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La colère joue un rôle significatif dans un bourbier de difficultés interconnectées. Et pourtant, d’une manière presque inconcevable, la bonne colère peut tenir un rôle clé dans la recherche de solutions. Comprendre tout cela, tel est l’objectif de ce livre. Permettez-moi de vous raconter une histoire. 

Il y a quelques années, par une après-midi hivernale, je m’étais rendu au supermarché pour faire quelques achats en vue du souper. Une jeune maman était entrée dans le magasin en même temps que moi. Suivie de son petit garçon de quatre ans, elle poussait son caddie devant moi, dans l’allée. Il m’était difficile de deviner son âge. Vingt-cinq ans, peut-être début de la trentaine. Des traits durs apparaissaient déjà sur son visage. Elle avait une longue chevelure blonde, non peignée, portait une veste kaki et avait aux pieds des baskets usées. Elle avait le regard quelque peu perdu, comme si elle n’était pas vraiment là, ou comme si elle était troublée intérieurement par des ennuis provenant d’ailleurs, aigrie, agitée. Bref, le genre de visage qui vous trouble et vous préoccupe. 

Son petit garçon commença à s’agiter alors qu’elle se dirigeait avec lui vers l’allée des confiseries. Il voulait un bonbon, mais elle refusa de lui en acheter. Il se mit à pleurnicher : « Mais je veux… ». 

Elle l’arrêta net : « Non ! » 

Le petit pleurnicha un peu plus fort. 

Elle le menaça : « Combien de fois je vais devoir te le redire ? NON, NON, et NON ! Et je ne veux plus t’entendre. Sinon tu… » Sa menace s’estompa. Elle arrêta son caddie, et fixa son regard ailleurs, dehors, à travers la vitrine du magasin. Je m’étais moi aussi arrêté, curieux de savoir comment ce drame se terminerait. 

Le garçon bouda un moment, puis il revint à la charge en chouinant un peu plus, et en tirant sur la veste de sa mère. «Je veux un bonbon. » 

Elle l’insulta. « Tu es une peste de […] ! Je me demande pour- quoi je m’embête à t’emmener partout!» Elle regarda ailleurs, puis le fixa de nouveau, le regard chargé de haine, et son regard se perdit au loin, très loin sur rien en particulier. 

Il pleurnicha encore un peu : « Je veux un bonbon ! » 

Elle se retourna et lui flanqua une gifle. Le petit se mit à hurler. Elle regarda ailleurs, au-delà des confiseries et des chips, plus loin que la caisse, vers le parking. Je me disais qu’elle se contenait pour ne pas hurler à son tour ou pour ne pas tuer le gamin. 

Tout à coup, elle se retourna vers lui et se pencha. Son visage était à cinq centimètres de celui de l’enfant, son index formant un angle de quarante-cinq degrés avec le nez du petit. « Si tu ne la fermes pas immédiatement, je sors du magasin et je te laisse ici. Tu as bien compris ? Je ne veux plus t’entendre, et je ne veux plus te voir. Si tu dis encore un seul mot, je te jure que je monte dans la voiture et je ne reviendrai jamais te chercher, et je me fiche éperdument de ne plus te revoir ! » Elle se retourna et fit semblant de partir. Après quelques pas rapides, elle revint et prit brusquement le garçon par le bras en disant : « Mais ferme-la, bon sang ! » 

Elle poussa le caddie dans l’allée du supermarché, suivie du petit qui continuait de marmonner, le regard fixé sur les roues du chariot qui vibraient sur le carrelage. La menace d’être abandonné ne semblait pas l’épouvanter. Il suivait sa mère, un peu en retrait derrière elle. Il traînait ses pieds suffisamment pour l’irriter, mais pas assez pour la faire exploser à nouveau. 

Ils étaient tous les deux des gens réellement en colère. 

Et cela me mit en colère, moi aussi. 

Chrétien en colère

Chrétien en colère

BLF Éditions & Évangile21. 304 pages.

Du plus jeune nourrisson au plus vénérable grand-père, la colère est une expérience humaine universelle. Nous nous mettons tous en colère, souvent de la mauvaise manière. Mais la colère peut être une façon légitime de réagir face au mal et une puissante motivation à l’action en faveur des victimes d’injustices.
David Powlison affirme que la colère n’est pas « un problème à régler », quelque chose dont nous devons nous débarrasser. La colère est une réponse complexe d’êtres humains qui vivent dans un monde complexe. Nous devons apprendre à la gérer pour qu’elle produise de beaux fruits.
L’auteur examine les racines de la colère en portant son regard à un endroit très surprenant : la colère de Dieu lui-même. Powlison rappelle que Dieu se met lui aussi en colère. Mais la colère de Dieu ne se transforme pas en manipulation ou en tentative de contrôle. Non, sa colère est bonne et source de rédemption. Il est à la fois notre modèle pour le changement mais aussi la puissance qui permet ce changement.
Chrétien en colère vous aidera à exprimer plus souvent votre colère de manière juste, constructive et qui portera de beaux fruits. Powlison offre des conseils pratiques à ceux qui luttent avec l’irritation, le mécontentement ou l’amertume et une aide avisée pour réagir de manière constructive quand les choses ne se passent pas comme vous l’auriez aimé.

BLF Éditions & Évangile21. 304 pages.

J’étais en colère contre la maman. Sa manière d’agir avec son fils, c’était de l’abus! Ce qu’elle faisait était indiscutablement mal. Mais j’étais également irrité contre l’enfant. Il tourmentait sa maman. Ce qu’il faisait était aussi mal. J’en voulais à tout ce qui avait rendu la vie de cette femme si difficile, au point d’en faire un cauchemar infernal. Toutes ces choses qui sont terriblement mauvaises : les petits amis qui s’en fichent, les parents qui gâchent leur vie, les trafiquants de drogue, la pauvreté. Et j’en voulais à cette maman pour les choix qu’elle faisait en réaction à sa vie difficile. 

La colère que je ressentais semblait pure et constructive com- parée aux irritations que j’éprouve souvent. Je ne haïssais pas cette maman et son petit bonhomme. Je me faisais du souci pour eux, mais je ne pouvais pas intervenir. J’étais en colère – je haïssais ce qu’ils faisaient – au point que j’avais envie de les aider. J’aurais aimé les protéger, leur faire grâce, et les aider à changer. C’était pour moi l’un des trop rares moments où la colère semblait motivée par l’amour et non par un intérêt égoïste. Mais ce jour-là, mes bonnes intentions ne débouchèrent sur rien. Je ne voyais vraiment pas comment je pouvais faire quoi que ce soit. 

Trente-cinq ans plus tard, ce livre est une manière pour moi de faire quelque chose suite à cet incident. Ce que j’ai vécu ce jour-là est l’un de ces OMS (« Oui-Mais-Si ») qui m’a incité à réfléchir de façon plus profonde et plus constructive à la colère. 

Ces trois colères dans le supermarché ne ressemblent pas aux colères qui sont traitées dans les manuels de développement personnel. La plupart de ces ouvrages proposent des techniques permettant de maintenir un certain détachement afin de réussir à conserver son calme au milieu des irritations de la vie. D’autres vous encouragent à vous défendre, et à vous approprier votre colère afin de vous sentir plus fort. Ces deux sortes de conseils peuvent se concevoir, plus ou moins, tant que les problèmes auxquels vous faites face sont faiblement irritants, ou si la cause de la colère peut se réparer. 

C’est vrai, si vous inspirez profondément et si vous visualisez une plage dans votre tête alors que vous êtes pris dans un embouteillage impossible, alors le monde paraîtra plus chaleureux. Et si vous exprimez vos attentes sans tomber dans la revendication, il est plus que probable que les gens vous donneront ce que vous demandez. Oui, bien sûr, vous pouvez exprimer ce que vous ressentez. 

Mais la scène à laquelle j’ai assisté dans le supermarché ne traite pas de sujets d’irritation, ni de la gestion de la réalité pour en tirer davantage et vous sentir mieux. Il s’agit de choses mauvaises. Il s’agit clairement de choses qui sont fausses et destructrices. Il faut les corriger. Et ce qu’il faut pour les corriger n’est pas évident, mais la bonne colère fait partie de la solution. Raconter des banalités, se parler à soi-même pour créer de l’assurance, s’affirmer et booster sa confiance en soi, les traitements médicaux, rien ne pourra jamais faire ce qui aurait besoin d’être fait. Aucune de ces colères n’est expliquée ni traitée par l’industrie du développement personnel. Or, c’est pourtant de ces colères dont la vie est remplie ! 

Réfléchissez avec moi à ce dont nous avons été témoins dans cette histoire. Je vais faire quelques suppositions, mais je pense qu’elles sont plausibles. 

Tout d’abord, la colère du garçon est typique des colères que nous rencontrons le plus souvent: «Je veux ce que je veux. Si je n’obtiens pas satisfaction, j’en fais toute une affaire. Je me lamente sur mon sort. C’est tout de même injuste de ne pas obtenir ce dont j’ai envie, et quand j’en ai envie. Je vais donc te manipuler pour obtenir ce que je veux, et si nécessaire je deviendrai même méchant. 

Je punirai quiconque osera se placer au travers de ma route ». Cette sorte de colère jaillit lorsque vous voulez quelque chose et que vous ne l’obtenez pas. La colère pleurniche et boude. Elle persiste. Elle fait toute une affaire. Elle est pleine d’astuces et de stratagèmes. 

Nous connaissons tous le type de colère du petit garçon : nous l’avons vu à l’œuvre, nous l’avons expérimenté nous-même, et nous avons même pensé que nous étions en droit de réagir ainsi. Un désir particulier est contrarié, et la colère enfle à l’intérieur pour s’en prendre à tout ce qui s’oppose à votre volonté. C’est une façon d’arriver à ses fins ou de punir ceux qui vous énervent, ou en tout cas de leur faire comprendre votre déplaisir. Ce petit garçon avait un problème d’adulte ! D’une part, il lui était impossible d’aimer sa maman aussi longtemps qu’il l’exploitait. Et par ailleurs, il avait tendance à devenir comme elle. 

La colère de la maman était du même genre, mais plus complexe. Sa colère comprenait aussi – mais ne se limitait pas à – « Je veux que mon enfant soit sage et ne m’embarrasse pas. Il m’embête, alors je me mets en colère ». Sa colère a mûri au fil des années pour devenir un mal bien plus complexe. C’est une colère enchevêtrée dans une histoire plus longue. Son agressivité incorpore à la fois des brins d’événements courants et le désespoir d’un avenir lugubre. Elle jaillit comme un torrent de sentiments entremêlés, de motivations aveugles et de mauvaises expériences. C’était de l’hostilité à l’état brut, mais aussi du désespoir, de la peur, des habitudes, des regrets, des blessures, des déceptions, des conséquences de mauvais choix passés, un manque de bons modèles, des provocations accumulées dans le temps, des problèmes d’argent, des relations mutuellement destructrices, des mensonges crus, des mauvais choix de vie, des ressentiments accumulés, des objectifs vains, peut-être même un problème d’alcool. 

Sa colère est à moitié juste. Beaucoup de choses qui lui sont arrivées sont effectivement mauvaises. Mais sa colère est devenue complètement mauvaise. C’est un des résultats d’une vie qui se mène « sans espoir et sans Dieu dans le monde », comme le déclare Éphésiens 2 : 12. Sa colère contre son enfant était en quelque sorte cosmique par son ampleur et sa portée: «Ce gamin représente tous les mauvais choix que j’ai faits et toutes les mauvaises choses dont j’ai souffert et toute la vie que je ne pourrai jamais vivre. Ce n’est pas juste une affaire de bonbon. Il existe, mais moi aussi, j’existe. Je suis en colère, contre tout, contre tous. » De nombreux désirs, tromperies et peurs nourrissent son autodestruction compliquée. Elle ne pourra jamais travailler de manière constructive avec son enfant tant qu’elle éprouve de la rancœur face à l’existence même de ce gosse, et tant qu’elle reste sans espoir pour son propre avenir. 

La plupart d’entre nous ont au moins goûté à cette passion plus sombre et plus complexe de la maman. La colère n’est pas seulement provoquée par les événements courants. Elle résulte de bien plus de choses qu’on ne le souhaiterait. 

Vous avez peut-être connu le gâchis des colères et des pleurs pendant une période de votre vie. Peut-être y êtes-vous plongé en ce moment même. Personne ne souhaite une vie d’enfer. Peut-être vous détestez-vous à cause de toute la haine que vous nourrissez. Et vous ne voyez aucun moyen d’en sortir. Vous ne savez pas par où commencer. Comment démêler vos propres réactions colériques ? 

La plupart d’entre vous ne se sont probablement jamais sentis perdus à ce point, mais peut-être avez-vous souffert des explosions de colère du bourbier d’autrui. Cette mère et son fils s’attaquaient et se blessaient mutuellement dans l’allée du supermarché, et vous savez ce que signifie être traité de la sorte. La furie plonge ses destinataires dans la misère. Il est difficile de tracer votre chemin dans la vie lorsque vous vivez à l’ombre d’un volcan. Comment avancer de manière constructive sans vous venger, sans vous renfermer sur vous-même, ou sans vous verrouiller ? 

Peut-être essayez-vous de venir en aide à quelqu’un qui vit dans un tel bourbier. Si vous avez tendu la main à des gens dans le besoin, vous vous êtes probablement heurté à ce genre de désespoir. Beaucoup de gens malheureux, qui luttent, ne savent pas par quel bout prendre le problème et ne voient aucune issue. Une personne comme la maman dans l’épicerie va même souvent justifier et défendre ce qui la détruit. Comment aider des gens embrouillés à ce point ? Qu’il est difficile pour un apprenti secouriste de savoir par où commencer et comment avancer! Pour comprendre véritablement la colère et trouver une vraie solution aux problèmes de la colère, il nous faudra creuser au moins aussi profond que ces problèmes le sont. 

Et il faudra creuser encore plus profondément que cela. Nous chercherons à nous orienter vers une sorte de colère qualitative- ment différente, vers quelque chose de bon. Je ne connais pas très bien le genre de colère que j’ai ressentie dans le supermarché ce jour-là. Elle paraissait juste. Je devrais pouvoir l’éprouver plus souvent que cela. Elle était inextricablement entremêlée d’amour. C’était une colère qui se faisait du souci pour les autres. Elle cherchait à faire quelque chose de constructif dans cette tourmente de maux, même si c’était quelque chose de très modeste. Je haïssais ce que la maman et son petit se faisaient l’un à l’autre. Mais c’était une haine charitable. Elle semblait juste : « Tout cela est néfaste et injuste, et doit cesser. » Elle semblait pleine de compassion : « Si seulement nous pouvions panser ce qui est meurtri. » Elle inspirait une certaine impulsion rédemptrice : « Comment réparer ce qui est désormais en ruine ? » 

Tout cela constitue le problème plus profond et plus vaste de la colère que je désire aborder avec vous dans ce livre. 


Cet article est un extrait du livre « Chrétien en colère » de David Powlison

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