Discours prononcé à Paris en 1849 par Adolphe MONOD pasteur de l’Eglise réformée à Paris
L’Evangile exclut ce qui lui est contraire
Cette affirmation absolue que vous nous reprochez : Jésus-Christ est « Dieu manifesté en chair », cette affirmation exclusive, puisqu’elle exclut toute affirmation contraire, c’est la foi. Et je ne puis parler autrement sans tomber dans le doute… Pour moi, la mort de Jésus-Christ est un sacrifice expiatoire. Si elle ne l’est pas pour vous, je vous opposerai mes arguments qui me paraissent meilleurs que les vôtres. Mais cela fait, je n’irai pas plus loin. Qui suis-je pour trancher la question entre vous et moi ? Il est possible, après tout, que vous ayez raison, et que la mort de Jésus-Christ ne soit pas un sacrifice expiatoire. Mais si je parle ainsi, je ne crois plus, je doute…
Il en est de même pour les choses que nous maintenons avec l’église réformée, avec l’église universelle, avec l’église primitive, par une affirmation absolue qui exclut toute affirmation contraire. Nous ne les maintenons de la sorte que parce que Dieu a parlé, et clairement parlé ; après quoi, notre foi n’est pas un sentiment qui nous appartienne, c’est une conviction dont nous ne pouvons pas plus disposer que nous ne pouvons disposer des perfections divines. Là où Dieu n’a pas parlé, le champ est ouvert aux conjectures, à celles d’autrui comme aux nôtres, et nous ne nous permettrons pas de donner à celles-ci contre celles-là le ton superbe d’une affirmation présomptueuse. Là où Dieu n’a parlé qu’obscurément, nous ne nous permettrons pas davantage de suppléer ce qu’il a sagement refusé de lumière à ses révélations ; c’est sur ce principe que nous nous abstenons de l’affirmation absolue, dans les choses où divers enfants de Dieu et diverses communautés chrétiennes entendent diversement les Ecritures. Mais, quand Dieu a parlé, et a parlé aussi clairement qu’il a fait à Noé et à Abraham, quand Dieu a dit qu’en Jésus-Christ « habite corporellement toute la plénitude de la divinité », quand Dieu a dit que Jésus-Christ « a été établi pour propitiation, par la foi en son sang », nous ne saurions, pour nous prêter à la tolérance du siècle, nous ne saurions sans trahir notre foi, traiter la négation de la divinité de Jésus-Christ ou de la vertu expiatoire de son sacrifice autrement que comme une incrédulité.
A cela, il n’y a qu’une manière d’échapper : c’est de reconnaître, avec nous, que la vraie largeur doit s’arrêter quelque part ; et que s’il y a des croyances qu’on ne saurait exclure sans intolérance, il y en a d’autres qu’on est tenu d’exclure sous peine d’indifférentisme ou d’incrédulité.Reste à fixer la limite que notre largeur doit atteindre et qu’elle ne doit pas dépasser, les enseignements de l’Ecriture, les points capitaux en dehors desquels il n’est plus de christianisme, comme il y a dans le corps humain des parties vitales sans lesquelles la vie ne se conçoit plus.
Pour nous, nous sommes en paix, ayant l’autorité de Dieu lui-même pour la différence que nous faisons entre doctrine et doctrine, marchant avec lui et nous arrêtant avec lui, comme les Israélites au désert. Redoutant sans doute d’être moins larges que Dieu, c’est-à-dire étroits et injustes ; mais redoutant également d’être plus larges que lui, c’est-à-dire froids et infidèles.
Quoi qu’il en soit, vous, enfants de Dieu qui avez quelque expérience » de la grâce qui est en Jésus-Christ », tenez ferme pour la vérité, sans vous laisser troubler par les reproches d’un siècle qui semble prendre à tâche de réaliser cette prédiction terrible du Seigneur : « Quand le Fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouvera de la foi sur la terre ? » Il le faut pour l’honneur de Dieu, il le faut pour votre paix, il le faut aussi pour le bien du monde, de ce monde qui a besoin de vous et qui compte secrètement sur vous, dans le temps même où il vous accuse (1 Pi 2.12). S’il n’a point de conviction, (le monde) sait ce qu’il en coûte de n’en point avoir ; il vous reproche les vôtres et il vous les envie tout ensemble. Et qui sait ? Peut-être il ne veut, en vous accusant, que vous soumettre à une épreuve où il regretterait le premier de vous voir succomber.
(Le monde) vous a vus, dans ce siècle d’hésitation, seuls décidés, seuls paisibles, seuls convaincus. Il veut connaître si ces généreuses apparences cachent une réalité solide à laquelle il puisse se rattacher lui-même au jour de la détresse. Il vous poursuit, il vous raille, il vous taxe d’étroitesse et d’intolérance – prêtsà abandonner la dernière lueur d’espérance qui lui demeure, s’il vous trouve accessible à ses attaques. (…) Qu’il vous trouve fermes, qu’il vous trouve inébranlables ! Et le jour viendra peut-être où, comme ces inquisiteurs qui, après avoir éprouvé la constance de leurs victimes sans la pouvoir lasser, ont fini par embrasser leur foi et partager leur martyre, le vieux monde viendra s’asseoir à côté de votre Evangile sur le banc des accusés, instruits, par la résistance charitable que vous lui aurez opposée, qu’il reste un asile dans le monde où les convictions fortes se sont réfugiées, et que cet asile est le coeur du vrai chrétien !
(Texte légèrement abrégé par Ch. Nicolas)
L’exclusivisme ou l’unité de la foi