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« L’étude des phénomènes de vieillissement », la gérontologie, devient de plus en plus à la mode. Cette science est encore peu affermie mais elle a un bel avenir.

 

D’abord, la jeunesse…

Notre temps aime les extrêmes. De puis un quart de siècle, on a beaucoup étudié la jeunesse et on a bien fait. L’explosion démographique de l’après-guerre dans les pays de l’Europe de l’Ouest, en particulier, a été à cet égard un événement contraignant. Cette étude a-t-elle été bien menée ? Ses conséquences ont-elles été satisfaisantes ? Répondre « oui » serait aussi excessif que dire « non ».

Un fait mérite d’être souligné : les progrès de la médecine ont permis la survie de nombreux enfants qui, précédemment, ne dépassaient pas leur première année. Grâce à des soins attentifs et techniquement élaborés, ces enfants sont en train de devenir les adultes d’aujourd’hui avant d’être les vieillards de demain.

 

Maintenant, la vieillesse

Le nombre des personnes âgées va donc croissant en même temps, remarquons-le, que le phénomène de vieillissement va s’accélérant. Les progrès de plus en plus rapides de la technique ont produit ce fruit empoisonné : alors que chaque être humain a une espérance de vie considérablement accrue en un faible espace de temps, son aptitude à s’insérer dans la vie de la communauté a décru plus encore ; si bien qu’à 40 ans, un individu éprouve déjà des difficultés à « rester dans la course », alors qu’il a encore près de la moitié de sa vie à vivre !

Peut-on imaginer situation plus paradoxale ? C’est, en effet, un spectacle assez émouvant que cette foule grossissante de personnes encore dans la force de l’âge, ou ne l’étant plus, victimes du même rejet opéré par une société qui croit n’avoir plus pour elle que l’obligation morale de la supporter.

D’où, depuis quelques années, les campagnes en faveur des personnes âgées. Assurer une vieillesse décente est un devoir : c’est s’acquitter d’une dette de reconnaissance, c’est acquérir une bonne conscience. Mais cela coûte cher… car c’est une dépense improductive1, qui relève de l’esthétique. La vie quotidienne est assez dure pour qu’on n’y ajoute pas le spectacle de la déchéance physique et intellectuelle, voire morale, de vieillards malheureux ou acariâtres. Aussi, notons-le, a-t-on consenti de nombreux efforts pour multiplier les maisons d’accueil selon des formules en amélioration constante. Mais nul n’ignore que bien des personnes âgées restent solitaires, vivant de façon précaire, se terrant plutôt que de faire connaître leurs besoins, préférant la liberté avec ses problèmes, voire ses drames, aux bienfaits trompeurs d’un économat efficient.

Problème insoluble ? Problème difficile assurément.

Où en sommes-nous ? Les jeunes vivent entre eux, d’un côté ; les adultes font de même, par tranche d’âge, mais ils se savent en route vers une autre période de la vie, la vieillesse, au cours de laquelle ils seront également regroupés ensemble et coupés des autres. Ghetto des jeunes, ghetto des vieux, ghetto de l’entre deux ! Caricature ? Pas tant que cela.

Alors, pas d’espoir ? Faut-il en venir à penser que le fameux cocotier des anciens n’était pas au fond plus cruel que ne l’est, aujourd’hui, le comportement de notre société, qui consiste à maintenir en vie, ou en survie, bien des êtres qui ne peuvent plus avoir de rôle actif ?

 

L’activité… le fin mot de l’affaire

L’activité, voilà le fin mot de l’affaire. Comment décider, dans une communauté de personnes, qu’un ou plusieurs de ses membres n’ont, désormais, plus rien à faire pour que vive — et donc se développe — cette communauté ? N’est-ce pas, en fait, mutiler celle-ci que de qualifier d’inactifscertains de ses membres ?

Une communauté, c’est quelque chose de dynamique et de vivant, c’est-à-dire quelque chose de diversifié et de complexe où chaque élément a sa fonction spécifique. Chaque personne donne et reçoit plus ou moins, d’une manière ou d’une autre, de façon variable selon les époques. C’est la richesse vivante d’une vraie communauté que la conviction que tous ses membres ont une valeur3, donc une utilité, pour sa survie, ou mieux pour sa croissance.

Aussi est-il difficile de faire montre de la même sévérité que le professeur Michel Philibert, spécialiste en gérontologie, à l’encontre, notamment, du pape Paul VI « . Priver les cardinaux âgés de 80 ans du droit d’élire le pape et de demeurer membres des congrégations romaines ne signifie pas que le pontife romain « se conforme sur ce point au siècle présent et rende peu manifeste le renouvellement de l’intelligence auquel Saint Paul, son patron, dans sa lettre aux Romains, nous exhorte tous (12, v. 2) ». Je me demande s’il n’y a pas là une interprétation un peu particulière d’un verset isolé de la Bible. Lisez, en effet, la suite de ce passage jusqu’au verset 8 : il me semble que plus qu’une critiquée l’encontre de ceux qui fixent un âge pour la retraite, il y a une exhortation à une action diversifiée selon les dons et les aptitudes de chacun… sans aucune allusion à l’âge.

Le professeur Michel Philibert aurait préféré — parce que « plus juste, plus vrai, plus évangélique » — qu’on demande « la démission ou le changement d’emploi de quiconque, cardinal inclus, ne sera pas ou ne sera plus en état d’assumer ses responsabilités, quelque soit son âge. » En revanche, on devrait maintenir « en fonction, quelque soit son âge, quiconque demeure en état de l’exercer. La fixation de limites d’âge chronologiques est une erreur et une lâcheté. On eut aimé que l’Eglise romaine n’y cédât pas. » 4

Il est bien vrai que les limites d’âge d’une façon générale sont génératrices d’injustices et frisent, parfois, l’incurie. Mais il en est ainsi de beaucoup de nos règlements humains. Dans ce monde, rien n’est parfait et, pour ce qui est des affaires, l’expérience montre qu’il est aussi difficile de « décrocher » soi-même que de « remercier » quelqu’un. C’est pourquoi les limites d’âge instituées font partie de ces sécurités humaines — qu’il faut, bien sûr, veiller à ne pas rendre abusives — qui seront notre lot jusqu’au renouvellement de toutes choses.

Ceci dit, j’ai un peu de peine à comprendre comment le professeur Michel Philibert accepte de donner l’impression de ne pas voir que la pointe du combat à mener aujourd’hui, dans notre civilisation occidentale, se trouve dans cette constatation toute simple : prendre sa retraite ne veut pas dire devenir oisif.

Dès lors, tout devient facile : selon les dons reçus, selon les aptitudes physiques, intellectuelles, affectives dont chacun dispose à un instant donné, tout s’organise. Chacun, vieux ou jeune, a sa place et sa fonction : bien malin qui pourra dire qui est le plus utile au sens total du terme… et non pas seule ment à son seul sens économique.

Qu’est-ce que cela signifie pour chaque individu ? Quelque chose de tout simple : au fur et à mesure que le temps passe, sa condition et sa fonction évoluent… il est en état de reconversion permanente, c’est-à-dire en état d’activité constante. Les jeunes ont besoin des vieux, les vieux ont besoin des jeunes et ceux « de l’entre deux » ont besoin des deux. Chacun a besoin de l’autre, chacun est utile à l’autre.

Autrefois — il n’y a pas si longtemps — la cellule familiale était le théâtre de ce côtoiement permanent des différentes générations. Tout n’était pas harmonie, bien sûr, mais à tout bien considérer, les savants gérontologues arrivent, tout doucement, à la persuasion que cette organisation comportait un facteur d’équilibre interne salutaire pour tous les membres de la famille, facteur dont la disparition explique probablement nombre des problèmes actuels de comportement, non seulement, chez les personnes âgées, mais aussi, et peut-être surtout, chez les jeunes.

 

Et les chrétiens ?

Il devrait être moins difficile aux chrétiens qu’à tout autre de résoudre ce problème de relations entre les âges.

Un chrétien n’est jamais inactif même si professionnellement il est en retraite. En effet, tant que Dieu laisse quelqu’un en vie, c’est qu’il a besoin d’être servi par lui dans la personne des autres hommes. C’est une évidence, non seulement, pour chacun, mais aussi, pour les autres. Et le secret du bonheur à tout âge est la recherche confiante de cette tâche à accomplir : à certains moments, on a le privilège de se sentir vraiment productif, alors qu’on l’est peut-être moins, selon la sagesse de Dieu, qu’à une autre période de la vie où, selon la sagesse des hommes, on se sent sur tout une charge. Il faut relire, à cet égard, l’étonnant passage de la première lettre de Saint Paul aux Corinthiens (12, v. 14 à 31).

Nous n’avons pas à être juge de notre utilité : mais personne — pas plus nous que les autres — ne doit douter de sa réalité. De même, à l’inverse, nous pouvons parfois éprouver de la peine à découvrir l’utilité effective de telle ou telle personne de notre entourage… qu’importe ! Soyons seulement assurés qu’elle n’en existe pas moins. Quelquefois, mieux que des actes ou des paroles, un simple sourire, une présence muette toute chargée des trésors amassés au long des années, sont autant de richesses que Dieu nous donne, soit de distribuer, soit de recevoir… Veillons à n’en priver personne, à commencer par nous-mêmes.

Dans cette perspective, souhaitons de beaux jours à la gérontologie.

 

par Marie de Védrines

 

 

1Est improductive au sens économique et courant du terme une dépense qui, directement ou indirectement, n’a pas pour effet de produire un bien (matériel ou immatériel, une machine ou un technicien, par exemple) ayant une valeur d’échange exprimée en monnaie.

2II ne faudrait pas entendre les notions d’actifs ou d’inactifs au sens du marché du travail. Dans la vie, bien des activités n’ont pas, en vérité, de valeur d’échange exprimée en monnaie.

3Même si cette valeur ne peut pas s’exprimer en monnaie.

4REFORME 9 janvier 1971, « La vieillissement : ce n’est pas un naufrage ».


Ichtus N° 10   Février 1971

 

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