Quel chrétien n’est pas régulièrement attristé par sa manière de vivre, par ses péchés récurrents, par son manque d’amour, par la dureté de son cœur ? Dans son livre « Le côté obscur de la vie chrétienne » (Publications chrétiennes), Pascal Denault écrit : « Le péché du croyant est expié, le chrétien est mort au péché, pourtant le péché produit encore des effets dans son existence ». Après avoir évoqué les doutes quant à l’assurance du salut, puis la question de la dépression de l’âme, il s’emploie, dans la troisième partie de son excellent ouvrage, à réconforter les chrétiens découragés par le péché persistant dans leur vie… c’est-à-dire, finalement, nous tous !
Une nouvelle identité
Tout au long de ces pages, nous sommes rassurés par des rappels essentiels quant à notre identité en Christ : nous sommes bel et bien de nouvelles créatures, nous ne sommes plus condamnés, nous sommes au bénéfice de l’œuvre de l’Esprit qui nous transforme. Oui, notre péché nous attriste, mais il n’annule pas ce que nous sommes en Christ : « La conviction de péché peut parfois être plus grande et laisser plus d’impressions que la grâce ; cependant elle n’est pas plus grande que la grâce. Un homme ressent la douleur de son doigt plus intensément qu’il ne ressent le bien-être de son corps entier ; pourtant il sait que la douleur à un doigt n’est rien en comparaison du bien-être du corps entier ».
Nous vivrons jusqu’à la fin dans cette dualité d’être de nouvelles créatures qui continuent à pécher. Pécher est « normal », non pas au sens d’acceptable, mais aussi sens d’inévitable. « La preuve qu’une personne est née de nouveau n’est pas l’absence du péché dans sa vie, mais une repentance continuelle pour le péché qui subsiste encore en elle », souligne l’auteur.
Un accent sur l’intensité de nos expériences spirituelles ?
Mais faut-il en rester là ? N’est-il pas nécessaire de lutter contre le péché ? Pascal Denault prône bien sûr un combat contre le péché. Mais encore faut-il bien s’y prendre… Le pasteur réformé baptiste dénonce deux mauvaises conceptions en la matière, et il commence par le piétisme : « En réponse au péché rémanent, certains chrétiens adoptent une attitude piétiste où leur sanctification semble dépendre exclusivement de leur propre piété ». Il ajoute : « Les piétistes considèrent que ce que nous vivons est plus important que ce que nous croyons. Ils cherchent l’assurance du salut non dans l’œuvre achevée du Christ mais dans l’intensité d’une expérience spirituelle ».
Une piété purement extérieure et personnelle ?
Cette manière de voir la vie chrétienne, née dans la deuxième partie du 17e siècle, influence encore aujourd’hui le monde évangélique francophone. C’est un héritage du piétisme que de « penser que l’Esprit suscite une connaissance directe de Dieu sans nécessairement passer par la révélation écrite ». Or l’Esprit ne suscite pas la foi sans utiliser la Parole.
C’est un héritage du piétisme de déconsidérer l’Eglise en tant qu’institution et de vouloir vivre sa foi de manière purement individuelle, en lisant la Bible chacun pour soi. Or l’Eglise est la colonne et l’appui de la vérité, et « notre communion avec Christ se fait principalement au travers de la communion de Christ avec l’Eglise ».
C’est un héritage du piétisme de « concevoir la sainteté comme étant la conformité à une série de règles extérieures » et ainsi de tomber dans une forme d’orgueil spirituel. Or la sanctification n’est pas d’abord quelque chose que nous faisons, mais quelque chose qui nous est fait.
Lutter contre le péché, contre ce côté obscur de notre vie chrétienne, ne passe donc ni par une communion avec l’Esprit déconnectée de la Parole de Dieu, ni par des efforts purement individuels, ni par une transformation seulement extérieure.
Un chrétien continue d’obéir à la loi
En réaction, certains pourraient répondre que, de toute manière, lutter contre le péché n’est pas nécessaire : c’est l’erreur de l’antinomisme évangélique, que Pascal Denault déplore aussi. « Il s’agit d’une approche qui accentue la grâce en l’opposant à la loi ». Or « l’Evangile a mis fin à la condamnation de la loi et a accompli pour nous l’obéissance à la loi, mais l’Evangile n’a jamais retiré l’exigence d’obéir à la loi ». Le pasteur rappelle que, selon la Parole de Dieu, personne ne verra le Seigneur sans la sanctification (Hébreux 12,14). Il est question de la « duplex gracia » : la grâce non seulement pardonne et justifie, mais aussi transforme et sanctifie. Le chrétien continue d’obéir à la loi et il produit des œuvres bonnes : « Elles ne sont pas méritoires, mais révélatrices : elles ne procurent pas le salut, mais elles le démontrent ».
Dieu travaille… mais nous aussi
En niant cette réalité biblique, l’antinomisme pousse ainsi à une forme d‘inaction, puisqu’il affirme que « la sanctification consiste à se reposer entièrement sur notre justification et que tout changement en nous est uniquement l’œuvre de Dieu ». La Bible répond que, certes, Dieu produit en nous le vouloir et le faire… mais que notre responsabilité est de faire des efforts. Selon cette conception synergiste de la vie chrétienne, la sanctification est certes premièrement le travail de Dieu et un don de Dieu, mais les hommes sont appelés et équipés pour se sanctifier eux-mêmes. « Nous ne trouverons pas les ressources en nous-mêmes, mais en Christ. Cependant, elles ne nous rendront aucunement passifs, mais actifs et pleinement responsables », explique Pascal Denault.
Qui s’empresse d’ajouter que nos efforts ne laissent pas Dieu indifférent, mais lui plaisent. Là encore, il faut bien préciser quels sont les acquis : nous plaisons déjà à Dieu, puisque nous lui avons été rendus agréables par la foi (Hébreux 11,6) en Jésus-Christ. Dieu aime ses enfants inconditionnellement, sans que cet amour puisse augmenter ou diminuer. En même temps, précise Pascal Denault, Dieu trouve plus de plaisir en ses enfants lorsqu’ils lui obéissent et font ce qui lui est agréable, contrairement à ce que déclare l’antinomisme.
La vie normale du chrétien : la consécration
Le remède au péché n’est donc ni le piétisme, ni l’antinomisme, mais… la consécration. Elle n’implique pas de tout quitter pour partir en mission, elle n’est pas non plus l’apanage des seuls héros de la foi dont les exploits sont racontés dans des biographies qui peuvent parfois nous culpabiliser. « La consécration nous est présentée comme la vie chrétienne normale et raisonnable pour tous les chrétiens. Les chrétiens consacrés ne sont pas des êtres exceptionnels, mais plutôt des croyants ordinaires ».
C’est le message de Romains 12,1 : « Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable ». Notre vie est-elle tout entière offerte à Dieu, de manière perpétuelle, comme un sacrifice de bonne odeur à Dieu ? Est-ce que notre cœur et notre corps appartiennent à Dieu ? Vivons-nous dans la sainteté ? Pascal Denault précise qu’être saint ne consiste pas premièrement à s’abstenir de quelque chose, à se séparer… mais à se donner entièrement à Dieu, à se consacrer à lui, à chercher à le glorifier ici et maintenant. « La vie chrétienne, dans cette perspective, n’est pas pénible ni monotone, elle est passionnante et profondément satisfaisante ». Et cette vie chrétienne est possible, puisque, répétons-le, le Saint-Esprit vient renouveler notre intelligence (Romains 12,2) et nous remplir d’amour (2 Timothée 1,7). Il travaille à notre transformation profonde.
Alors, quel est le remède à ce côté obscur de la vie chrétienne qu’est le péché ? La consécration. Et, « pour être consacrés au Seigneur et lui être agréable, il ne nous demande pas d’accomplir des exploits. Il nous demande simplement de garder sa Parole ».