racontes ? – Non, rien, je pensais à l’Irak, tu crois qu’il y aura la guerre ? »
Les médias font vaciller le réel : « C’est impensable cette guerre à la fin, un jour on dit qu’on y va tout droit, un jour on n’y va pas. » Comme je le disais auparavant, on peut élargir le phénomène décrit par Joncour à d’autres faits. Il est constant. Nous subissons un véritable matraquage. La réalité devient presque mythique. Ainsi, lorsque le romancier écrit : « Cette fois c’est net, la guerre de Bagdad n’aura pas lieu », on croit entendre un écho du titre de la pièce de Giraudoux : La Guerre de Troie n’aura pas lieu.
A cause de la télévision, on peut avoir mal au réel…
Nous autres frères humains
L’impact des médias est collectif : « Quand l’actualité vire au dramatique, sous le coup d’une tragédie, d’une guerre ou d’un attentat, l’idée de l’humanité me tente, j’en viens presque à me dire que l’homme est le fruit d’une communauté fragile, unique, rassemblée. »
L’humanité est « rassemblée », de manière illusoire, hélas, par le grand spectacle médiatique. Mais Joncour, écrivain humaniste, et conscient des dangers de ce qu’il dénonce, fait aussi référence à d’autres types de rassemblements, authentiques ceux-là : « Un peu partout dans le monde il y avait aujourd’hui des marches pour la paix ». Le héros a du mal, toutefois, à devenir « un humain participant » : « A Paris, je n’ai trouvé personne pour y aller. C’est une tout autre démarche que d’y aller seul. »
D’un côté il est plus facile d’être seul face à l’écran, mais d’un autre, on est enfermé dans le cadre de cet écran, et contraint dans notre mental.
Que la paix soit avec vous
Vous l’avez peut-être oublié au fil de la lecture, mais le titre de ce roman est bien celui-ci : Que la paix soit avec vous. Est-ce de l’ironie ? Très clairement, le thème obsessionnel de ce roman n’est pas la paix, mais la guerre, comme on l’a vu. De plus, ce titre a des connotations religieuses. Il s’agit d’une formule de bénédiction, souvent présente dans la Bible.
J’ai été étonné par la présence d’une référence à Christ au sein du roman. Il arrive parfois que Joncour, sur une page blanche, ne mette qu’une ou deux phrases, comme une respiration dans le cours du récit. A peu près au milieu de celui-ci, voici ce qu’on peut lire : « N’ayez pas peur, dit Jésus à ses apôtres qui le voyaient marcher sur les eaux. Moins tu as peur et plus tu te rapproches de Dieu. » Mais la question est alors : comment avoir moins peur ?
Dans l’évangile de Matthieu, le Christ a évoqué des malheurs à venir : « Vous allez entendre parler de guerres et de bruits de guerres : gardez-vous de vous alarmer car cela doit arriver. » (24 :6) La notation de Joncour : « Tout ça réveille des instincts d’apocalypse », est conforme à la révélation biblique : une apocalypse est à venir, au sens d’une catastrophe épouvantable, précédant la fin du monde. Mais Jésus est bien celui qui rassure. Il a effectivement dit : « N’ayez pas peur » (Matthieu 14 : 27).
Qui peut ne pas avoir peur, lorsqu’il entend « parler de guerres et de bruits de guerres » ? Jésus répond : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. » (Matthieu 24 : 13) Persévérer dans quoi ? Dans la foi et dans l’amour. Cette paix, que Jésus veut, et peut donner, il faut consentir à la recevoir.
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. (…) Que votre cœur ne se trouble pas et ne s’alarme pas. » (Jean 14 : 27)
La réalité présente, bien souvent, est anxiogène, et les médias contribuent à nourrir notre angoisse. Mais… Que la paix soit avec vous !
Pour aller plus loin :
- Devrions-nous abandonner Netflix ?
- Tout est dans l’image
- Médias, titres provocateurs et sagesse chrétienne
- Savoir quand prendre du recul