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Note de l'éditeur : 

La Grèce à la source

La culture européenne a un triple enracinement :

  • dans la Grèce antique
  • dans la culture romaine
  • dans la tradition chrétienne

On relie parfois ce triple enracinement dans les trois villes qui les symbolisent, à savoir ; Athènes, Rome, et Jérusalem.

S’il existe des liens évidents entre Athènes et Rome, par contre, la Bible, elle, ne rien doit rien de la Grèce, et les deux entre même le plus souvent en opposition.

Dans cet ensemble de quatre séquences, nous examinerons chaque fois un outil, provenant de la source grecque, et qui éclaire la culture européenne moderne.

Il s’agit des outils suivants :

  • L’affirmation de Nietzsche : « Ma philosophie, la platonisme inversé. » Quelles sont les répercussions de cet aphorisme ?
  • Les concepts « Eros et Thanatos » dans la pensée de Freud. Ils sont extraits de l’essai Malaise dans la culture, titre révélateur.
  • Pourquoi les dieux grecs Apollon et Dionysos éclairent-ils la modernité, en passant par la philosophie de Nietzsche, qui crée, à partir d’eux, les notions d’« ordre apollinien » et « ordre dionysiaque » ?
  • De la « tekhné » grecque au « dispositif » de la technique moderne, selon Heidegger ; que s’est-il passé ?

1 – Citation de Nietzsche : explications :

Dans les « Notes posthumes » de son ouvrage La naissance de la tragédie, publié en 1972, le philosophe allemand Frédéric Nietzsche (1844-1900) a cette courte affirmation, qui permet de prendre la mesure de son projet philosophique :

« Ma philosophie, le platonisme inversé. »

Pour comprendre ce qu’il veut dire, il faut remonter à Platon, philosophe majeur de l’Antiquité grecque, dont l’influence a été considérable sur la culture européenne. Platon opère une distinction entre le monde sensible et le monde intelligible. Le sensible désigne une perception faussée de la réalité, liée au corps et à nos sens. Cette perception est une illusion parce qu’elle se limite à l’apparence des choses. Comment accéder à leur réalité ? Par l’intelligence et non par la sensibilité. Par la connaissance rationnelle (la raison : logos grec), privilège du philosophe. Celui-ci accède à l’essence (du latin « esse » : être) des choses et il est en mesure de transmettre aux hommes la vérité. Durant des siècles, la culture européenne donnera effectivement la priorité à l’intelligible (la raison) sur le sensible (le corps, les sens).

Que signifie le renversement de cette priorité entrepris par Nietzsche ? Il opère une rupture fondamentale avec la tradition philosophique. Ce qui devient premier, pour lui, ce n’est plus l’intelligible mais le sensible, ce n’est donc plus la raison mais la sensibilité, tout ce qui relève du corps d’abord, et des sens.

2 – Efficience de la citation :

Nous tenons là, avec cette citation de Nietzsche, une clef de compréhension de l’homme moderne.

Nietzsche choisit de poser l’homme dans l’ici le maintenant. Pour lui, l’authenticité du réel n’est plus à chercher dans un au-delà qui n’existe pas.

Nietzsche choisit de poser l’homme dans l’ici le maintenant. Pour lui, l’authenticité du réel n’est plus à chercher dans un au-delà qui n’existe pas. Nietzsche pense que l’on est entré dans les temps de la fin de la métaphysique. Pour lui, il n’y a rien au-delà (méta) de la nature (physis). C’est ce qu’il nomme : le nihilisme (du latin « nihil » : rien). Par ce terme, il prend acte d’un fait culturel : toutes les valeurs (les essences) se sont vidées de leur contenu, comme par exemple, l’idée de « Dieu », qui ne renvoie plus à rien, puisque le ciel est vide (sens de la fameuse petite phrase : « Dieu est mort »).

Nietzsche a engagé, dès le début du XXe s., la culture européenne dans une voie nouvelle, après des siècles de domination de la raison. En affirmant qu’il a inversé le platonisme ; il fait advenir un homme nouveau, dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • Rejet de la métaphysique : la vérité n’est plus à chercher au-delà (nihilisme)
  • L’homme est séparé de l’au-delà
  • Rejet de la rationalité
  • Priorité donnée au corps, aux sens
  • La vie authentique se trouve dans l’ici et le maintenant

On reconnaît bien là des caractéristiques majeures de l’homme moderne.

3 – Perspective biblique :

La culture européenne s’enracine dans la Grèce antique. Mais la Bible, elle, est une autre source (sémite) qui s’oppose le plus souvent à la Grèce.

Le livre des Actes, au chapitre 17, nous rapporte le discours de l’apôtre Paul aux Athéniens, sur l’Aréopage. « Lorsqu’ils entendirent parler de résurrection des morts, les uns se moquèrent et les autres dirent : Nous t’entendrons là-dessus une autre fois. » Pourquoi une réaction aussi violente ? Ce sont deux systèmes de pensée qui se heurtent. D’un côté les Grecs, qui dévalorisent le corps par rapport à l’âme et pour lesquels l’idée d’un corps ressuscité est donc une aberration. De l’autre, la pensée chrétienne, qui n’oppose pas le corps et l’âme mais prend en compte ces deux dimensions de l’être humain, en les reconnaissant les deux comme bonnes et complémentaires.

La meilleure preuve du fait que la foi chrétienne ne dévalorise pas le corps se trouve dans l’Incarnation de Dieu en Jésus-Christ.

Dans la perspective chrétienne, on ne peut cautionner ni la position de Platon, ni celle de Nietzsche. Pour Platon, l’accession à la vérité s’opère uniquement par la raison, sur le plan philosophique, ce que la Bible confirme : « Les Grecs cherchent la sagesse » (1 Corinthiens 1 :22). Dans l’évangile de Jean, Christ affirme : « Je suis le chemin, la vérité et la vie : nul ne vient au Père que par moi » (14:6). Pour Nietzsche, la vie authentique se trouve dans l’ici et le maintenant, dans son corps et par les sens. La Bible ne limite pas la vie de l’homme à l’ici-bas. Elle ouvre l’accès à une « vie éternelle », donnée par le Christ, dans l’ici-bas et le maintenant. Par conséquent, contrairement aux positions extrêmes des Grecs : tout par la raison et de Nietzsche : tout par les sens, le christianisme offre une position médiane. Celle-ci est caractérisée, non par la séparation (raison/corps ; ici-bas/au-delà ; maintenant/éternité) mais  par la réconciliation :

  • Accéder à la vérité par l’intelligence (raison) et par l’expérience vécue (corps) de la rencontre avec le Christ.
  • Vivre pleinement ici, maintenant, et dans son corps, dans la perspective de l’au-delà, et de l’éternité.

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