Récemment, j’ai eu le plaisir de rencontrer une jeune personne brillante. Elle avait plusieurs années d’avance dans ses études et manifestait un niveau intellectuel (au moins dans les disciplines scientifiques) qui me donnait l’impression d’être un ignorant. A ces qualités s’ajoutait une convivialité et une ouverture à tout (y compris à ma foi), qui était à la fois séduisante et convaincante.
Cette jeune personne brillante est biologiquement une femme, mais s’identifie elle-même comme « homme gay ». Elle a, au même titre que beaucoup d’autres personnes trans, adopté un nom masculin pour accompagner sa nouvelle identité de genre (et je suis conscient qu’en utilisant, comme je le fais ici, des pronoms féminins pour la qualifier, je l’offenserais, ainsi que beaucoup d’autres).
Pour être honnête, je suis profondément reconnaissant de ne pas être à la place de cette jeune personne. J’étais un adolescent particulièrement maladroit et gauche (quand je regarde mes photos de l’époque, on dirait que mon corps n’a pas fini d’être formé), mais je n’ai tout simplement pas la capacité de saisir à quoi cela peut ressembler de se sentir si fondamentalement inconfortable avec son propre genre. Je ne connais pas les luttes liées à ce sentiment de ne pas être à sa place ou d’être malade avec son propre corps.
Mais au sein de ce tourbillon de pensées qui m’habitent, cette discussion m’a amené à réfléchir à des questions liées à l’identité et à la liberté. Parce que pour cette jeune personne, son identité se résume par la phrase « un homme gay ». Pour elle, c’est ce qu’elle est. C’est ce qui la définit et la décrit. Nier une partie de cette affirmation (et je reconnais que c’est ce que je suis en train de faire en utilisant des pronoms féminins), sera vu, de son côté, comme une violence à son identité fondamentale et à sa liberté d’être humain.
Tout au long de l’histoire humaine, il a été naturel que les identités se forment lorsque les libertés sont restreintes : les gens « droits » ne considèrent généralement pas que l’hétérosexualité serait centrale dans la définition de leur identité personnelle, parce que cela n’a jamais été illégal. Les gens « gay », en revanche, ont vu leur liberté réduite lorsqu’il s’agissait d’avoir des relations avec des personnes du même sexe, de sorte que leur homosexualité est un élément fondamental de la façon dont ils se perçoivent. Pour donner un autre exemple : le drapeau norvégien est beaucoup plus précieux pour la plupart des Norvégiens que l’Union Jack n’est précieux aux yeux de la plupart des Britanniques, parce que ce drapeau avait été banni durant l’occupation nazie.
Liberté et contrainte
La « liberté », cependant, est un concept compliqué. Nous avons tendance à parler de la liberté comme de quelque chose de politique ou de légal : la liberté par rapport à toute contrainte légale. Ainsi, les adultes gays sont aujourd’hui libres (libres de la persécution légale au Royaume-Uni) de vivre des relations avec des adultes consentants du même sexe.
Mais il y a d’autres dimensions à la liberté : la loi nationale n’est pas la seule contrainte. Il existe des limites pratiques et naturelles à la liberté : la loi britannique peut ne pas m’interdire de planer au-dessus du sol, mais la loi de la gravité me l’interdit, elle ! Légalement parlant, je peux être libre d’avoir des relations sexuelles avec n’importe quel adulte consentant, mais un tel consentement ne fait pas de ma liberté légale une liberté absolue, parce tous ne voudraient pas nécessairement de telles relations.
En tant que chrétien, je sais aussi qu’il y a des restrictions supplémentaires sur le même sujet, parce que la loi de Dieu m’interdit de m’engager dans des actes sexuels en-dehors du mariage biblique : en tant qu’adulte célibataire, j’étais libre de restrictions légales ; pour autant que je puisse trouver un partenaire consentant, j’étais libre de toute contrainte pratique… mais je n’étais en réalité pas libre, parce que mon âme et ma conscience étaient restreintes par la Parole de Dieu.
Identité
Cependant, ce fait (l’identité de beaucoup de gens est liée à leur liberté de définir leur genre ou de se livrer à des actes sexuels) me rend très reconnaissant d’avoir ainsi des limites qui me sont imposées. Ce serait faux d’affirmer que ma sexualité ne joue aucun rôle dans mon identité ou mon image de soi : en particulier en tant qu’homme marié, cela fait partie de mon « réseau mental » quant à ma manière de me considérer. Pourtant, ce serait également faux de dire que la sexualité est une partie absolue et fondamentale de mon identité. En effet, je peux facilement imaginer perdre cette liberté (si par exemple ma femme m’était enlevée ou si je souffrais de blessures graves ou de problèmes de santé importants). Dans ce cas, même si je considérerais avoir perdu quelque chose d’important, en tant que chrétien mon identité est premièrement et avant tout en Christ, dans sa personne, dans sa vie et dans mon union spirituelle avec lui.
En Christ
D’autres choses que je fais et que je suis viennent s’ajouter à cette toile de mon identité, et certaines d’entre elles sont très importantes pour moi : je suis un grimpeur, un « gamer », un tromboniste, un passionné de livres, un homme aux cheveux blonds et aux yeux bleus, un Caucasien, un amateur de café et de chats, un homme biologique, un hétérosexuel, un Anglo-Norvégien, une personne bilingue, un mari, un pasteur, un père (même si notre fille n’est pas encore née). Et bien que je sois un chrétien, toutes ces choses font partie de l’image que j’ai de moi-même, et de l’image que j’espère que les autres ont de moi. Et cependant, la chose la plus importante en ce qui me concerne est d’être en Christ : c’est le plus haut dénominateur, la partie la plus élevée de mon identité, qui influence et l’emporte sur toutes les autres.
Je peux facilement m’attacher à des aspects de mon identité qui me sont précieux, et cependant Christ peut me commander de m’en débarrasser.
Je pourrais ajouter à la liste de mes « identifiants » : je suis un pécheur, un blasphémateur, quelqu’un d’envieux, un grincheux… même si ce sont des aspects de ma personne que je n’aime pas. Mais là encore, mon identité « en Christ » l’emporte, me dit que ces choses ne vont pas et que, tandis que je marche lentement avec mon Sauveur, le Saint-Esprit, par sa puissance, agit en moi et peut les ôter de ma vie.
Je peux facilement m’attacher à des aspects de mon identité qui me sont précieux, et cependant Christ peut me commander de m’en débarrasser. Avec Augustin, il m’arrive de dire : « Seigneur, rends-moi chaste, mais pas tout de suite ».
Une identité assurée
Pourquoi est-ce que je dis tout cela ? Parce que dans le spectre complexe de mon identité, il y aura des aspects (même certains qui sont importants) que je ne suis plus libre d’exercer, du fait de contraintes légales ou naturelles. Si je manque de temps, je ne peux plus lire de livres. Si je me casse une jambe, je ne peux plus faire de randonnée. Si mon Eglise ne veut plus de moi, ou si mon âge m’empêche de continuer, je ne peux plus être pasteur. Mes cheveux blonds commencent à devenir blancs. Toutes ces choses (et d’autres plus significatives, par exemple perdre un enfant ou une épouse) pourraient causer une crise d’identité : qui suis-je ? Est-ce encore moi ? Est-ce que j’ai encore de la valeur et de l’utilité ?
Mais voici cette vérité magnifique à propos de mon identité « en Christ », de cette identité si centrale et fondamentale : j’ai l’assurance, par l’Ecriture, que c’est une liberté que je ne pourrai jamais perdre. « Qui nous séparera de l’amour de Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée ? Non, dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car j’ai l’assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 8,35 et 37-39).
Nous pouvons facilement imaginer perdre nos libertés en tant que chrétiens, ainsi que cela s’est produit au début de l’Histoire de l’Eglise. Nous pourrions perdre la liberté d’expression, de notre statut d’organisme de bienfaisance protégé, ou même notre liberté de nous réunir ou d’adorer. Les gouvernements pourraient (à nouveau) faire passer des lois restreignant nos réunions, comme c’est le cas dans beaucoup de pays. Il pourrait aussi y avoir des contraintes physiques sur plusieurs aspects de notre vie chrétienne (nous pourrions être emprisonnés ou tués) ; pourtant, aucune de ces limitations, bien qu’ayant un impact important sur notre liberté ou même notre identité personnelle, ne pourrait toucher notre identité en Christ. Ces contraintes n’ont pas le pouvoir de toucher cette liberté. La part la plus importante de notre identité est libre de toute violence.
Identité à bon marché
Et voici donc ma préoccupation principale à propos de ma brillante jeune amie : elle a été vendue à une identité à bon marché, qui est bien trop vulnérable et si facilement limitée par des forces extérieures. Ultimement, ce n’est pas une identité qui lui apportera joie et récompense. En comparaison avec l’identité que j’ai en Christ (« Il nous a aimés et nous a délivrés de nos péchés par son sang, il a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour Dieu son Père », selon Apocalypse 1,5-6), c’est une identité bien trop temporaire et liée aux choses de la terre. Je me rappelle que les passions de la chair font la guerre à l’âme (1 Pierre 2,11).
Trouvons-nous notre identité et notre liberté en Jésus-Christ ? Bien sûr, nos identités seront formées de toutes sortes d’autres manières et par toutes sortes d’autres aspects (certains significatifs, d’autres triviaux ; certains justes et dignes d’être cultivés, d’autres pécheurs et devant être rejetés), mais est-ce que le cœur de ce que nous sommes est enraciné en ce que Jésus est et en ce qu’il a fait ? « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque se livre au péché est esclave du péché. Or l’esclave ne demeure pas toujours dans la maison, le fils y demeure toujours. Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres » (Jean 8,34-36).
Article paru dans le « Evangelical Times » d’août 2024