Christ est au centre de cette terrible scène de la crucifixion. Cette croix infâme qui a traversé les décennies, les siècles même… qu’on trouve dans les églises, sur les bords de route, au cou des croyants ou suspendue dans les maisons. Cette croix, symbole de lien entre Dieu et l’humanité, preuve de la cruauté humaine et du don délibéré du Très-Haut. Mais, sur ce mont Golgotha, il était plus qu’une croix. Il y avait là deux autres condamnés, des « malfaiteurs », des « brigands », crucifiés également… persona non grata dont on ignore le nom et le motif de condamnation (sans doute un meurtre). Mais ils étaient là. Bel et bien présents. Leur présence est évoquée par Matthieu, Marc, Luc et Jean qui précisent leur emplacement : de part et d’autre de Jésus (Matthieu 27.38, Marc 15.27, Luc 23.33 et Jean 19.18). Matthieu dit d’eux qu’ils insultaient Jésus (Matthieu 27.44), ce que Marc confirme (Marc 15.32). Mais dans le reportage de cette scène terrible qu’est la crucifixion, de l’événement le plus connu de toute l’humanité, c’est Luc qui se veut le rapporteur d’une conversation semble-t-il anodine : un larron qui s’adresse au Roi mourant. Tragique scène dépeinte dans des dizaines d’œuvres d’art mais formidable rappel du salut offert au pécheur.
La scène est facilement imaginable tant elle a été représentée sous des formes différentes. Une croix, deux croix de part et d’autre et trois humains transpercés par les clous, haletants et meurtris dans leur chair. Aux pieds de ces croix, des soldats qui font leur travail et s’offrent une pause « tirage au sort de la tunique ». Un public mixte fait de badauds, de chefs religieux, d’autres soldats, d’amis de Jésus se tient là, attendant le dernier souffle des affreux malfrats. On apprend que les gens se moquent, provoquent Jésus en lui demandant de descendre de la croix « afin que nous voyions et que nous croyions ! » (Marc 14.32). Ils remettent en question sa royauté car il semble incapable à cet instant précis de se sauver lui-même… Ils vont même jusqu’à provoquer Dieu le Père en lui demandant de venir sauver Dieu le Fils (Matthieu 27.43). Il devait y en avoir du bruit autour de ces croix…des tons agressifs, un esprit de dédain, des provocations, des cris de personnes éplorées également… et pourtant, une conversation qui va bouleverser le destin d’un individu lambda nous est rapportée. Ce n’est pas un hasard. Cet échange verbal atypique révèle à lui seul comment faire pour entrer dans le royaume de Dieu en trois étapes.
1. Le brigand reconnait ses méfaits
Un des brigands demande à Christ de le sauver, lui et l’autre malfaiteur. Après tout, il est le Christ, c’est normal, il est venu sur terre pour ça ! Mais il ne le fait pas sur le ton de la supplication, ni sur le ton d’une demande de service. Luc précise qu’il « l’injuriait » (littéralement, « blasphémait », Luc 23.39) … L’autre intervient : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? ». Le deuxième larron ne se cherche pas des excuses, ne rejette pas ses fautes sur un autre ou sur des circonstances malheureuses qui l’auraient poussé à mal agir. Bien au contraire, sa confession est bien réelle : « Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes. » (23.41). Il est là, lui aussi cloué sur ce bois. Conscient que la terrible peine qu’il endure est la conséquence logique de ses mauvais choix, de ses actes répréhensibles, de sa nature déchue. Il ne plaide pas les circonstances atténuantes. Il assume, disant avec ses mots ce que l’apôtre Paul écrira plus tard : « En effet, le salaire du péché, c’est la mort ». (Romains 6.23) Un constat. Une confession.
2. Le brigand reconnait la justice de Jésus
Mais l’action du malfaiteur ne se limite pas à reconnaître son état de pécheur. Il voit bien au-delà de la dureté de son cœur et saisit une mesure de la personne de Christ. « Celui-ci n’a rien fait de mal » (23.41), dit-il à l’autre brigand aigri. Un homme est cloué à côté de lui, châtiment terrible de mort certaine réservé aux criminels. Mais il voit en cet homme quelqu’un de juste qui n’aurait pas dû se retrouver sur le bois. Il a entendu le silence de Jésus face aux provocations des spectateurs. Il a arpenté les rues de Jérusalem quelques heures plus tôt à ses côtés (23.32) et sans doute a-t-il eu écho des pleurs des femmes et du souci de Jésus qui les encourageait à ne pas pleurer sur lui mais à pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants (23.28). On est dans la spéculation, certes, mais qui dit que ce larron n’a pas été, à un moment de sa vie, témoin des procès intentés à Jésus, avec ces faux accusateurs et ce lavage de mains ? Qui dit qu’il n’a pas été témoin d’un des nombreux miracles de Jésus, des guérisons diverses, des démons chassés, des paroles de sagesse ? … Peut-être a-t-il même un jour goûté le pain et le poisson de la multiplication ? Nul ne le sait. Ce qu’on lit dans les propos de Luc, c’est que cet homme fautif voit en Jésus l’incarnation divine, victime d’une injustice criante… et pourtant capable de venir régner un jour. Il voit en Jésus un roi. Un roi ? Mais qu’a-t-il à ses côtés ? Un individu d’une trentaine d’années au dos lacéré par le fouet. Un homme « sans éclat ni beauté pour attirer les regards » attaché par des clous à une planche de bois. Il a près de lui un homme qui souffre, qui perd son souffle. Dont le front est abimé par la couronne d’épines. A qui on a volé le manteau. Un homme nu offert au regard sarcastique et méprisant de ceux qui voulaient sa mort. Pas d’or, pas de trompettes qui chantent, pas d’armées d’anges ni de bijoux somptueux. Pas de serviteurs à genoux, de festins copieux, de robes de velours ou de palais luxueux. Juste cette couronne d’épines et ce manteau déchiré. Et pourtant, il voit un roi. Waouh, ça c’est de la foi et quelle marque de foi !
Cet homme fautif voit en Jésus l’incarnation divine, victime d’une injustice criante… et pourtant capable de venir régner un jour. Il voit en Jésus un roi.
3. Le brigand adresse une supplication à Jésus
Monsieur Z, ce brigand anonyme dont l’histoire a traversé les siècles, dont la fin de vie a été écrite, lue et racontée depuis deux mille ans, monsieur « tueur-menteur-voleur-cupide-jaloux-égoïste-vantard-et tout ce qu’on peut penser, faire ou dire qui nous place au-dessus des autres et de Dieu », eh bien ce monsieur-là, bien qu’il ne puisse le faire de façon tangible, se met à genoux devant le Messie. D’une voix qu’on imagine suppliante, il adresse une humble prière à Jésus : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne » (23.42). Comme s’il lui demandait juste une petite place. Un petit espace dans son cerveau pour ne pas oublier son compagnon de crucifixion. Cet homme si près des portes de la mort adresse cette ultime requête à Jésus : avoir une place dans le Royaume céleste, dans la gloire divine, dans l’espace où mort et péché périront à jamais, là où bonheur et justice séjourneront pour toujours. Dans quelques minutes, le cœur de cet homme va s’arrêter. Le sang tarira dans ses veines et son souffle s’affaiblira jusqu’à s’éteindre définitivement. Il veut vivre aux côtés du Créateur. Il veut s’incliner devant le divin. Mais il a les pieds attachés, les mains clouées, la force disparue et la douleur omniprésente. Pas le temps pour lui d’aller offrir l’agneau pascal. Pas le temps de voir le sacrificateur. Pas le temps de donner de l’argent aux pauvres, de soutenir les démunis, d’encourager les affaiblis ou de pardonner à ses ennemis. Pas le temps. Il ne vient à Christ qu’avec son péché, avec cette croix qui lui arrache la peau. Il vient tout nu devant le seul qui peut effacer sa faute, payer véritablement ses crimes et lui offrir un pardon complet, total, durable. Il n’a rien d’autre à offrir que lui-même, la reconnaissance de sa petitesse, la reconnaissance de son péché ainsi que la reconnaissance de la grandeur, de la justice et de la bienveillance de Celui qui est là, pendu au bois comme lui. Et c’est suffisant.
C’est suffisant. Jésus le sait, Jésus le dit, Jésus le certifie : « Je te le dis, en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (23.43). Ce n’est pas une promesse électorale. Ce n’est pas un mot soufflé dans un élan de folie du à la souffrance physique. Pas une parole de circonstance pour avoir la paix et ne plus être importuné. C’est une parole de vérité : Jésus, le Roi créateur, acceptera dans la splendeur de son royaume cet individu quelconque, condamné à cause de méfaits répugnants. Jésus, le Prince de vie ouvrira dans quelques minutes les portes du paradis à un individu qui n’a rien fait pour le mériter. Il n’a pas eu besoin de prières récitées, de cierges brûlés, de billets donnés dans un panier, de paniers-repas distribués. C’est la grâce. Toute la grâce. Rien que la grâce. Jésus accueille le pécheur repentant ici et maintenant. Assurément.
Il n’a rien d’autre à offrir que lui-même, la reconnaissance de sa petitesse, la reconnaissance de son péché ainsi que la reconnaissance de la grandeur, de la justice et de la bienveillance de Celui qui est là, pendu au bois comme lui.
En ces temps de Pâques où nos yeux se tournent vers le mont Golgotha qui a scellé le sacrifice suprême, le récit de Luc ne peut nous laisser indifférents. Deux individus qui auraient pu passer inaperçus représentent à eux deux les destins de toute l’humanité : d’un côté, cet homme incrédule qui cherche à échapper à la justice en souhaitant ne pas purger sa peine tout en donnant des ordres au Très-Haut. De l’autre, cet homme malfaiteur, certes, mais conscient des conséquences de son péché, conscient de sa finitude et de sa petitesse et surtout confiant en Celui seul qui peut le délivrer. Deux individus, deux destins. Christ au centre. Tout comme pour l’échanson et le panetier dans l’histoire de Joseph, il est un moment dans la vie où l’on se voit confronté à la personne du « Jeshoua », du « Sauveur ». En sa présence, seulement 2 issues possibles : la mort éternelle ou la vie éternelle. Il n’y a pas de troisième larron. Il n’y a pas d’autre scénario. Il n’y a pas d’autre issue.
Alors oui, il a finalement rendu son dernier souffle, ce monsieur Z. Mais la grâce du Roi des rois, saisie par la foi du malfrat repentant lui a offert une place de choix, dans le palais du Roi. Grâce et foi. Alléluia !