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Les Assemblées Évangéliques de Suisse romande ont constitué, depuis quelques années, un Groupe d’Étude qui a orienté sa réflexion, entre autres, sur la question des ministères de l’Église. Un de ses membres, le pasteur Jacques BLANDENIER, qui exerce actuellement son ministère dans l’Église Libre de langue française de Berne, a préparé pour ce Groupe une analyse de la pensée des Réformateurs sur ce sujet. Étant donné la richesse de ses aperçus, il nous a paru bon que cette analyse ne reste pas à usage interne, mais profite au public évangélique de langue française. Elle trouve tout naturellement sa place dans ce numéro à côté de l’article de Pierre COURTHIAL sur « Les Réformés confessant ». On trouvera ici l’article touchant Calvin, les autres traitant de Luther et Bucer. Nous remercions M. Frank Horton, directeur de l’institut Emmaüs et président du Groupe d’Étude des Assemblées, d’avoir accepté la publication de cette étude. Nous remercions également son auteur, qui en a revu soigneusement le texte, texte duquel ont été retirées quelques remarques critiques annexes.

La doctrine des ministères fut un des terrains d’affrontement entre les Réformateurs et l’Église romaine. Il n’est donc pas étonnant qu’elle tienne une grande place dans leurs écrits. Mais l’étude en est malaisée : les Réformateurs n’étaient pas des hommes de cabinet, mais des croyants qui se sont trouvés placés à la tête d’un mouvement religieux considérable, au sein d’une situation historique mouvante sur laquelle ils eurent d’ailleurs moins de prise qu’on ne l’imagine souvent. De plus l’Écriture, leur seule autorité, ne codifie pas à l’avance l’Église sous la forme d’une structure déterminée, comme le fait le Lévitique pour l’Ancienne Alliance. Ce n’est qu’après eux qu’on aboutira à des données élaborées et fixées. La doctrine des ministères qu’ils nous présentent avait donc le caractère d’une nouveauté et d’une découverte, mais, en même temps, c’est une doctrine qui s’est élaborée dans une situation de combat : d’une part, face au système clérical romain, de l’autre, face aux anabaptistes et spiritualistes (qui niaient l’institution au nom de la direction de l’Esprit), sans parler des interventions des princes et hommes politiques en un temps où la religion était affaire d’État. Il fallait aussi que, compte tenu de l’adhésion à la Réforme de masses ignorantes de l’Évangile, les structures nouvelles de l’Église reposent sur une doctrine de l’autorité fermement établie. Mais il reste entendu une fois pour toutes que, quelles qu’aient été les pressions et les influences extérieures, c’est toujours sur le terrain biblique que les Réformateurs se sont placés.

1) Le principe du ministère

Pour bien comprendre la doctrine des ministères chez Calvin, 1 il faut noter avant tout le principe qu’il n’a cessé de souligner à savoir que Dieu use du service des hommes eux-mêmes pour faire son œuvre parmi eux. Il y a là un signe de « l’amitié » de Dieu pour les hommes et, en même temps, un exercice, pour eux, d’humilité, dans la mesure où il y a obligation de se conformer à des instructions venant d’autres hommes qui peuvent être inférieurs quant à la personne. C’est aussi une mise en garde contre l’individualisme, qui se manifesterait par une prétention à recevoir directement de Dieu sa nourriture spirituelle : « Plusieurs sont induits ou par orgueil et présomption, ou par dédain, ou par envie, à se persuader qu’ils profiteront assez en lisant ou en méditant en leur privé ; ce faisant, ils méprisent les assemblées publiques » 2.

Pour maintenir l’unité, « Dieu a confié la doctrine du salut et de la vie éternelle aux hommes, afin qu’elle fût communiquée par leurs mains aux autres » 3. Calvin met en garde contre le spiritualisme qui tend à négliger tout ministère humain : « Quand il voulut appeler saint Paul à soi, et le recevoir en son Église, il lui parla par sa propre bouche ; néanmoins, il le renvoya à un homme mortel, pour recevoir la doctrine du salut et le sacrement du baptême » 4.

2) Les divers ministères

C’est Éphésiens 4 :11 qui est le texte principal sur lequel Calvin se base pour définir les ministères. Cinq ministères y sont mentionnés : apôtre, prophète, évangéliste, pasteur et docteur. Mais Calvin estime que l’on peut ramener ce chiffre à quatre, le ministère d’évangéliste étant conjoint avec celui d’apôtre : « Par le nom d’évangélistes, j’entends ceux qui avaient un office proche de celui d’apôtres, bien qu’il fût inférieur en dignité, comme ont été Luc, Timothée, Tite et les autres semblables »5.

D’autre part, Calvin considère que deux de ces quatre ministères, celui d’« apôtre-évangéliste » et celui de «prophète», n’ont joué de rôle que lors de la fondation des communautés, aux origines de l’Église, et ont, depuis lors, perdu pratiquement leur raison d’être. Il dit d’eux qu’ils « n’ont pas été ordonnés pour être perpétuels dans l’Église, mais seulement pour le temps qu’il fallait dresser les Églises là où il n’y en avait pas » 6 . Sans doute, apporte-t-il un correctif, concernant l’époque de la Réforme : « Je ne nie pas que Dieu n’ait encore suscité, depuis lors, des apôtres ou bien des évangélistes en leur lieu, comme nous voyons qu’il a été fait de notre temps. 7 . Car il était nécessaire qu’il y en eût de tels pour ramener au droit chemin le pauvre peuple qui s’était détourné après l’Antéchrist (le pape). Néanmoins, je dis que c’est une affaire extraordinaire parce qu’il n’y a point de lieu où les Églises soient dûment ordonnées. »

Mais on voit qu’il ne cède pas sur son principe selon lequel les apôtres ont été envoyés à l’origine de l’Église pour en poser les fondements dans ce monde, comme « premiers et principaux maîtres de l’édifice ».

Quant au ministère de prophète, Calvin affirme également son caractère transitoire : « St Paul appelle prophètes, non pas en commun tous les expositeurs de la volonté de Dieu, mais ceux qui avaient quelque révélation particulière par-dessus les autres (Éphésiens. 2 :20, 4 :11). Or, il n’y en a point de notre temps, ou bien ils ne sont pas connus comme alors » 8.

Il reste donc deux ministères permanents dans l’Église et dont Calvin estime « que l’Église ne peut jamais se passer » : celui de docteur et celui de pasteur. Ce sont tous deux des ministères de la Parole. Notons qu’à côté d’eux et comme nous le voyons plus loin Calvin admet deux autres ministères (mais qui ne sont pas de la Parole), celui d’ancien et celui de diacre. Notons également que, pour lui les termes d’« évêque », « prêtre » (ou presbytre), désignent dans le Nouveau Testament la même charge que celle de pasteur 9.

3) Les ministères de la Parole

Les deux grands ministères de la Parole étant donc celui de docteur et celui de pasteur, voici comment Calvin définit leurs attributions respectives :

« Or, je pense que la différence entre ces deux espèces, c’est que les docteurs n’ont point charge de la discipline, ni d’administrer les sacrements, ni de faire les exhortations et remontrances, mais seulement d’exposer l’Écriture, afin qu’il y ait toujours une saine et pure doctrine conservée en l’Église, tandis que la charge de pasteur s’étend à toutes ces choses ».

4) Docteurs

Au temps de la Réforme, le rôle des docteurs est très important puisqu’il consiste à établir la doctrine réformée et à l’enseigner au peuple qui ignore tout de l’Évangile. (Une fois la Réforme établie, l’ordre des docteurs perd de cette importance primordiale). Calvin écrit encore : « Selon que les choses sont aujourd’hui disposées, nous comprenons en ce titre les aides et instructions pour conserver la doctrine de Dieu et faire que l’Église ne soit pas désolée, faute de pasteurs et ministres ; aussi, pour user d’un mot plus intelligible, nous l’appellerons l’Ordre des  Écoles 10 ». Par « école », il faut entendre, d’une part, l’école pour les petits enfants, d’autre part, le Collège « pour instruire les enfants afin de les préparer tant au ministère qu’au gouvernement civil », et enfin, la Faculté de Théologie. Les docteurs sont donc maîtres d’école, catéchètes et professeurs d’Académie.

Notons encore que Calvin voit une grande similitude entre l’office de docteur et celui de prophète : « L’office des prophètes a été plus excellent, à cause du don singulier de révélation qui leur était fait ; mais l’office de docteur a exactement la même fin, et s’exerce quasi par le même moyen ».

Sans que cela soit exprimé clairement par Calvin, on peut estimer que ce qui différencie le prophète du docteur, c’est que, dans l’exercice de leur ministère, le même « moyen » le Saint-Esprit inspire directement le prophète et, par l’Écriture, le docteur, la même fin étant, dans chaque cas, la communication de la Parole de Dieu.

5) Pasteurs

De même qu’il rapproche prophète et docteur, Calvin rapproche apôtre et pasteur. A travers ce rapprochement, nous voyons se définir le ministère du pasteur. Après avoir souligné que le titre d’apôtre dans son sens propre est réservé à un groupe d’hommes délimité (les Douze et Paul), Calvin note que, au sens large, sont appelés « apôtres » ceux qui sont envoyés de Dieu comme ses messagers. Dans cette acception : « …les pasteurs ont une charge semblable à celle qu’avaient les apôtres, excepté que chacun d’eux a son Église limitée. Finalement, ce que les apôtres ont fait pour le monde, chaque pasteur est tenu de le faire en son Église, à laquelle il est député (envoyé). Voilà une loi inviolable qui est imposée à tous ceux qui se disent successeurs des Apôtres et qu’ils doivent observer à perpétuité : c’est de prêcher l’Évangile et d’administrer les sacrements 11 ». Tels doivent être les dispensateurs des mystères de Dieu (1 Cor. 4 :1).

Le ministère pastoral s’exerce en privé (cure d’âme) et en public (prédication) : « Or, la façon d’enseigner n’est pas seulement de prêcher en public, mais appartient aussi aux admonitions particulières. Par suite, saint Paul prend les Éphésiens à témoin qu’il n’a point fui qu’il ne leur ait annoncé tout ce qui leur était expédient de savoir, les enseignant en public et dans les maisons ».

Dans les Ordonnances Ecclésiastiques de 1541, il est dit des pasteurs : « Leur office est d’annoncer la Parole de Dieu pour endoctriner, admonester, exhorter et reprendre, en public comme en particulier, administrer les sacrements et faire les corrections fraternelles avec les anciens ou commis ».

Il ne fait pas de doute que, tout en admettant le sacerdoce universel des croyants, Calvin attribue un rôle important et même primordial au pasteur. Le pasteur est à la fois un docteur (ministère d’enseignement) et un ancien (ministère de gouvernement et de surveillance du troupeau). Il a une réelle autorité dans l’Église, que le Réformateur définit ainsi :

« Voilà la puissance ecclésiastique clairement déclarée, laquelle est donnée aux pasteurs de l’Église, de quelque nom qu’ils soient appelés, c’est à savoir que, par la Parole de Dieu, de laquelle ils sont constitués administrateurs, ils osent hardiment toutes choses et contraignent toute gloire, hauteur et vertu de ce monde, d’obéir et succomber à la majesté divine ; que par cette Parole, ils aient commandement sur le monde, qu’ils édifient la maison de Christ, subvertissent le régiment de Satan, qu’ils paissent les brebis et tuent les loups, qu’ils conduisent par enseignements et exhortations ceux qui sont dociles ; qu’ils contraignent et corrigent les rebelles et les obstinés ; qu’ils lient, délient, tonnent et foudroient, si métier est : mais tout en la Parole de Dieu 12 ».

Mais voici un autre texte qui complète et nuance celui-ci en montrant que dans l’Évangile l’autorité est tout autre chose que la domination :

« En général, tous les offices de l’Église sont nommées diaconies, c’est-à-dire ministères ou services ; car les pasteurs ne sont point ordonnés ni choisis pour dominer. Pourquoi donc ? Pour le service des fidèles, comme il est dit : « Qu’on nous répute et qu’on nous tienne pour serviteurs de Jésus-Christ et pour serviteurs aussi de son peuple et de son troupeau ». Quiconque donc voudra être réputé pasteur, il ne faut point qu’il usurpe la  seigneurie, mais au contraire, qu’il s’adonne à servir ceux auxquels il est constitué, car nous ne pouvons servir Dieu sinon en servant son peuple 13 ».

Pour en terminer avec le ministère du pasteur, disons que Calvin a une notion collégiale de la charge pastorale, non seulement parce que le gouvernement de l’Église est confié à un Consistoire formé des pasteurs et des anciens, mais aussi en raison de l’égalité des pasteurs entre eux, aucun ne pouvant avoir prééminence sur ses collègues.

6) Autres fonctions et charges ecclésiastiques

Jusqu’ici, nous avons vu les ministères de la Parole, tels que Calvin les définit, à la lumière d’Éphésiens 4 :11. Mais il faut en citer maintenant deux autres, qui sont également essentiels, dans la vie de l’Église, et qui sont des fonctions de gouvernement et d’assistance : l’ancien et le diacre. Voici comment Calvin en parle :

« Mais dans l’Épître aux Romains et la 1re aux Corinthiens, il (l’Apôtre) en cite d’autres, comme les puissances, le don de guérir les maladies, les gouvernements (de l’Église), l’interprétation, la charge d’assister les pauvres, dont nous laisserons là ceux qui n’ont été que pour un temps, parce qu’il n’est pas besoin pour le présent de nous y arrêter. Il y en a deux espèces qui durent à perpétuité : à savoir le gouvernement et le soin des pauvres 14 ».

7) Anciens

La fonction d’ancien désigne non pas tellement ce que la Bible appelle presbytres, mais ceux qui ont reçu le don de gouverner :

« J’estime qu’il (St Paul) appelle gouverneurs les anciens qu’on élisait d’entre le peuple pour assister les évêques (les pasteurs) à faire les admonitions et tenir le peuple en discipline. Car on ne peut autrement exposer ce qu’il dit : que celui qui gouverne le fasse en sollicitude (Romains.12 :8). Au commencement, chaque Église a donc eu comme un conseil, ou consistoire, de bons prud’hommes, graves et de sainte vie, qui avaient l’autorité de corriger les vices (…). Or, que cet état n’ait point été pour un seul âge, l’expérience le démontre. Il faut donc tenir que cet office de gouvernement est nécessaire pour tout temps ».

Plus loin, parlant de l’autorité spirituelle des pasteurs, qui leur donne le pouvoir d’exercer la discipline et même l’excommunication, Calvin dit : « Cette puissance n’était point (dans l’Église apostolique) en la main d’un seul homme pour qu’il fît à sa guise tout ce qui lui plairait : mais il y avait la compagnie des Anciens, laquelle était en l’Église comme le sénat, ou le conseil, est en une ville ». Citant saint Cyprien,15 il montre qu’au temps des Pères, le clergé présidait les séances du gouvernement de l’Église, mais sans que le peuple en soit exclu :  « Depuis que je suis devenu évêque, j’ai toujours conclu cela, de ne rien faire sans le conseil du clergé et le consentement du peuple » (Cyprien, Épîtres, 16, ch. 4).

Calvin écrit encore : « Mais la façon commune en usage était que la juridiction de l’Église fût exercée par la compagnie des prêtres dont il y avait deux espèces : les uns avaient l’office d’enseigner, les autres n’étaient que députés pour avoir un regard sur la vie de tous 16 ».

Dans 1 Timothée 5 :17, Calvin voit la confirmation de cette vision de deux types de presbytres, les seconds seuls correspondant à l’idée d’anciens : « les uns qui travaillent en la Parole, les autres qui ne font point l’office de la prédication, et toutefois sont fidèles à s’acquitter de leur devoir. Par cette seconde espèce, il n’y a nul doute qu’il n’entende ceux qui étaient députés pour avoir égard sur les mœurs et corriger les délinquants par l’excommunication. »

8) Diacres

En lisant Romains 12 :8, Calvin voit deux sortes de diacres : celui qui administre et distribue les aumônes, et celui qui soigne les malades. Les diacres de Actes 6 :3 appartiennent à la première catégorie (procureurs), les veuves de 1 Timothée 5 :9-10 à la seconde (hospitaliers) : « Il y a deux genres de diacres : les premiers serviront l’Église, en gouvernant et dispensant les biens des pauvres ; les seconds en servant les malades et les autres pauvres 17». Les Ordonnances Ecclésiastiques sont un peu plus précises : « Les uns ont été députés à recevoir, dispenser et conserver les biens des pauvres, tant aumônes quotidiennes que possessions, rentes et pensions. Les autres pour soigner et panser les malades et administrer la pitance des pauvres 18 ».

Calvin tient à souligner la dimension spirituelle de leurs charges : les diacres « ne sont point seulement en office terrien, mais ils ont une charge spirituelle qui sert à l’Église de Dieu (…). Ils sont en état public, mais ils appartiennent au régime spirituel de l’Église et ils sont là comme officiers de Dieu 19 ». Les diacres sont choisis par le peuple de l’Église, comme les anciens. Leur dignité est soulignée par le fait qu’ils sont appelés à aider les pasteurs dans la distribution de la Cène, et même peut-être à baptiser : Les Ordonnances Ecclésiastiques parlent du baptême administré par les ministres ou coadjuteurs (diacres ? anciens ?) seulement.

9) Qui choisir ?

La question se pose pour tous les ministères, mais plus spécialement, en raison de son rôle clé, pour celui des pasteurs.

Avant de parler de la vocation extérieure adressée par l’Église, Calvin souligne la nécessité de la vocation intérieure, par laquelle un homme sait que Dieu l’appelle au ministère : « … vocation secrète dont chaque ministre doit avoir témoignage en sa conscience devant Dieu, et dont les hommes ne peuvent être témoins. Or, cette vocation secrète est une bonne assurance que nous devons avoir en notre cœur, que ce n’est point par ambition ni par avarice que nous avons pris cet état, mais d’une vraie crainte de Dieu, et par un bon zèle d’édifier l’Église. Cela est bien requis en chacun de nous qui sommes ministres, si nous voulons que notre ministère soit approuvé de Dieu 20 ».

Puis Calvin examine la vocation extérieure. Établir un homme comme ministre de la Parole est chose sérieuse. Les Épîtres à Timothée et Tite donnent des critères et définissent des exigences que commente Calvin. Doctrine, conduite, dons et connaissances (formation) entrent en ligne de compte :

« Il n’en faut point élire qui ne soient de vie et de sainte doctrine, et ne soient point entachés de quelque vice notable qui les rende méprisables, et fasse que leur ministère soit en opprobre. »

« Ceux que Dieu a élus à cet office, il les garnit premièrement des armes qui sont requises pour l’exploiter, afin qu’ils ne viennent point vides et mal préparés. »

« Notre Seigneur Jésus-Christ voulant envoyer ses apôtres, les a premièrement doués et pourvus d’armes et instruments dont ils ne pouvaient se passer. (Actes 1 :8 ; Marc 16 :17-18, etc.). »

« … Pour connaître s’il est propre à enseigner, il faudra procéder par interrogations et l’entendre traiter, en privé, la doctrine du Seigneur 21. »

10) Qui choisit ?

Seuls les apôtres, premiers maillons de la chaîne, ont tenu leur ministère du Seigneur directement. Dans tous les autres cas, il y a intervention humaine et même pour saint Paul, selon Actes 13:2: «Ainsi Dieu ne pouvait approuver cet ordre (nécessité d’une élection humaine) par un exemple plus notable et évident que, quand après avoir prononcé qu’il avait constitué Paul apôtre des Gentils, il voulut toutefois qu’il fût ordonné par l’Église 22 ».

« La question est maintenant de sa­voir si un ministre doit être élu ou par toute l’Église ou par les autres ministres et gouverneurs (anciens) ; ou bien s’il doit être constitué par un homme seul. »

Calvin cite Cyprien 23, comme il le fait souvent en matière d’ecclésiologie : « La création d’un prêtre ne doit se faire qu’en l’assistance du peuple, afin que l’élection, qui aura été examinée par le témoignage de tous, soit juste et légitime » (Cyprien, Lettres, 67, 4).

Le Réformateur conclut en ces termes : « Nous avons donc que la vocation d’un ministre, ordonné par la Parole de Dieu, est telle : à savoir que celui qui est idoine est créé avec le consentement et l’approbation du peuple ; au reste, que les pasteurs doivent présider sur l’élection, afin que le populaire n’y procède pas par légèreté, ou par brigues, ou par tumulte. »

Ajoutons que Calvin estime légitime de tenir compte des données du lieu et de l’époque : « Il ne s’en peut donner certaine règle, mais il faut prendre conseil selon l’opportunité du temps, les mœurs du peuple et autres circonstances 24 ». On retrouve d’ailleurs cette même souplesse lorsqu’on étudie la manière dont Calvin envisage le déroulement du culte.

C’est ainsi qu’il admet que la formule inverse puisse être appliquée : que le peuple de l’Église propose et que les autorités ratifient. Cela s’est fait dans le passé, dit-il, là où on commençait par le peuple qui : « …faisait entendre lequel il désirait le plus avoir ; et ainsi, ayant entendu l’affection du peuple, le clergé élisait. Par ce moyen, il n’était point dans la liberté du clergé de choisir à son plaisir… ».

Cette recherche d’une solution évitant à la fois l’autoritarisme et l’anarchie, se trouve exprimée en ces termes 25 :

« L’élection est permise à l’Église. Car c’est chose tyrannique si un seul constitue des ministres à son appétit. Ainsi, c’est moyen légitime que ceux qui doivent avoir quelque charge publique en l’Église soient élus par les voix de tous… et ceci est le juste milieu entre la tyrannie et la licence confuse ; que rien ne se fasse sinon du consentement et approbation du peuple, toutes fois que les pasteurs modèrent et gouvernent, en sorte que leur autorité soit comme une bride pour réprimer les impétuosités du peuple, afin qu’elles ne débordent outre mesure. »

Dans l’Institution Chrétienne 26 , Calvin appuie sa position sur de nombreux exemples tirés des Pères, citant les Conciles d’Antioche, de Constantinople, de Laodicée et jusqu’au pape Grégoire VII (1073-1085) : encore et toujours, le consentement du peuple est jugé indispensable.

Ce n’est pas, toutefois, de la démocratie au sens moderne du terme. D’ailleurs, le terme                   « démocratie » serait écarté par Calvin qui sait que, dans l’Église, la « cratie » c’est-à-dire le pouvoir appartient à Dieu seul. Mais l’existence d’une autorité humaine structurée n’est pas considérée ipso facto comme usurpatrice de l’autorité divine ; elle permet, au contraire, de barrer la route à tout « individualisme spirituel » selon lequel un ministre, recevant son mandat de Dieu uniquement et directement, n’aurait aucun compte à rendre à la communauté de l’Église.

Pour conclure, citons Émile Doumergue 27 : « Le caractère de cette Église de Calvin, c’est d’être une société représentative. Tous les représentants sont nommés par l’élection directe ou indirecte, et il n’est point possible d’imposer un représentant quelconque, un conducteur, contre son gré ou au mécontentement de la plus grande partie, comme le dit la Discipline de 1559 ».

11) L’ordination

En ce qui concerne la cérémonie de l’ordination des ministres, Calvin note l’importance de l’imposition des mains dans l’Écriture et conclut ainsi :

« C’est pourquoi, par l’imposition des mains, les apôtres signifiaient qu’ils offraient à Dieu celui qu’ils introduisaient au ministère (…). Ils ont usé de cette solennité toutes les fois qu’ils ordonnaient quelqu’un au ministère de l’Église, comme nous en voyons les exemples tant aux pasteurs qu’aux docteurs et aux diacres. Or, bien qu’il n’y ait nul commandement exprès touchant l’imposition des mains, toutefois, puisque nous voyons que les apôtres l’ont eue en usage perpétuel, ce qu’ils ont observé tant diligemment nous doit tenir lieu de précepte. Et certes, c’est une chose utile de magnifier au peuple la dignité du ministère par une telle cérémonie et d’avertir par elle celui qui est ordonné qu’il n’est plus à soi mais qu’il est dédié au service de Dieu et de l’Église 28. »

« Toutefois elle (l’imposition) n’a nulle vertu ou efficace de soi, car sa force et son effet dépendent du seul Esprit de Dieu 29. »

12) Le sacerdoce des croyants

Terminons par la question du sacerdoce des croyants. Enseigner la doctrine du Seigneur, administrer les sacrements, exercer la discipline ecclésiastique : il faut compétence, autorité, mandat de la part du Seigneur et de l’Église pour exercer des charges aussi sérieuses qui ne sauraient être laissées à l’initiative de tous et de chacun : « Nul de sain jugement ne fait tous les chrétiens égaux en l’office d’administrer la Parole et les sacrements (…). Il y a mandement exprès de Jésus-Christ pour y ordonner par spécial certains ministres (Matthieu. 28 :19) 30 ».

Ces mots sont une réfutation de l’accusation du Concile de Trente qui prétend que par                     « sacerdoce universel » les Réformés entendent que les sacrements peuvent être distribués indistinctement par n’importe qui. Calvin tient cependant clairement au sacerdoce universel des croyants, même s’il en parle avec moins d’insistance que Luther, et il récuse absolument toute idée de clergé-médiateur, successeur des Lévites et offrant le sacrifice de la messe. Tous les chrétiens sont sacrificateurs, car tous offrent un sacrifice de louanges, des lèvres « confessant son nom », et sont à bon droit appelés « royale prêtrise ».

« Ç’a été un sacrilège à eux (les papistes) d’usurper spécialement ce nom-ci (celui de clerc) qui appartenait à toute l’Église. Car il signifie héritage, et l’Église est l’héritage de Christ qui lui a été donné du Père ; et saint Pierre n’appelle pas clergé (comme ils ont glosé par leurs mensonges) quelques rasés (tonsurés) ; mais il attribue ce titre à tout le peuple de Dieu 31. »

« Saint Pierre parle ainsi à toute l’Église (1 Pierre. 2 :9) : « Vous êtes une génération élue, une prêtrise royale, une nation sainte, un peuple acquis », et ils détournent son propos à je ne sais quelle prêtraille comme s’il avait été dit à eux seulement : soyez saints. Comme si eux seuls avaient été acquis du sang de Christ, comme si eux seuls eussent été faits Royaume et prêtrise à Dieu (…). En Christ, nous sommes tous prêtres ; mais c’est seulement pour offrir louanges et actions de grâces : en somme, pour nous offrir à Dieu, et, pareillement, tout ce qui est nôtre 32 ».

13) Pour conclure…

Autorité du ministère de la Parole, gouvernement collégial et sacerdoce universel : ces principes simples sur lesquels Calvin a édifié les Églises du XVIe siècle demeurent valables aujourd’hui, ne serait-ce que parce que ces Églises existent toujours et ont conservé, à travers une expansion mondiale, les formes qu’elles avaient reçues alors. Mais aussi parce que les autres Églises, qui sont apparues par la suite, et qui, sans avoir l’appellation de « réformées », appartiennent à l’arbre multiple du christianisme évangélique, n’ont pas rejeté ces principes, même lorsqu’elles les ont appliqués de façon différente. Sans doute, ne s’agit-il pas pour nous, chrétiens du XXe siècle, de copier de façon servile les formes du passé, mais de reconnaître que les Réformateurs, hommes faillibles et marqués par leur époque, comme nous le sommes par la nôtre ont construit leurs Églises sur un fondement vivant et permanent, et, comme tel, capable d’inspirer nos propres renouveaux : l’Écriture. Si leur œuvre, en ecclésiologie comme en d’autres domaines, a une valeur qui demeure pour nous un point de référence non seulement actuel mais aussi revêtu d’autorité, c’est que, contre vents et marées, ils ont été fidèles à la Parole qui ne passe pas.

1. Les citations de l’Institution Chrétienne sont tirées de l’édition de 1560 (la dernière du vivant de l’auteur), publiée en français moderne (dès 1955) par la Société Calviniste de France, chez Labor & Fides. Certaines citations sont empruntées à l’ouvrage de DOUMERGUE : « Jean Calvin, les hommes et les choses de son temps », tome V, qui cite de préférence l’édition de 1541. C’est au livre IV de l’institution que Calvin traite des ministères dans l’Église (avant son séjour à Strasbourg où il fut influencé par Bucer, il parlait plutôt du ministère). Les « Ordonnances ecclésiastiques » de 1541 n’apportent rien de plus que l’institution.
2. Institution. chrétienne. IV. 1. 5.
3. Institution. chrétienne. IV. 3.1.
4. Institution. chrétienne. IV. 3. 3.
5. Institution. chrétienne. IV. 3. 5.
6. Institution. chrétienne. IV. 3. 4.
7. Calvin pense certainement Ici à des Farel, Viret, etc. Ailleurs, il parle de Luther comme d’un « excellent apôtre du Christ ».
8. Institution. chrétienne. IV. 3. 4.
9. Institution. chrétienne. IV. 3.9. Les Ordonnances ecclésiastiques de 1541 mentionnent clairement les quatre ministères de l’Église : « Il y a quatre ordres d’offices que notre Seigneur a institués pour le gouvernement de son Église : « Premièrement les pasteurs, puis les docteurs, après les anciens, quartement les diacres » (cité par Doumergue, op, cit. p. 97).
10. Ordonnances . ecclésiastiques. de 1541, cité par Doumergue, p. 111.
11. Rappel de l’envoi de Matthieu. 28 :19 (prédication et baptême) et ordre de distribuer la Cène (Luc 22 :19).
12. Cité par Doumergue, p. 40.
13. Sermon XXIV sur 1 Timothée. 3 :6-7, cité par Doumergue, p. 98.
14. Institution. Chrétienne. IV. 3. 8. Il faut noter en passant que Calvin ne justifie pas les motifs qui lui font penser que certains ministères n’ont été établis « que pour un temps ».
15. Évêque de Carthage, martyr en 258.
16. Institution. chrétienne. IV. 11. 6.
17. Institution. chrétienne. IV. 3. 9.
18. Cité par Doumergue p. 253.
19. Cité par Doumergue p. 249.
20. Institution. chrétienne. IV. 3.11.
21. Cité par Doumergue p. 100.
22. Institution. chrétienne. IV. 3.14.
23. Voir ci-dessus, note 15.
24. Cité par Doumergue p. 101.
25. Commentaire sur les Actes des Apôtres (1552-54), à propos du ch. 6 V. 3.
26. Institution. Chrétienne. IV. 3.16.
27. Doumergue : « Le caractère de Calvin » (Ed. la Cause) 1931, pp. 141-142.
28. Institution. Chrétienne. IV. 2. 3.
29. Comm. Actes des Apôtres. VI. 6.
30. Cité dans : GANOCZY : « Calvin, théologien de l’Église et du ministère » (Ed. du Cerf, 1954) p. 245.
31. Ce passage figure dans l’Édition de 1536 de l’Institution. Chrétienne., mais plus dans les suivantes.
32. Cité par Ganoczy p. 244.

Note de l'éditeur : 

Ichtus N°43- Mai 1974 – Page 21 à 27

CALVIN ET LES MINISTÈRES DE L’ÉGLISE

Par Jacques BLANDENIER

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