La doctrine divise
Lorsque j’étais encore un jeune garçon, j’ai appris ce dicton, qui m’a souvent servi : « Les spécimens ornithologiques au plumage identique ou similaire ont tendance à se rassembler dans la plus grande proximité possible. » Ou pour faire court : « Les oiseaux au même plumage s’assemblent. » Nous avons tendance à vouloir nous rassembler avec des personnes dont nous partageons les valeurs et les points de vue. En réalité, l’un des scandales du protestantisme est que, bien souvent, l’appartenance à une Église n’est pas définie par une confession de foi commune, mais plutôt par des similitudes socio-économiques. Autrefois, l’une des choses que je respectais le plus au sujet de l’Église catholique romaine était qu’elle soit établie selon un système de paroisses. Nous ne voyons pas une, deux, trois, quatre voire cinq églises catholiques romaines dans le même quartier comme il arrive de voir parfois plusieurs églises baptistes ou presbytériennes à proximité les unes des autres.
L’unité du Nouveau Testament désigne une unité de foi. L’Église catholique romaine a décidé d’avoir des personnes issues du patronat, du monde ouvrier et de diverses origines ethniques dans la même congrégation. C’est une pratique merveilleuse, car une Église ne doit pas être destinée à un groupe démographique particulier. L’ensemble de la société est appelé à former le corps de Christ. Dans la communauté du Nouveau Testament, il n’y avait pas d’Église baptiste à Éphèse, pas plus qu’il ne s’y trouvait d’Église presbytérienne ou luthérienne. Il y avait tout simplement l’Église d’Éphèse. Certes, de nos jours, on trouve encore parfois une seule église dans les petits villages et les petites villes, mais la plupart du temps, un large panel d’églises nous est proposé. Cependant, il convient de préciser encore une fois que l’unité dont parle le Nouveau Testament est une unité de foi, instaurée en raison d’un engagement commun envers la vérité et l’Évangile. De nos jours, nous assistons à des tentatives d’atteindre l’unité grâce à des structures organisationnelles visibles. Une autre façon d’essayer de définir l’unité est de concentrer nos efforts sur ce que l’on peut appeler « l’unité spirituelle ».
Je me souviens que, dans les années 1970, lorsque j’étais en Pennsylvanie au Ligonier Valley Study Center, nous avons accueilli un groupe de chrétiens venus de France pour nous rendre visite. Il s’agissait d’un groupe de chrétiens charismatiques. Ils partageaient leur expérience charismatique mais provenaient de différents milieux religieux. Certains étaient luthériens, d’autres catholiques, pentecôtistes ou presbytériens. Ils parlaient avec beaucoup de joie et d’enthousiasme de l’unité qu’ils expérimentaient parce qu’ils ne faisaient qu’un dans l’Esprit.
Qu’est-ce que l’Église ?
Robert C. Sproul
Comment peut-on définir l’Église ?
Lorsqu’on mentionne le mot « Église », beaucoup de gens pensent à un bâtiment. D’autres l’associent à une dénomination chrétienne en particulier. Mais l’Église est bien plus que cela.
Dans ce petit livre, R. C. Sproul explique que l’Église ne fait pas référence à un bâtiment, mais à un groupe de personnes appartenant à la famille universelle de Dieu et appelées à vivre des vies qui le glorifient. En se basant sur l’une des plus anciennes déclarations de foi chrétienne, l’auteur examine en profondeur les raisons pour lesquelles l’Église a été définie comme étant « une, sainte, catholique et apostolique ».
Étonné par leur sens évident de l’unité, je leur ai demandé : « Comment avez-vous réussi à surmonter vos importantes différences historiques ? » Ils m’ont répondu : « Lesquelles, par exemple ? » Alors j’en ai mentionné quelques-unes. Ce n’était pas une bonne idée de ma part, car en moins de cinq minutes, ils étaient à couteaux tirés sur ces sujets. En d’autres termes, ils étaient capables d’être unis seulement tant qu’ils mettaient de côté leurs différences doctrinales. Discernez- vous la tension dans tout cela ? D’un côté, la fraternité et l’unité spirituelle, qui sont réelles, sont très positives, mais d’un autre côté, il est très dangereux de fermer les yeux sur les différences doctrinales.
Cela semble être la dérive courante de notre culture actuelle. L’axiome de notre époque est l’affirmation selon laquelle « la doctrine divise », ce qui est vrai historiquement ; la doctrine a tendance à diviser les gens. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi elle divise ? Les institutions libérales semblent atteindre un haut niveau de tolérance à l’égard des points de vue différents des leurs. Par opposition, les conservateurs semblent se battre sur de nombreux sujets.
Cependant, les libéraux ne sont peut-être pas aussi tolérants qu’on pourrait le croire. Ils ont tendance à être laxistes sur la doctrine jusqu’à ce que la doctrine conservatrice soit abordée.
Ils deviennent alors véhéments à son encontre. Ceux qui se targuent d’être ouverts d’esprit deviennent rapidement fermés d’esprit. Je crois que la raison fondamentale pour laquelle les Églises libérales sont capables de tolérer une si grande variété de doctrines est que la doctrine n’a pas d’importance pour elles. Elles ne sont pas passionnées par le contenu essentiel de la foi chrétienne, tandis que dans le milieu conservateur, les gens sont prêts à donner leur vie pour la vérité des Écritures, parce qu’ils considèrent qu’elle a une portée éternelle.
Pour les personnes de convictions libérales, le nombre de déclarations de credo au sein même du christianisme n’a pas d’importance. En revanche, les credo sont importants pour les croyants, car ces derniers se soucient du contenu de leur foi. Les croyants qui s’efforcent d’être fidèles aux Écritures savent que pratiquement chaque page des épîtres du Nouveau Testament comporte une exhortation à garder la vérité de la foi révélée. Paul était très soucieux lorsqu’il a prodigué des conseils à Timothée, Tite et d’autres, pour mettre en garde l’Église contre ceux qui chercheraient à ébranler la vérité de la foi apostolique par le biais de fausses doctrines.
L’acte d’accusation le plus fort contre le libéralisme du XIXe siècle a été celui du théologien suisse Emil Brunner dans son ouvrage classique Das Midler (Le médiateur). Dans cet écrit, il parle de la christologie développée dans la théologie du XIXe siècle, qui a abouti à la négation de la divinité de Christ et de son expiation par substitution. Brunner disait qu’il pouvait définir l’essence du libéralisme du XIXe siècle en un seul mot, à savoir unglaube (« incrédulité »). Il a qualifié le libéralisme du XIXe siècle de monument à l’incrédulité.
La controverse la plus éclatante de l’histoire de la théologie a été la réforme protestante du XVIe siècle. Cette controverse s’est articulée autour de deux questions principales : Qu’est-ce que l’Évangile ? Que dois-je faire pour être sauvé ? Martin Luther a enduré de grandes épreuves et l’hostilité de multitudes de personnes alors que la fureur de la controverse faisait rage. Vers la fin de sa vie, Luther a constaté que la lumière de l’Évangile avait percé son époque et éclairé les ténèbres. Rappelez-vous la devise de la Réforme : Post tenebras lux (c.-à-d. « après les ténèbres, la lumière »). Selon Luther, il était inévitable que la vérité de l’Évangile soit à nouveau cachée dans l’obscurité un jour ou l’autre. Il expliquait cela par le fait que, là où l’Évangile est prêché, la division et la controverse s’ensuivent. Les gens ne veulent pas de controverse permanente ; ils veulent la paix.
Le message des faux prophètes d’Israël était un message de paix. Pourtant, celle-ci était une illusion. Ils prêchaient la paix alors qu’il n’y en avait aucune, ou seulement celle que Luther appelait « une paix charnelle ». Luther a déclaré que, lorsque l’Évangile est prêché avec passion et précision, il n’apporte pas la paix. D’ailleurs, notre Seigneur lui-même a dit : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée » (Mt 10.34). Cela ne signifie pas que nous sommes appelés à prendre les armes et à mener des batailles militaires pour étendre le royaume de Dieu. Nous devons être des artisans de paix, des personnes tolérantes, aimables et patientes, mais si vous jetez un œil dans l’Histoire, vous constaterez que les vrais prophètes d’Israël ont défendu la vérité, et que cela a chaque fois donné lieu à une controverse.
Il est probable qu’aucun être humain n’ait été le sujet d’autant de controverses que Jésus-Christ. Les gens étaient galvanisés : soit pour, soit contre lui. L’histoire de l’Église apostolique relatée dans le livre des Actes est le récit d’une controverse permanente et incessante. La controverse était focalisée sur la prédication de l’Évangile. Celle-ci était si controversée que les autorités religieuses de la communauté juive ont interdit aux apôtres de prêcher l’Évangile, décrétant qu’il était sujet à polémique et divisait la communauté.
Notre génération a été conditionnée à croire que la plus grande vertu est la paix. Nous avons vécu à l’époque de la bombe atomique et nous avons été témoins de deux guerres mondiales. Nous sommes fatigués des disputes, des gens qui se battent et s’entretuent. C’est par la grâce de Dieu que les Églises ne brûlent pas les gens sur le bûcher ou ne les mettent pas sur des chevalets de torture comme elles avaient coutume de le faire dans les siècles passés. Nous avons appris à coexister avec des personnes qui ont des perspectives différentes des nôtres et nous apprécions cette paix. Toutefois, ce que je crains, c’est que nous l’appréciions au point d’être prêts à occulter l’Évangile lui-même. Nous devons faire attention à ne pas parler d’unité lorsqu’elle n’est pas vraiment présente. Par moments, je pense que nous avons en réalité moins d’unité que nous croyons en avoir.
Historiquement, à l’époque de la Réforme, les protestants n’étaient pas seulement appelés « protestants » mais aussi « évangéliques ». Ils portaient cette appellation parce qu’ils acceptaient l’Évangile. Par le passé, bien que les évangéliques du XVIe siècle aient fondé différentes dénominations, il y avait toujours des principes fondamentaux d’unité qui les liaient. Les deux principaux points d’unité de l’évangélisme historique et classique étaient deux solas clés de la Réforme : sola Scriptura et sola fide. Ce que reflète le sola Scriptura, c’est l’idée selon laquelle les différents organes protestants croyaient que la Bible était l’autorité finale en matière de foi et de pratique. Ils croyaient tous à l’inspiration et à l’infaillibilité de la Bible. Deuxièmement, ils étaient d’accord sur la question cardinale du XVIe siècle, à savoir la doctrine de la justification par la foi seule, c’est-à-dire le sola fide. Si leurs opinions divergeaient sur tout le reste (comme la question des sacrements et d’autres doctrines), il y avait au moins le ciment de leurs credo communs pour lier les protestants entre eux. Cette unité a perduré pendant des siècles.
Ce n’est qu’à notre époque que nous avons vu ce groupe de personnes, qui se disent évangéliques, se diviser sur ces deux doctrines. Jusqu’à la fin du XXe siècle, on pouvait presque garantir qu’une personne se présentant comme évangélique croyait que la Bible était la Parole de Dieu ; qu’elle était infaillible, inspirée et inhérente. Aujourd’hui, vous ne pouvez plus faire cette affirmation. L’unité que l’on retrouvait à cette époque chez les évangéliques a été démantelée.
Un certain historien a d’ailleurs affirmé que le terme « évangélique » a presque entièrement été vidé de son sens. Historiquement, être évangélique avait une signification. Autrement dit, ce mot définissait une confession particulière. De nos jours, il a tendance à définir une méthodologie plutôt qu’une certaine théologie, et le pluralisme endémique du libéralisme historique existe toujours dans certains cercles dits « évangéliques ».
Il est tout sauf aisé de vivre en tant que chrétiens et autant que possible « en paix avec tous les hommes » (voir Ro 12.18). Nous devons vraiment redoubler d’efforts pour préserver la paix, sans oublier que nous sommes appelés à être fidèles à la vérité de l’Évangile et à la pureté de l’Église.