La question profonde et ultime de la motivation n’est pas : « Qu’est-ce qui me motive? », mais plutôt : « Qui est maître de ce modèle de pensée, de sentiment et de comportement? » Selon la vision biblique, nous sommes des créatures religieuses inéluctablement liées à un dieu ou à un autre. À vrai dire, nous n’éprouvons pas de réels besoins. Nous avons plutôt des maîtres, des seigneurs, des dieux : nous-mêmes, les autres, les objets auxquels nous attachons de l’importance, Satan. L’image d’un cœur et d’une société idolâtres illustre le fait que la motivation humaine comporte forcément une relation à Dieu : qui, hors du vrai Dieu, est mon dieu? Ci-dessous, deux exemples : l’un cher au cœur des béhavioristes, et l’autre au cœur des psychologues humanistes.
La faim en tant qu’idolâtrie
Quand « l’envie de manger » gouverne totalement ou partiellement ma vie, il s’agit en réalité d’un comportement religieux. Moi, « la chair », je suis devenue mon propre dieu, et la nourriture est devenue l’objet de ma volonté, de mes désirs et de mes craintes. La Bible observe le même ensemble de motifs que les sciences béhaviorales appellent les « pulsions primaires ». Bien sûr, un phénomène biologique est enclenché, de même qu’un phénomène psychologique et sociologique. Mais la conceptualisation de la Bible diffère radicalement. Je ne suis pas « dominé par la faim ». Je suis « dominé par la faim plutôt que dominé par Dieu ».
Notre relation à la nourriture présuppose le fait de manger avec gratitude ce que nous reconnaissons avoir reçu, et à le partager généreusement. Or, les désirs normaux tendent à devenir excessifs et à nous asservir : je me livre activement à l’idolâtrie lorsque la sensation normale de la faim est à la source d’un problème de comportement et d’attitudes. L’emprise qu’exerce sur mon cœur une telle idole peut se manifester par divers péchés qui en sont les conséquences logiques : la gourmandise, l’anxiété, l’ingratitude, les obsessions alimentaires, les « troubles de l’alimentation », l’irritabilité quand le repas n’est pas servi à l’heure, convoiter la plus grosse part de la tarte, se montrer avare, manger pour se sentir bien, et ainsi de suite. La racine du comportement problématique se situe dans le cœur et a un lien avec Dieu.
Les idoles du coeur et la foire aux vanités
David Powlison
Les idoles du coeur et la foire aux vanités
David Powlison
Le monde est une « foire aux vanités » qui est composée de séductions et de dangers de toutes sortes, tel que l’exprime de façon remarquable John Bunyan. Une chose ou une autre personne que Jésus-Christ peut s’emparer de notre cœur et devenir l’objet de notre confiance, de nos préoccupations, de notre loyauté, de notre service, de notre crainte et de notre joie. Lorsque c’est le cas, la Bible nous enseigne qu’il s’agit d’une idole.
Les idoles de notre cœur sont à la fois générées de l’intérieur et inspirées par l’extérieur. C’est pourquoi la Bible aborde le problème de l’idolâtrie sous deux volets : le cœur et l’environnement social. Cet essai explique le lien étroit qui existe entre nos idoles personnelles et celles de notre milieu social. Il démontre de quelle manière les motifs d’un cœur désorienté ainsi que les divers systèmes socioculturels peuvent converger vers le péché, et il nous rappelle comment l’Évangile peut nous délivrer à la fois du péché personnel et de l’emprise de faux systèmes de valeurs par lesquels nous nous laissons instinctivement berner.
Toutefois, les idoles qui peuplent notre relation à la nourriture sont tout aussi sociales qu’elles sont biologiques et psychologiques. Il est possible que mon père ait eu des attitudes similaires. Ma mère s’est peut-être tournée vers la nourriture pour recevoir de l’amour et calmer son anxiété. Ils ont sans doute traversé la Grande Crise et vécu de graves privations qui ont laissé leur marque et fait de la nourriture un sujet particulier d’anxiété. La nourriture a peut-être toujours constitué la drogue de prédilection de ma famille : le moyen par lequel s’expriment l’amour, le bonheur, la colère et le pouvoir. Je suis sans doute bombardé de publicités alimentaires évocatrices. Les variantes et les permutations sont presque infinies dans cette problématique.
Notre appartenance à la société des filles et des fils déchus d’Adam atteste que nous serons tous, d’une manière ou d’une autre, idolâtres de la nourriture. L’adhésion à la société de consommation nord-américaine confère une image typique à cette idolâtrie. Un système complexe de valeurs idolâtres peut être relié à l’alimentation. Par exemple, nous convoitons normalement une grande variété de produits alimentaires. Les aliments jouent un rôle dans l’image de la beauté et de la force que nous servons, dans notre désir de santé et notre peur de la mort. La nourriture s’inscrit dans la position sociale : quantités et types de mets, modes de préparation et de consommation. Ainsi, l’appartenance à une société éthiopienne affamée aurait typiquement influencé cette idolâtrie générique de manière différente. L’appartenance à la microsociété que représente ma famille donne un style encore plus particulier à l’idolâtrie alimentaire. Par exemple, il est possible que la faim ait justifié l’irritabilité dans notre système familial et que le fait de manger se soit avéré salutaire : la nourriture a délivré notre famille de la destruction par la faim. Toutefois, à tous les niveaux de participation sociale, mon individualité est préservée. J’appose mon propre sceau idiosyncrasique sur l’idolâtrie alimentaire. Par exemple, je suis sans doute particulièrement asservi aux grignotines Fritos quand je suis tendu. En même temps, cette habitude m’inquiète, notamment parce que je sais que les colorants alimentaires rouges sont cancérigènes!
La sécurité en tant qu’idolâtrie
D’une part, les béhavioristes parlent de « pulsions » et ont tendance à « réduire » leur champ d’intérêt aux similitudes les plus frappantes entre l’humain et l’animal. D’autre part, les humanistes et les existentialistes parlent de « besoins » et tendent à faire des objectifs sociaux et existentiels uniques à l’homme leur point de mire. Cependant, la même critique s’applique aux uns et aux autres. Quand un « besoin de sécurité » gouverne ma vie en tout ou en partie, il s’agit en réalité d’un comportement religieux. Je ne sers pas le Dieu véritable. Le dieu que je sers est celui du respect et de l’approbation des autres, qu’ils soient générés par moi-même ou par l’entourage.
Je suis idolâtre. Ce n’est pas « un besoin de sécurité » qui me motive. Je suis d’abord « dominé par une puissante soif de sécurité plutôt que par Dieu ». Autrement dit, « je crains l’homme » au lieu de craindre Dieu et de lui faire confiance, puisque le désir et la crainte constituent des points de vue complémentaires sur la motivation humaine.
Ainsi, les théories centrées sur les besoins de même que celles centrées sur les pulsions n’incluent jamais la dimension : « plutôt que Dieu ». Cependant, cette dimension est toujours intégrée à la question de la motivation humaine. Ces théories ne parviennent pas à cerner le problème fondamental de l’idolâtrie : les choses qui nous régissent la plupart du temps sont en réalité des désirs démesurés de la chair qui constituent carrément des solutions de rechange au fait de se soumettre aux désirs de l’Esprit.
Bien sûr, nos désirs de sécurité sont à la fois dictés et spontanés. La « foire aux vanités » opère aussi efficacement dans ce domaine qu’elle le fait dans le cas de la faim. Des individus puissants et persuasifs nous séduisent et nous intimident pour susciter tour à tour notre confiance ou notre crainte. Les Écritures nous offrent l’alternative libératrice de la connaissance du Seigneur. Elles nous reprochent d’avoir accordé notre confiance à tort et nous amènent à reconnaître la force des pressions exercées sur nous.
Les idoles : un développement secondaire?
Lorsque des chrétiens adoptent les structures conceptuelles de la psychologie humaniste, ils perdent de vue les éléments fondamentaux à la base de la motivation humaine qui tentent de se substituer à Dieu.
Lorsque des chrétiens adoptent les structures conceptuelles de la psychologie humaniste, ils perdent de vue les éléments fondamentaux à la base de la motivation humaine qui tentent de se substituer à Dieu. Par exemple, plusieurs conseillers chrétiens donnent un caractère absolu au besoin ou désir d’amour. En fins observateurs de la nature humaine, ils conçoivent à juste titre que des êtres déchus et condamnés soient poussés à rechercher la stabilité, l’amour, l’acceptation, l’affirmation. Ils admettent que nous cherchons de telles bénédictions dans de vaines idoles. Puisqu’ils sont des chrétiens engagés, ils souhaitent la plupart du temps amener les gens à faire confiance à Jésus-Christ plutôt qu’à leurs idoles. Cependant, ils ont tort d’utiliser l’a priori du besoin relationnel ardent et universel, la notion du réservoir d’amour qui est vide, pour décrire la réalité d’un cœur partagé entre la foi et l’idolâtrie.
Ils nomment cette réalité « besoin » et prétendent qu’elle a été créée par Dieu. L’idolâtrie devient ainsi une manière inappropriée de répondre à un besoin légitime, et notre incapacité à aimer les autres est perçue comme le résultat de besoins inassouvis. L’Évangile de Christ est redéfini comme étant la façon adéquate de répondre à ce besoin. Par conséquent, selon cette théorie, l’idolâtrie ne constitue qu’un développement secondaire : nos idoles sont un moyen inapproprié de répondre à des besoins légitimes. Se repentir de l’idolâtrie devient également secondaire, puisqu’elle est essentielle à la satisfaction de nos besoins. Cette satisfaction est interprétée comme étant le contenu principal de la bonne nouvelle de Dieu en Christ.
La Bible affirme cependant que l’idolâtrie constitue le facteur principal de la motivation. Nous ne parvenons pas à aimer les gens parce que nous sommes des idolâtres qui n’aiment ni Dieu ni leur prochain. À vrai dire, notre sentiment d’insécurité vient du fait que nous demeurons sous la malédiction de Dieu et que les autres sont tout aussi égocentriques que nous le sommes. Nous sommes déconnectés à la fois de Dieu et des autres et nous créons nous-mêmes cette séparation. L’amour de Dieu nous enseigne néanmoins à nous repentir de notre
« besoin d’amour » et à le considérer comme de la convoitise. Il nous invite à recevoir l’amour véritable et miséricordieux et à apprendre comment aimer plutôt qu’à nous laisser consumer par notre désir d’être aimés.
Les humains éprouvent de la convoitise à l’égard de toutes sortes de faux dieux et même à l’égard de bonnes choses, comme l’amour. Ils tentent ainsi d’échapper à la domination de Dieu. Les divers domaines de la psychologie axés sur le besoin d’amour conservent intact le jardin secret de l’idolâtrie qui se situe au fond du cœur. Dans les faits, la logique qui sous-tend la notion du besoin d’amour est analogue aux faux « évangiles de la santé et de la prospérité », où Jésus comble vos aspirations profondes sans même remettre en question ces aspirations.
Il n’est pas étonnant de constater que la psychologie centrée sur le besoin d’amour n’attire qu’un certain type d’individus en recherche de counseling. À l’évidence, ces individus sont particulièrement branchés sur ce qu’on pourrait appeler les idoles de l’intimité.
En réalité, de telles théories perdent leur attrait dans un cadre « transculturel ». Elles sont moins efficaces auprès de gens pour qui les idoles dominantes ne sont pas celles de l’intimité, mais plutôt des idoles relatives au pouvoir, au rang, aux plaisirs sensuels, à la réussite ou à l’argent, par exemple. Un système axé sur le besoin d’amour doit restreindre son interprétation de telles idoles. Il les considérera comme des versions indirectes et compensatoires du « vrai besoin » qui motive les gens.
La Bible est plus simple. En effet, toute idole peut exercer une emprise indépendante sur le cœur de l’homme. Les idoles peuvent également se fondre en partie l’une dans l’autre. Par exemple, un homme aux prises avec un problème tenace de pornographie et d’impudicité peut expérimenter une délivrance s’il admet avec repentance que sa convoitise exprime sa colère et sa frustration concernant son célibat. Il n’avait jamais reconnu le désir de se marier comme idolâtre. À vrai dire, les idoles peuvent être composées d’un amalgame d’idoles. Toutefois, l’influence qu’exerce à elle seule la convoitise sexuelle la désigne en tant que telle comme une idole.
L’interprétation biblique du thème de l’idolâtrie permet de comprendre pourquoi les modèles axés sur les besoins semblent plausibles. Elle repense aussi complètement ce modèle. Selon la réalité biblique, autrement dit selon la réalité tout court (!), il n’y a rien à l’origine de la motivation humaine qui se rapproche de cet a priori, de ce besoin neutre et normal d’amour.
Le thème biblique de l’idolâtrie fournit un outil pénétrant pour comprendre à la fois les sources du comportement pécheur et ce qui l’alimente. Il est possible de comprendre en profondeur les causes de certains péchés quand on les considère du point de vue de l’idolâtrie : pulsions biologiques, forces psychodynamiques provenant de l’intérieur, conditionnement socioculturel, ou tentations et attaques démoniaques. Cette compréhension permet au counseling chrétien d’être chrétien tant dans sa pratique que par son nom. Ainsi, le counseling devient le ministère aux multiples facettes de la bonne nouvelle de Jésus-Christ.