Si l’attitude de la Bible à l’égard du doute est nuancée (voir l’article précédent), notre attitude devrait l’être aussi. Il est tout aussi faux de condamner le doute que de le cultiver.
Ni le condamner : le doute comme « anticorps »
Condamner le doute purement et simplement serait une erreur. Non seulement parce qu’il n’est pas toujours mauvais (il n’est pas forcément l’expression de notre péché), mais aussi parce qu’il peut avoir un effet bénéfique sur le chrétien.
Pensez aux anticorps que nous avons dans l’organisme. Le doute dans le cœur du croyant fonctionne un peu de la même manière. Lorsqu’une bactérie entre dans l’organisme, celui-ci se met à fabriquer des anticorps, pour combattre cette bactérie. Et à force de fabriquer des anticorps – au fil du temps et des attaques – notre organisme acquiert une grande résistance. De sorte que, quand une bactérie plus virulente ou un virus nous attaque, notre corps est prêt à se défendre, ce qui nous évite de tomber malade !
Le doute, c’est un peu pareil. Si vous n’y prêtez pas attention, mais que vous le balayez simplement du revers de la main en disant : « Ne réfléchis pas trop ! Crois seulement ! », votre foi ressemblera à un organisme sans anticorps. Tout à coup, vous allez passer par une « crise de foi » plus profonde, et vous serez démunis.
Inversement, si vous soumettez votre foi à l’épreuve du doute, vous serez prêts à vous défendre lorsque vous passerez par des crises plus graves ou que vous serez confrontés aux questions difficiles d’un non-croyant. Le doute peut donc avoir un effet bénéfique dans la vie du croyant.
Ni le cultiver : le doute comme « douleur de croissance »
Mais ce n’est pas pour autant qu’il est bénéfique de rester dans un état de doute !
On peut comparer le doute aux « douleur de croissance » de la foi. Quand certains jeunes enfants grandissent trop vite, ils éprouvent de fortes douleurs, dans les jambes notamment (peut-être parce que leurs os grandissent trop vite et que, du coup, les muscles et les tendons sont étirés). Ces douleurs de croissance sont dérangeantes, mais pas graves. Ellesindiquent que le corps est en train de grandir, que l’enfant se développe. Et petit-à-petit, ces douleurs vont diminuer. Il n’y a rien d’inquiétant. Ce qui serait inquiétant, c’est si les douleurs persistaient !
Et c’est pareil avec le doute. Le doute permet à votre foi de grandir. La foi se développe dans la résolution du doute. Et petit-à-petit, la foi se fortifiant, les doutes vont diminuer. Il n’y a rien d’inquiétant. Ce qui serait inquiétant, c’est si les doutes persistaient.
Ainsi, le doute fait partie de la vie chrétienne normale. Si nous ne doutions jamais, cela voudrait dire que nous ne vivrions pas « par la foi ». Il n’y a pas de foi sans une part de doute. Mais… il doit être combattu, car la foi se développe dans la résolution du doute.
Comment combattre le doute ?
La première chose à faire, dans notre combat contre le doute, consiste à en sonder les causes. En effet, le doute ne surgit pas de nulle part dans notre esprit. Il a en général une cause (plus ou moins facile à identifier), à laquelle il est parfoispossible de s’attaquer directement, pour le « tuer dans l’œuf ».
D’abord, il peut y avoir des causes physiques (solitude, fatigue, maladie), comme dans le cas d’Élie en 1 Rois 19. Épuisé émotionnellement par son bras de fer avec Jézabel et rongé par le doute, Élie part au désert et demande à Dieu de lui prendre la vie (v. 5-6). La réponse de Dieu est intéressante : il ne lui donne ni conseil ni explication ; mais Il lui donne un repas et du repos ! Cela nous rappelle que, parfois, « le remède le plus spirituel est aussi le plus pratique1 » ! Si quelqu’un doute parce qu’il est épuisé, le meilleur remède n’est pas de passer la nuit en prière, mais de dormir ; si quelqu’un doute parce qu’il se sent seul, déprimé ou fatigué, il a peut-être avant tout besoin d’exercice physique, d’un bon repas et d’une soirée avec des amis. Ce n’est pas être trivial que de dire cela C’est reconnaître notre humanité. Nous avons été créés corps et âme, et nous ne pouvons pas les dissocier.
Nos doutes peuvent, ensuite, avoir une cause psychologique. Comme Martin Lloyd-Jones l’explique : « Certains croyants semblent particulièrement vulnérables [au doute] sans être pour cela moins ‘spirituels’. Certains, parmi les chrétiens les plus notoires, appartiennent en effet à la catégorie des introvertis… [qui] ont sans cesse tendance à s’analyser, à tout disséquer, à retourner en arrière et entretenir [des doutes].2 » Autrement dit, nous ne sommes pas égaux face au doute. Certains parmi nous, de par leur tempérament, leur éducation ou leurs expériences de vie seront plus facilement sujet au doute. Ayons de la compassion pour eux (Jude 22).
Enfin, nos doutes peuvent avoir une cause spirituelle. Un péché non confessé peut être source de grande agitation intérieure (Psaume 34.3-4). C’est pourquoi, si vous tolérez un péché dans votre vie, cela ne sert à rien de combattre directement les doutes qui en résultent (« Suis-je vraiment chrétien ? L’Évangile est-il vrai si ma vie n’est pas transformée ? »), ils ne s’en iront pas. Attaquez-vous directement à la cause, c’est-à-dire repentez-vous. Renoncez au péché et vous pourrez dire avec le Psalmiste : « Heureux l’homme dont la transgression est enlevée » !
Le doute intellectuel, vis-à-vis de l’Évangile
Au risque de simplifier à l’excès, les différents types de doutes que nous éprouvons peuvent être regroupés en trois grandes « familles », qui nécessitent des réponses différentes.
Il y a d’abord les doutes vis-à-vis de l’Évangile, dus à un manque de connaissance : La Bible est-elle fiable ? Jésus est-il vraiment ressuscité, en avons-nous des preuves ? Comment savoir que Jésus a existé ? Etc. Tant de doutes intellectuels,que nourrissent de nombreux chrétiens, mais qui peuvent être surmontés ! Comment ? Par un examen des fondements rationnels de la foi.
Pensez à l’histoire de Thomas, qu’on appelle parfois « l’apôtre du doute » à cause de son refus de croire à la résurrection du Christ : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous… je ne croirai pas » (Jean 20.25). Cette histoire est souvent mal comprise. En effet, après que Thomas a cru en voyant les mains blessées de Jésus, ce dernier le réprimande en disant : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » (v. 29). Il s’agit d’un reproche. Du coup, certains lisent cette histoire et disent : « Tu vois, il faut avoir la foi ! Ne réfléchis pas trop ! Pourquoi veux-tu des preuves, des raisons intellectuelles de croire ? Crois seulement ! » Et ces gens prennent ce passage comme un plaidoyer pour une foi aveugle, ou simpliste.
Mais est-ce bien là ce que cette histoire nous enseigne ? Absolument pas ! Toute la question est de savoir pourquoi Jésus réprimande Thomas : est-ce parce qu’il refusait de croire sans raison suffisante – parce qu’il avait besoin de preuves pourcroire ? Non ! Si Jésus réprimande Thomas, c’est parce qu’il refusait de croire malgré des raisons plus que suffisantes. En effet, il avait côtoyé Jésus pendant trois ans, il l’avait entendu dire qu’Il mourrait puis ressusciterait, il avait eu le témoignage des autres disciples qui l’avaient vu ressuscité, etc. Jésus ne le critique donc pas parce qu’il avait besoin de preuves pour croire ; Il le critique parce qu’il refusait de croire malgré l’abondance de preuves irréfutables qu’il possédait déjà !
C’est important de comprendre cela : l’appel à la simplicité de la foi ne doit jamais être pris comme un encouragement à une foi simpliste ! Jésus nous dit de « devenir comme des petits-enfants » (Matthieu 18.3). En disant cela, Il nous enseigne à avoir une foi simple… mais pas simpliste, comme quelqu’un qui souhaite que quelque chose soit vrai en dépit du bon sens, contre toute logique ! Au contraire, ils invitent ceux qui doutent – comme Thomas – à examiner les fondements de leur foi. Si la foi va au-delà de ce que la raison humaine peut comprendre, elle ne va jamais à l’encontre de la raison. C’est pourquoi, il est juste et bon d’examiner sérieusement les fondements rationnels de ce que nous croyons.
Le doute personnel, vis-à-vis de soi
Il y a une deuxième famille : les doutes vis-à-vis de soi, dus à un manque de conviction que l’Évangile est non seulement vrai, mais vrai pour moi personnellement ! Savoir que Dieu aime et savoir que Dieu m’aime sont deux choses très différentes. Et certains chrétiens sont ainsi, ils ne cessent de douter de leur salut car ils n’arrivent pas à croire que l’Évangile soit vrai pour eux : Dieu m’a-t-il vraiment pardonné ? Ma repentance est-elle suffisamment sincère ? Comment savoir si ma foi est bien réelle ? Etc.
Tant de doutes personnels peuvent être surmontés. Comment ? En tournant vers Jésus les regards portés sur soi !
Pensez à Pierre marchant sur l’eau. Dans un premier temps, voyant Jésus s’approcher d’eux sur la mer en furie, Pierre obéit à l’ordre de le rejoindre, quitte le bateau et s’avance sur les flots déchaînés. Mais soudain… il commence à s’enfoncer. Pourquoi ? Qu’est-ce qui a changé ? La tempête faisait rage avant l’arrivée de Jésus ; la mer était déchaînée avant que Pierre ne quitte le bateau. À ce niveau-là, rien n’a changé. Ce qui a changé, c’est son regard ! Plutôt que de regarder à Jésus, Pierre a regardé à lui-même. Il a vu les vagues s’agiter et senti la force du vent… et s’est mis à douter : « Voyant que le vent était fort, il eut peur et commença à s’enfoncer » (Matthieu 14.30).
C’est au fond toujours pour cette même raison qu’il nous arrive de douter de notre salut. Certains doutent parce qu’il n’ont pas eu d’expérience dramatique de conversion, ayant grandi dans une famille chrétienne ; d’autres doutent, car en voyant d’autres chrétiens se détourner de la foi, ils se demandent s’ils persévéreront jusqu’à la fin ; etc. Mais dans toutes ces situations, le problème est le même : le regard n’est pas au bon endroit. Il est fixé sur notre foi (« Ma foi est-elle sincère ? Est-elle assez solide pour tenir jusqu’au bout ? ») au lieu d’être fixé sur Jésus. Or, ce n’est pas la foi qui sauve, c’est la foi en Jésus !
Pensez encore à Pierre. Qu’est-ce qui l’a sauvé alors qu’il commençait à s’enfoncer ? C’est Jésus ! Il a tourné les regards vers Lui en disant : « Seigneur sauve-moi ! » Croire, donc, ce n’est pas avoir foi en notre foi en Jésus, c’est avoir foi en Jésus. Strictement parlant, ce n’est même pas la foi en Jésus qui sauve, mais Jésus qui sauve par la foi.
Est-ce que vous doutez de votre conversion, de la réalité ou de la solidité de votre foi ? Arrêtez de regarder à vous-mêmes et tournez vers Jésus vos regards. Car comme le disait Charles Spurgeon : « Satan cherche continuellement à ramener notre regard sur nous-mêmes au lieu de Christ… Si nous voulons obtenir immédiatement la victoire sur le doute et jouir de la paix avec Dieu, il nous faut avoir ‘les yeux fixés sur Jésus’. »
Le doute existentiel, vis-à-vis de Dieu
Il y a enfin une troisième sorte de doutes : ceux que l’on éprouve vis-à-vis de Dieu, et qui sont dus à un manque de confiance.
Noémie, dans la Bible, a été affligée par cette sorte de doute. Après avoir perdu son mari et ses deux fils dans un pays étranger, elle rentre à Bethléem, son lieu d’origine, et dit aux habitants de la ville : « Ne m’appelez pas Noémie ; appelez-moi Mara, car le Tout-Puissant m’a rendu la vie bien amère ! Comblée j’étais partie ; vide l’Éternel me ramène… Le Tout-Puissant m’a fait du mal » (Ruth 1.20-21). Vide ? Ah bon, vraiment ? Nous qui connaissons la fin de l’histoire savons qu’elle ne rentre pas vide, mais accompagnée de sa belle-fille Ruth qui, le moment venu, rétablira sa situation. Mais Noémie ne le voit pas. Elle a une idée de la façon dont les choses doivent se passer – à sa manière, selon son plan. Et voyant comment les choses ont mal tourné, plutôt que de suspendre son jugement et de compter sur Dieu, elle dit : « Ça y est, Dieu m’a abandonnée ! Dieu est contre moi ! » N’est-ce pas ainsi que nousréagissons souvent, même dans des situations bien moins dramatiques qu’elle ?
C’est ce qu’Os Guinness appelle « faire de la théologie par le trou de serrure ». Qu’est-ce que c’est que ça ? Si vous vous êtes déjà retrouvés derrière une porte close, avec l’irrépressible envie de savoir ce qui se passe à l’intérieur, vous le savez bien… Le problème avec les trous de serrure, c’est qu’on n’y voit assez pour élaborer toutes sortes d’hypothèses sur ce qui se passe dans la pièce, mais qu’on y voit trop peu pour tirer les bonnes conclusions. Nous concluons, à partir d’un détail vrai que nous avons vu à travers la serrure, que nous connaissons l’ensemble de ce qui s’y passe, « par un raisonnement aussi grandiose que faux.3 »
Et c’est pareil dans notre vie. Lorsque nous ne comprenons pas ce qui nous arrive, plutôt que de suspendre notre jugement et dire « Dieu sait ! Il y a une raison pour son silence, pour ce qu’Il me fait vivre ! », nous nous entêtons à vouloir percer le mystère. Et c’est là que nos conclusions erronées nous amènent à avoir une image tellement faussée de Dieu que nous finissons par douter de lui : « Dieu se préoccupe-t-il vraiment de moi ? Est-il seulement là, ou me suis-je trompé sur toute la ligne ? »
Que devons-nous faire face à de tels doutes envers Dieu ? Nous devons suspendre notre jugement quant à Ses voies !
C’est ce que l’histoire de Noémie nous apprend. C’est par petites touches, tout au long de son histoire, que l’on découvre que, malgré son silence, Dieu est toujours là, à l’œuvre pour le bien de son peuple. Il nous est dit, par exemple, que Ruth « s’en alla glaner dans un champ et il se trouva que le champ appartenait à Booz, qui était de sa famille » ! Le « hasard » faisant bien les choses, l’auteur ajoute qu’« il se trouva que Booz vint ce jour-là dans son champ ». Au final, Booz finit par épouser Ruth, qui met au monde un fils, Obed, le grand-père du Roi David, arrière-arrière grand-père de Jésus-Christ ! Noémie était-elle rentrée « vide » ? Oh, non… Comme les habitants de Bethléem lui disent à la fin de l’histoire : « Ta belle-fille Ruth vaut mieux pour toi que 7 fils » (Ruth 4.15).
Qu’est-ce que cela nous apprend ? Cela nous apprend que, quand Ruth s’est « attachée » à Noémie, au début de l’histoire (Ruth 1.14), c’est Dieu qui s’est « attaché » à elle, comme Dieu s’attache à vous – même si vous ne pouvez pas le voir ! Ah, si seulement Noémie avait suspendu son jugement, et attendu de voir comment Dieu transformerait son amertume en joie ! Et si seulement nous pouvions apprendre à le faire…
Comprenez bien que « suspendre son jugement » ne signifie pas « arrêter de réfléchir ». Ce n’est pas dire : « Seigneur, je ne te comprends pas, mais je te fais confiance de toute façon ! » Non ! C’est dire plutôt : « Seigneur, je ne te comprends pas dans cette situation, mais je sais pourquoi je te fais confiance ; même si je ne comprends pas, toi tu comprends ! Toi tu sais pourquoi… »
1Os Guinness, Au-delà du doute : la raison au cœur de la foi, Trois-Rivières, éd. Cruciforme, 2018, p. 151.