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Ichthus N°5 – juillet-août 1970 – Page 17 à 24

Sur l’Herméneutique
Par Pierre Courthial
Pasteur de l’Eglise Réformée de l’Annonciation à Paris


« Herméneutique »… c’est le mot à la mode (comme les mots : crise, paradoxe, dialectique… le furent autrefois) On attend tout de l’Herméneutique : qu’elle fasse de l’Ecriture une « Parole vivante », qu’elle ouvre à l’Evangile le monde moderne… Mais, avant tout, qu’est-ce que c’est ?

Le pasteur P. Courthial nous l’explique clairement à la lumière de l’Ecriture sainte elle-même.

I. EXÉGÈSE ET HERMÉNEUTIQUE

Fils de Zeus, roi de l’Olympe, et de Maïa, nymphe des pluies, HERMÈS, après avoir été un enfant rusé et trompeur, voleur et impudent, devint le dieu des voyageurs et des commerçants. Choisi par les autres dieux pour être leur messager, beau parleur persuasif, il fut leur interprète, transmettant et expliquant leurs volontés.

D’où l’herméneutique (= l’interprétation), du verbe grec hermeunèo = interpréter.

Longtemps l’exégèse (= l’explication) et l’herméneutique furent purement et simplement confondues, identifiées.

Ensuite l’herméneutique fut définie comme la science énonçant les principes (la théorie) de l’interprétation, l’exégèse étant alors définie comme la science appliquant, dans la pratique de l’interprétation, les principes établis par l’herméneutique.

Mais aujourd’hui l’exégèse et l’herméneutique sont différenciées autrement. L’exégèse aurait pour tâche de rechercher et d’exposer l’interprétation inscrite dans le texte : ce que le texte dit.

L’herméneutique aurait pour tâche de rechercher et d’exposer l’interprétation actuelle de l’interprétation inscrite dans le texte. Elle serait donc l’interprétation d’une interprétation. Elle serait, peut-on dire, une interprétation au carré.

Comprendre le texte de l’Ecriture serait une opération en deux temps ou à deux niveaux : non pas comprendre seulement ce que le texte dit (exégèse) mais comprendre ce que le texte nous dit (herméneutique).

L’auteur d’une Ecriture vivait et a écrit dans une certaine situation temporelle. Il était là, à tel moment, avec sa personnalité, dans telles ou telles circonstances, dans tel donné culturel, etc. L’exégèse est référentielle à cette situation passée.

Nous vivons, nous, ici et maintenant, hic et nunc, dans telle situation temporelle. L’herméneutique est référentielle à notre situation présente.

Dans un premier temps, ou à un premier niveau, l’exégèse est indispensable pour découvrir l’interprétation ancienne, inscrite dans le texte, de certaines réalités (objectives ou subjectives).

Dans un second temps, ou à un second niveau, l’herméneutique est indispensable pour énoncer l’interprétation actuelle des mêmes réalités.

Autrement dit : l’herméneutique veut traduire pour nous, dans notre situation, ce que l’exégèse nous montre avoir été traduit, dans d’autres situations, par tel (ou tels) auteur (s) de l’Ecriture.

La nouvelle théologie et la nouvelle herméneutique sont une seule et même chose.

II. REMARQUES SUR LA NOUVELLE HERMÉNEUTIQUE

La nouvelle herméneutique a certainement raison de nous dire (ou de nous rappeler) que les textes de l’Ecriture ont été rédigés par des hommes vivant dans des situations passées particulières et s’exprimant, avec leurs personnalités et leurs dons propres, dans un langage et dans un contexte social, politique, économique, culturel différents des nôtres. Aussi les textes bibliques ont-ils besoin d’être traduits, non seulement de l’hébreu et du grec dans les langues d’aujourd’hui, mais aussi de leur situation historique dans notre situation historique.

L’Eglise, dans sa prédication et dans son témoignage, ne peut se contenter, comme elle l’a fait et le fait hélas ! trop souvent de psittacisme (en grec, psittakos = perroquet), en répétant, sans tenir compte des situations différentes, les mots de l’Ecriture sans s’attacher assez à leur sens.

Nous pouvons admettre la distinction ci-dessus entre exégèse et herméneutique : à l’exégèse de rechercher et d’expliquer ce qui est dit dans l’Ecriture ; à l’herméneutique de le traduire fidèlement de la situation passée dans notre situation présente (c’est le service scientifique qu’elle peut et doit rendre à la confession de foi, à la prédication, à l’enseignement et au témoignage, ainsi mieux informés, de l’Eglise).

* * *

Cela dit, la nouvelle herméneutique (= la nouvelle théologie) s’est engagée dans des voies inadmissibles où nous devons résolument refuser de nous engager.

La nouvelle herméneutique (= la nouvelle théologie) oublie que toute l’Ecriture est divinement inspirée, c’est-à-dire que les textes de l’Ecriture ne se présentent pas à nous comme interprétation(s) humaine(s) seulement mais comme interprétation(s) divine(s) de l’œuvre créatrice et rédemptrice du Dieu vivant.

L’Ecriture Sainte est la Parole de Dieu. Aussi l’herméneutique ne doit pas ressembler à son mauvais « patron » Hermès, en prétendant à quelque « divinité », en se montrant brillante et persuasive peut-être, mais, aussi, rusée, trompeuse, voleuse et impudente, s’établissant orgueilleusement au-dessus de l’Ecriture pour la juger et la régenter, au lieu de la servir avec déférence, avec humilité, avec attention, et avec amour.

La nouvelle herméneutique (= la nouvelle théologie) oublie que l’interprétation normative, souveraine et inerrante à laquelle elle doit toujours se ranger, dans la soumission de la foi, est l’interprétation divine, l’interprétation inspirée aux prophètes et aux apôtres choisis et conduits par Dieu, qu’est l’Ecriture Sainte elle-même.

La distance que pose la nouvelle herméneutique entre la Parole de Dieu et la Bible pour ne plus voir en celle-ci que des interprétations humaines de celle-là, et pour traiter la Bible comme si elle n’était qu’un livre humain comme les autres avec des erreurs, des affirmations contestables et des contradictions, et pour distinguer prétendument ce qui serait authentique de ce qui ne le serait pas, fait nécessairement passer l’autorité, de l’Ecriture aux herméneutes.

Alors que l’herméneutique véritable est une science-servante, la nouvelle théologie en fait la science-maîtresse. L’herméneute, alors, dans sa prétendue autonomie scientifique, se prend pour Hermès-dieu. Il se place dans la foulée d’Adam l’apostat plutôt que de suivre Marie, la fidèle « servante du Seigneur » disant : « Qu’il me soit fait selon ta Parole ! »

III. BREVE ESQUISSE D’UNE HERMENEUTIQUE CHRETIENNE

1. L’axiome fondamental

L’herméneutique chrétienne part de l’axiome fondamental, pré-herméneutique ou méta-herméneutique : le texte de l’Ecriture, en son tout et en ses diverses parties, en son corps et en ses divers membres, est — ce qu’il nous dit lui-même qu’il est — la Parole de Dieu.

D’autres herméneutes croient pouvoir partir d’autres axiomes. L’herméneute chrétien, tout simplement, ne le peut pas. Et cela parce que le Christ ressuscité inscrit, par la puissance de l’Esprit Saint, cette vérité axiomatique : « la Bible est la Parole-même de Dieu » au « cœur » de l’herméneute chrétien (comme au « cœur » de tout chrétien fidèle, savant ou non). C’est là l’a priori qui est d’évidence spirituelle pour tous les membres de l’Eglise confessante et militante. L’herméneute chrétien ne peut pas et ne doit pas en démordre.

L’interprète humain ne peut que « suivre » (sans psittacisme, mais tenu par elle) l’interprétation divine qu’est le texte de l’Ecriture. Sinon, il va fatalement s’égarer dans les méandres d’un subjectivisme déboussolé et paiera le prix de son autonomie prétendue en s’enlisant dans les sables mouvants de fausses interprétations de Dieu, du monde et de lui-même.

Les paroles humaines, le langage humain, ne sont pas le produit d’une évolution immanente à la nature, à la créature. Parler est d’abord le propre de Dieu. Nous, les hommes créés à l’image de Dieu, nous ne parlons que parce que Dieu a parlé et ne cesse de parler. L’origine, le soutien, la vérité et la norme de toutes paroles humaines n’est ailleurs qu’en la seule Parole, créatrice et rédemptrice, de Dieu : la Parole de Dieu incarnée, Jésus-Christ, et la Parole de Dieu inscrite qu’est le texte inspiré de la Bible. Dieu seul, en Sa parole et par Sa Parole, est l’Herméneute, l’Interprète souverain. Les hommes ne peuvent être herméneutes et interprètes, en vérité, qu’après Lui et selon (suivant) Sa Parole. Si Dieu n’avait pas interprété et n’interprétait pas, l’homme n’aurait pas interprété et n’interpréterait pas. Quand l’homme ne suit pas fidèlement la Parole de Dieu, il n’interprète plus en vérité mais se perd dans la subjectivité et devient à lui-même un problème herméneutique sans fin, noyé qu’il est alors dans le non-sens et dans l’absurde.

2. La règle fondamentale

La règle fondamentale de l’herméneutique chrétienne, c’est que l’Ecriture doit être interprétée selon l’Ecriture. Cette règle a plusieurs corollaires :

A. L’Ecriture doit être interprétée selon sa structure historique.

La Bible n’est pas « tombée du ciel toute faite » et en forme de « dictionnaire théologique ». Du commencent à la fin, de la Genèse à l’Apocalypse, elle se présente à nous avec les diverses époques, les diverses étapes du développement de l’histoire de la Révélation et du salut, non pas — précisons-le ! — de l’histoire telle que la reconstruisent abusivement les historiens rationalisants depuis deux siècles et plus, mais de l’histoire telle qu’elle est décrite véridiquement par la Bible elle-même.

Il y a, bien sûr, à distinguer en premier lieu entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre l’avant et l’après Jésus-Christ, entre l’ancienne et la nouvelle dispensation de l’Alliance de grâce. Mais l’Ancien Testament, pour ne considérer que lui, est marqué par des « moments » qui définissent des « temps » divers successifs : la création originelle, la chute, le déluge et l’Alliance universelle avec Noé, la triple promesse faite à Abraham : celle d’un peuple qui sortirait de lui (promesse accomplie avec Moïse et l’Exode), celle d’une terre qui appartiendrait à ce peuple (promesse accomplie avec David), celle enfin d’une bénédiction, dans ce peuple et sur cette terre, pour toutes les nations du monde (promesse accomplie par Jésus).

L’interprétation d’un livre, d’un passage, ou d’un verset de l’Ecriture, doit tenir compte de la situation de ce livre, de ce passage, ou de ce verset, dans tel « temps » ou à tel « moment » de l’histoire de la Révélation et du salut. Puisque l’unité organique de la Bible présente une structure historique avec des étapes successives diverses il faut tout autant prendre garde à cette unité qu’à cette diversité. L’herméneute va donc veiller à toujours replacer ce qu’il a à interpréter dans son contexte immédiat (à telle « époque » ou dans telle « période » de l’histoire de la Révélation et du salut) et dans son contexte total (dans la lumière que projette Jésus-Christ sur l’ensemble de la Bible comme expression révélée du grand Dessein de Dieu).

C’est précisément en interprétant la Bible selon sa structure historique que l’herméneute aura ensuite la vraie liberté de passer, sans tricher avec le texte inspiré, de telle situation passée à notre situation présente, et d’appliquer à notre aujourd’hui de l’histoire de l’Eglise et du monde ce que signifie le texte.

Trois auteurs (malheureusement non traduits en français) ont établi les principes d’une sérieuse herméneutique chrétienne. Je signale particulièrement : la Biblical theology de Geerhardus Vos (Eerdmans, 1954), Preaching and Biblical Theology d’Edmund P. Clowney (The Tyndale Press, 1962), et le Treaty of the Great King de Meredith G. Kline (Eerdmans, 1963).

D’autre part, les découvertes archéologiques des dernières décennies apportent au texte de la Bible tel qu’il est, dans sa structure historique à la fois une et diverse, un éclairage dont l’herméneutique profite, et profitera toujours plus et mieux. C’est ce que démontre magistralement un ouvrage (malheureusement encore, non traduit en français) : Acient Orient and Old Testament de K. A. Kitchen (The Tyndale Press. 1966).

B. L’Ecriture doit être interprétée selon sa structure littéraire.

La Bible étant un ensemble d’écrits de formes et de genres divers, l’herméneute devra toujours, pour bien interpréter le texte qu’il étudie et dont il doit transmettre fidèlement le sens, discerner le « style » propre du dit texte, qu’il s’agisse de prose ou de poésie, de narration historique ou de lois, etc. Il devra distinguer le sens littéral qui est toujours le vrai, le bon sens, et le sens littéraliste qui est souvent un mauvais, un faux sens, quand il s’agit de figures, de symboles, de paraboles, etc. Les « styles » étant parfois mêlés, leur discernement pourra alors être difficile. Mais, le texte de l’Ecriture étant normatif et faisant toujours autorité, l’herméneute chrétien décidera moins qu’il ne laissera le texte, interprété selon l’analogia Scripturae, décider lui-même.

Les formes et les genres littéraires occidentaux ou (et) modernes auxquels nous sommes habitués nous conditionnent ; aussi l’interprète devra-t-il veiller à ne pas se laisser induire en erreur par des rapprochements abusifs. Les textes de l’Ecriture ont souvent une forme stylistique sui generis qu’une connaissance en totalité et en profondeur de la Bible peut seule préciser et mettre en lumière : c’est ainsi que l’historiographie biblique, dans laquelle le récit des événements est à la fois sélectif et imprégné, enveloppé, par leur interprétation révélatrice, est tout autre que de l’histoire au sens où elle est généralement entendue aujourd’hui. Les auteurs inspirés nous donnent une authentique représentation des faits (cf. Luc 1.1-4; 2 Pierre 1.16-21), mais selon la perspective, elle-même inspirée, qui est la leur, et qu’il faut apprendre à connaître toujours mieux pour apprécier et saisir ce qu’ils nous communiquent. Quand l’Ecriture nous fournit des chronologies, celles-ci sont exactes mais non pas au sens notarial des modernes ; elles sont souvent « télescopiques ». Elles ne sont pas pour cela moins mais plus significatives et ne nous apportent pas pour cela moins mais plus de vérité. L’historiographie et les chronologies bibliques peuvent être dites « prophétiques » parce que leur intérêt n’est pas dans un rapport abstrait des événements et des noms, mais dans leur enseignement révélateur du Dessein rédempteur de Dieu.

D’autre part, tels textes bibliques voient de plus en plus leur « style » particulier être éclairé et souligné pour nous par des documents extrabibliques découverts par l’archéologie et qui leur sont contemporains. C’est ainsi, par exemple, que le Décalogue, au livre de l’Exode, et le Deutéronome nous apparaissent dans une lumière nouvelle depuis qu’ont été découverts et étudiés les traités de suzeraineté dans le Proche-Orient du second millénaire avant Jésus-Christ. Le style et l’organisation de ces traités correspond, d’une manière parallèle étonnante, au style et à l’organisation des traités d’alliance de Dieu avec Israël au temps de Moïse. Ce qui infirme, de façon décisive à nos yeux, les théories hypothétiques et rationalistes, devenues hélas ! dogmatiques, de Wellhausen et de ses disciples quant au mode et à l’époque de la composition du Pentateuque.

C. L’Ecriture doit être interprétée selon sa structure christologique.

C’est Jésus Lui-même qui le dit :

« Le Père qui M’a envoyé a rendu Lui-même témoignage de Moi. Vous n’avez jamais entendu Sa voix, et vous n’avez pas vu Son visage, et Sa parole ne demeure pas en vous, parce que vous ne croyez pas en Celui qu’il a envoyé. Vous sondez les Ecritures parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage de Moi. Et vous ne voulez pas venir à Moi pour avoir la vie » (Jean 5.37-40).

Et encore :

« Commençant par Moïse et par tous les Prophètes, Il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui Le concernait…

« Il fallait que s’accomplit tout ce qui est écrit de Moi dans la Loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes ». Alors II leur ouvrit l’esprit afin qu’ils comprissent les Ecritures » (Luc 24.27 et 44.45).

Jésus parlait là de la totalité de la Bible reconnue par Israël comme étant ce qu’elle est : la Parole de Dieu, avec ses trois parties : la Loi (la Torah, le Pentateuque), les Prophètes (les Nebîîm, comprenant, avec l’œuvre des prophètes-écrivains, ce que nous appelons les « livres historiques ») et les Psaumes (le livre « christologique » par excellence qui est au cœur des Ketoubîm, la troisième division du canon de l’Ancien Testament).

Nous devons y ajouter, nous qui sommes l’Eglise, l’ensemble des écrits apostoliques qui forment le Nouveau Testament (« Qui vous écoute M’écoute ! » (Luc 10.16) a dit Jésus à Ses apôtres). Ainsi la Bible tout entière, de la Genèse à l’Apocalypse, se réfère au Christ, à la Parole éternelle et personnelle de Dieu qu’est le Fils unique du Père, avant son incarnation, dans Son incarnation, et dans Son incessante action créatrice et rédemptrice de l’origine de l’histoire jusqu’à Son avènement en gloire. L’herméneutique véritable ne peut interpréter l’Ancien et le Nouveau Testament que selon la structure christologique qui est essentiellement la leur. L’Ancien et le Nouveau Testaments s’éclairent réciproquement.

Certes, l’herméneute devra prendre garde au danger d’arbitraire auquel ont souvent succombé hélas ! les « allégoristes » de l’antique école d’Alexandrie, tels Clément et Origène, et du Moyen Age, comme aussi, parmi les modernes, des exégètes tels Vischer et Hellbart. La structure christologique de l’Ecriture ne peut pas et ne doit pas être dissociée de sa structure historique, avec la diversité temporelle des « moments » et des « temps » qui la composent, et de sa structure littéraire avec la diversité stylistique des formes et des genres qu’elle comprend. Autrement dit : l’herméneutique christologique ne doit déformer, atténuer et évacuer ni le caractère historique, et par conséquent progressif, de la Révélation biblique, ni la variété littéraire des écrits canoniques. L’interprétation christologique ne doit jamais être imposée artificiellement et subjectivement au texte — ce qui aboutit toujours d’ailleurs à le « monotoniser » — mais venir de ce que dit le texte lui-même dans sa particularité historique et littéraire.

Il reste néanmoins certain que la Parole de Dieu personnelle (Christ, le Fils unique du Père) et la Parole de Dieu écrite (Ancien et Nouveau Testaments) sont, ensemble et inséparablement, bien que distinctes, l’unique Vérité que nous devons accueillir et servir. L’une ne peut être connue, crue, aimée et obéie, que par l’autre. Le mouvement rédempteur et eschatologique du Dessein de Dieu, inscrit par l’Esprit Saint dans la Bible tout entière, tient précisément à la structure christologique de celle-ci. L’unité profonde et totale de la structure historique et de la structure littéraire de l’Ecriture est réalisée par et dans sa structure christologique. Christ est le Roi, humble et glorieux, souffrant et exalté dont le visage mystérieux brille d’une douce et forte lumière à toutes les pages de l’Ecriture : Le connaître, c’est la connaître ; la connaître, c’est Le connaître. A la gloire de Dieu et pour le salut des hommes et de la création tout entière. Il s’agit du grand Mystère du Père, du Fils et du Saint-Esprit, révélé dans la « chair » du Fils unique et dans le « texte » de l’Ecriture.

3. La situation fondamentale

L’herméneutique chrétienne trouve sa situation fondamentale dans la communion de l’Eglise.

L’herméneute chrétien n’est pas un individu isolé. Sa tâche s’inscrit dans la communion du peuple de l’Alliance, selon la Parole :

« Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis afin que vous annonciez les vertus de Celui qui vous a appelés des Ténèbres à Son admirable Lumière » (1 Pierre 2:9).

D’Abraham à la fin de l’histoire, sous l’ancienne comme sous la nouvelle dispensation de l’Alliance de grâce, le peuple de Dieu est UN.

L’herméneute chrétien ne peut donc pas poursuivre ses recherches, accomplir son ministère, interpréter l’Ecriture, sans tenir compte de la situation qui est et doit demeurer la sienne : au sein de l’Eglise de Dieu.

Selon Sa promesse : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28.20), « L’Esprit de vérité vous conduira dans toute la vérité » (Jean 16:13), Jésus conduit les Siens au long de leur marche historique à travers les siècles.

Aussi l’herméneutique chrétienne n’a-t-elle jamais cessé, ne cesse-t-elle pas, et ne cessera-t-elle pas, en dépit de crises plus ou moins profondes, et malgré certains égarements et reculs plus ou moins graves, de progresser. De même que la dogmatique chrétienne. Et souvent en même temps. Au reste la dogmatique ecclésiale ne progresse jamais qu’en suite d’une progression de l’herméneutique ecclésiale. Si Tertullien, quant à la doctrine de la Trinité, Athanase, quant à la doctrine de l’Incarnation, Augustin, quant aux doctrines du péché et de la grâce, Anselme, quant à la doctrine de l’expiation, Luther, quant à la doctrine de la justification, Calvin, quant à la doctrine de l’Ecriture, Dooyeweerd, quant à la doctrine de l’universalité de la Loi de Dieu, ont fait avancer la réflexion dogmatique de l’Eglise, cela a toujours été sur le fondement d’une réflexion herméneutique plus poussée. L’herméneute comme le dogmaticien chrétiens s’entendent toujours dire : « D’autres ont travaillé ; et vous êtes entrés dans leur travail » (Jean 4.38).

Quand l’herméneutique chrétienne se veut et se garde en situation d’Eglise, elle peut profiter de toute la grande tradition ecclésiale humblement fidèle à la seule Parole de Dieu et à toute la Parole de Dieu, elle peut aider les autres disciplines théologiques telles la dogmatique, l’éthique et l’apologétique.

Quand l’herméneutique chrétienne se veut et se garde en situation d’Eglise, l’ensemble de l’Eglise, la mission, l’évangélisation et l’action chrétiennes profitent de ses recherches, de ses découvertes et de ses progrès, comme elle profitent aussi des autres disciplines théologiques. Le tout est que chacun, selon sa vocation au service de Dieu, de ses frères et de ses prochains, du plus savant au moins savant, se laisse conduire par la souveraine et merveilleuse Parole de Dieu, par le Seigneur de l’Ecriture et par l’Ecriture du Seigneur.

Il est normal que l’herméneutique soit en situation ecclésiale puisque l’origine du canon biblique, du texte de l’Ecriture en tant que Parole de Dieu, coïncide avec l’origine du peuple de Dieu par l’alliance conclue par Dieu avec Israël au Sinaï.

Dès son départ dans l’histoire, l’Eglise de Dieu s’est ainsi trouvée placée sous l’autorité de paroles de Dieu inscrites, par le mystère de l’inspiration, dans des textes. Et c’est au nom du Dieu vivant que Moïse dit alors à Israël :

« Vous n’ajouterez rien à ce que je vous prescris, et vous n’en retrancherez rien ; mais vous observerez les commandements du Seigneur, votre Dieu, tels que je vous les prescris » (Deutéronome 4:2).

Au terme de l’inscription (de l’ « inscripturation » canonique), l’auteur de l’Apocalypse dira et avertira pareillement :

« Je le déclare à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre : Si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce livre ; et si quelqu’un retranche quelque chose des paroles du livre de cette prophétie, Dieu retranchera sa part de l’Arbre de la vie et de la ville sainte, décrits dans ce livre » (Apocalypse 22.18-19).

A bon entendeur (et à bon herméneute), SALUT !

 

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