Vouloir interdire aux croyants de mettre leur foi au-dessus des lois de la République, c’est rompre le pacte laïque.
Le 31 août 2016 était enregistrée à l’Assemblée nationale une proposition de loi pénalisant la prédication subversive1 dans les termes suivants :
Constitue une prédication subversive le prêche, l’enseignement ou la propagande, par des paroles ou des écrits publics et réitérés, d’une idéologie qui fait prévaloir l’interprétation d’un texte religieux sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République.
Rédigée par une femme politique de premier plan, Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate malheureuse aux primaires de la droite, cette proposition de loi a été rejetée par les députés. Néanmoins le simple fait qu’elle ait pu exister et ait été signée par 51 élus, dont certains bien connus, en dit long sur les errements de notre classe politique en matière de laïcité et de liberté d’expression.
Le texte signale tout d’abord le désarroi des élus de la nation face au terrorisme islamique. Incapables en droit (et souvent en fait) d’opposer à la rhétorique religieuse des arguments de même nature, ils ont eu recours à une ficelle désormais usée, la surenchère juridique, pour tenter d’endiguer le mal. Et c’est bien ce qui a fait obstacle à la proposition considérée comme inutile face à un arsenal juridique suffisamment étoffé avec « la provocation à la haine, la provocation à la commission de crime, l’apologie du terrorisme2« . Preuve, s’il en était, que les institutions démocratiques ne fonctionnent pas si mal en France.
Ce que personne n’a relevé à notre connaissance, c’est le caractère éminemment liberticide d’une telle disposition. Bien que l’exposé des motifs dise clairement qu’est visée « la radicalité politico-religieuse » prônée par des prédicateurs musulmans (la presse parlera du « salafisme »), le caractère non discriminatoire de la loi républicaine obligeait la rédactrice à user de termes généraux ce qui revenait à mettre en cause toute prédication qui oserait dénoncer le caractère inique de tel principe constitutionnel ou fondamental de la République. Nul doute qu’avec une telle loi, si vous me permettez cette analogie quelque peu anachronique, Martin Luther King aurait été empêché de prêcher dans l’Amérique ségrégationniste de son temps. Nul doute encore qu’elle aurait pu devenir une arme redoutable entre les mains de groupes de pression qui trouvent intolérables que tous les prédicateurs n’applaudissent pas des deux mains les choix de vie qu’ils ont fini par imposer à la société. La proposition ayant été rejetée, le pire serait donc derrière nous ? Voire… L’inscription dans la loi commune de certaines dispositions de l’état d’urgence attire les mêmes critiques et expose aux mêmes risques3
Autre trait préoccupant de cette proposition, c’est le fait, faute de référence transcendante, de poser la République et ses principes en surplomb des religions. Que laisse entendre NKM au fond ? Qu’au-dessus de toute considération, de tout discours, de toute croyance se trouve « Sainte » République devant laquelle tout prédicateur doit s’incliner. Pris au pied de la lettre – mais je ne soupçonne pas un instant la rédactrice d’avoir eu cette pensée – c’est ouvrir la voie à un État totalitaire qui régente jusqu’aux propos délivrés dans les lieux de culte. Et comme la République et ses principes n’ont pour garants que des hommes faillibles, c’est se livrer pieds et poings liés à la tyrannie des puissants. Là encore, ce texte est emblématique d’une tendance lourde qui concerne moins la République que la laïcité présentée comme l’une des valeurs ultimes de la République. J’ai eu l’occasion de plaider ailleurs qu’il y a là un glissement sémantique qui indique que la laïcité n’est plus simplement un cadre qui organise le pluralisme des convictions religieuses, mais une croyance en soi qui s’impose à toutes les autres, prétend repousser dans la sphère privée et entre les murs des édifices religieux l’expression des convictions religieuses et juge a priori toute expression publique de foi au mieux comme nuisible, au pire comme dangereuse.
Enfin, cette proposition de loi met à mal le droit positif en matière de laïcité. En effet, la loi 1905 dite de séparation des Églises et de l’État garantit à tous de façon égale, sous réserve du respect de l’ordre public, la liberté religieuse et la liberté d’expression, y compris dans l’espace public. Dés lors que l’État interfère dans l’organisation d’une religion ou d’un culte non pour réprimer les manquements à l’ordre public, ce que la loi autorise, mais pour qualifier la prédication et donc la croyance, définir le contenu de la formation des ministres du cultes ou encore limiter les lieux d’expression de la foi, il transgresse la loi qui gouverne ses relations avec les cultes et rompt le pacte laïque défini par le droit.
Voilà pourquoi je n’hésite pas à dire qu’un État qui interdirait aux croyants de mettre leur foi au-dessus des lois de la République prendrait le risque de rompre le fragile équilibre du pacte laïque laborieusement mis au point dans notre histoire.
Les récents propos d’Emmanuel Macron aux protestants, lors du colloque de la Fédération Protestante de France, qui a par exemple affirmé « La République ne vous demande pas de nier votre foi » sont certes de nature à apaiser nos craintes. Mais pas à les évacuer, car les adversaires de la liberté religieuse, aiguillés par la peur du terrorisme islamique, sont à la fois nombreux et puissants.
1 Proposition n° 4016 du 31 août 2016 écrite par Nathalie Kosciusko-Morizet, https://2012-2017.nosdeputes.fr/14/document/4016, consulté le 1er octobre 2017.
2 Dominique Raimbourg, président socialiste de la commission des lois d’après LCP, http://www.lcp.fr/actualites/comment-nathalie-kosciusko-morizet-veut-tenter-de-rendre-le-salafisme-hors-la-loi, consulté le 2 octobre 2017
3 Voir à titre d’exemple Emmanuel Fansten, Etat d’urgence: l’exception gravée dans le marbre », liberation.fr, 24 sept.-17, http://www.liberation.fr/france/2017/09/24/etat-d-urgence-l-exception-gravee-dans-le-marbre_1598592, consulté le 2 octobre 2017.
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Article publié initialement le 12 octobre 2017