A l’heure où la France examine une proposition de loi sur l’euthanasie et qu’ailleurs en Europe francophone (Belgique, Suisse) cette pratique (ou celle du suicide assisté) est dépénalisée depuis des décennies, il est crucial que les chrétiens puissent se positionner avec sensibilité sur ce sujet.
L’euthanasie est-elle une manière de « mourir dignement » (une « bonne mort », au sens étymologique du terme) ? Comment faire face à la souffrance qui pousse une personne à vouloir en finir avec la vie ? Faut-il maintenir la vie à tout prix ? Autant de questions complexes que le débat actuel en France invite à se poser avec sérieux…
Comment en est-on arrivés là ?
Si l’opinion publique est largement favorable à la légalisation de l’euthanasie, en Europe francophone, cela est dû en grande partie à la force des arguments employés.
Le film Mar Adentro, oscar du meilleur film international en 2005, en fournit un bel exemple. Il raconte l’histoire vraie de Ramòn Sampedro (joué par l’acteur Javier Bardem) qui, suite à un accident de plongeon dans sa jeunesse, est devenu tétraplégique. Ne pouvant plus bouger que la tête, Ramòn se sent enfermé dans son propre corps. Prostré dans son lit, il n’a plus qu’un seul désir : mourir. Mais il se heurte au refus de ses proches, notamment Rosa – une jeune femme amoureuse de lui –, qui ne comprennent pas qu’il veuille en finir. Au point tournant du film, Ramòn tente de convaincre Rosa en lui disant ceci :
« Je veux mourir parce que je sens qu’une vie pour moi, dans cet état, n’a pas de dignité. Je comprends que d’autres tétraplégiques puissent s’offusquer que je dise qu’il n’y a pas de dignité dans cet état, mais je n’essaie pas de juger qui que ce soit. Qui suis-je pour juger ceux qui choisissent la vie ? Alors ne me jugez pas, ni personne qui veut m’aider à mourir… La personne qui m’aime vraiment sera celle qui m’aidera à mourir. C’est ça l’amour, Rosa. C’est ça l’amour. »
Cette réplique contient en elle-même tous les principaux arguments en faveur de l’euthanasie.
Quels arguments ?
- La perte de la dignité. Ce que ressentent beaucoup de personnes très âgées ou sévèrement handicapées, c’est une perte de dignité, liée à une perte d’autonomie. Comme le dit Ramòn Sampedro : « Je sens qu’une vie pour moi, dans cet état, n’a pas de dignité… »
- La liberté de l’individu. Dans notre société individualiste moderne, la plupart des gens estime que chacun devrait pouvoir décider pour soi-même s’il veut vivre ou mourir. C’est « Ma vie ! Ma mort ! Mon choix ! », selon le slogan de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD). Comme l’explique Ramòn Sampedro : « Je n’essaie pas de juger qui que ce soit. Qui suis-je pour juger ceux qui choisissent la vie ? Alors ne me jugez pas, ni personne qui veut m’aider à mourir… »
- La compassion face à la souffrance. L’idée ici, c’est que certaines personnes souffrent (physiquement ou moralement) et qu’il devrait être permis d’hâter leur mort pour abréger leurs souffrances. Il s’agirait même, pour certains, d’un devoir de compassion. Dans les mots de Ramòn Sampedro : « La personne qui m’aime vraiment sera celle qui m’aidera à mourir. C’est ça l’amour Rosa. C’est ça l’amour… »
Ce sont là trois arguments fréquemment cités qui, mis bout à bout, constituent un plaidoyer puissant en faveur de l’euthanasie.
Que pouvons-nous répondre à cela ?
La compassion
Concernant l’argument dit « de la compassion face à la souffrance », il faut souligner trois choses.
Déjà, si la compassion est un sentiment important à ressentir à l’égard d’autrui, elle n’est pas un principe moral. La compassion est une émotion, une bonne disposition à avoir à l’égard de ceux qui souffrent. Mais elle ne nous dit pas vraiment quelle est la bonne manière de réagir face à une telle personne. En fait, le sentiment de compassion peut nous induire en erreur et nous pousser à faire des choses profondément immorales ! (Comme p. ex., dissimuler à un patient la gravité de sa maladie pour éviter qu’il ne s’affole !)
Ensuite, il faut savoir que les progrès de la science en faveur des personnes en fin de vie rendent paradoxalement la question de l’euthanasie moins pressante. D’ailleurs, dans les pays où celle-ci est légale, lorsqu’on demande aux patients : « Pourquoi avez-vous recours à l’euthanasie ? », la souffrance arrive tout en bas de la liste.
Enfin, ne serait-il pas mieux de développer des meilleurs soins palliatifs – qui vont davantage encore soulager les souffrances des patients – plutôt que d’opter pour la solution de les tuer ? Si l’euthanasie devient une alternative facile et bon marché aux soins médicaux, l’incitation à développer ces soins sera moins forte.
La liberté
Concernant l’argument de « la liberté de l’individu », il est crucial de comprendre que l’euthanasie n’est pas une question individuelle (contrairement à ce que laisse entendre le slogan : « Ma vie ! Ma mort ! Mon choix ! »).
Ce n’est pas une question individuelle puisqu’il est demandé à quelqu’un d’autre – au médecin – de procéder à l’injection léthale ou de rédiger la prescription létale. Le médecin, donc, est impliqué. Et si la société approuve ce jugement (en légalisant la démarche), alors la société est impliquée. Nous disons aux gens qui ont recourt à l’euthanasie : « Oui, nous pensons qu’il vaudrait mieux que vous soyez morts. Ce n’est pas juste votre jugement, c’est notre jugement. » Nous sommes parties prenante, que nous le voulions ou non…
Le plus grave, c’est que si l’euthanasie est légalisée, nous devons aussi introduire des garanties pour veiller à ce que seules certaines personnes (les malades en phase terminale, et/ou les handicapés sévères, etc.) puissent en bénéficier. Après tout, nous ne pouvons pas laisser tout le monde se suicider ! Nous devons donc définir des critères et des qualifications pour les personnes éligibles, et celles qui ne le sont pas. Mais pensez au message que nous – en tant que société – envoyons à des personnes déjà vulnérables lorsque nous leur disons : « Votre situation est suffisamment grave, nous pensons que le suicide est en fait une option appropriée pour vous ! Nous pensons qu’il vaudrait mieux que vous soyez morts ! » Mais pour d’autres personnes, nous ne l’autorisons pas parce qu’elles nous sont encore utiles ou précieuses. C’est extrêmement grave : nous sommes au fond en train de classifier des personnes comme étant moins dignes de vivre !
Et cela nous place sur une dangereuse pente glissante. Car, à partir du moment où on accepte que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécue, on ouvre une porte qu’il est difficile ensuite de refermer… (P. ex., si on autorise l’euthanasie pour les personnes âgées, sous prétexte qu’elles ne sont plus autonomes et qu’elles sont donc un fardeau, pourquoi se limiter à elles ? Pourquoi ne pas l’ouvrir à ceux de tout âge qui ne sont pas autonomes – les handicapés, malades mentaux, etc. ? etc.)
La dignité
Enfin, de nombreuses personnes favorables à la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté semblent avoir l’impression de se battre pour le droit de mourir dans la dignité. En d’autres termes, elles pensent qu’il s’agit de s’assurer que, lorsque leur heure viendra, elles auront le droit de refuser une intervention médicale extraordinaire.
Le problème avec ça, c’est que nous avons déjà le droit de refuser un traitement. Si vous êtes en train de mourir, vous pouvez choisir la manière dont cela se passera. Si vous voulez rester chez vous et refuser les soins hospitaliers, vous pouvez le faire. Si vous voulez recevoir des soins médicaux, vous pouvez définir les limites de ces soins. Lorsque nous disons que nous sommes contre l’euthanasie, nous disons que nous sommes contre « l’interruption de la vie ». Mais nous ne sommes pas contre « l’interruption du traitement ». Nous ne militons pas pour maintenir les gens artificiellement en vie au-delà de leurs souhaits.
Et en pratique ?
Au-delà du débat sociétal, la question de l’euthanasie nous offre – à nous chrétiens – un formidable tremplin pour partager l’évangile avec nos contemporains. Car nous savons que la mort n’est pas la fin mais la porte s’ouvrant sur l’éternité. Et nous sommes bien placés pour répondre directement à la peur de la mort qui hante nos semblables, car nous croyons en un Sauveur ressuscité !
Hors de Christ, la mort n’est jamais « bonne ». Car pour tous ceux qui n’ont pas mis leur foi en Jésus, elle est la porte s’ouvrant sur une éternité passée loin de Dieu, dans les tourments de l’enfer. Mais comme Jésus l’a lui-même dit, devant le tombeau de Lazare, son ami décédé : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque croit en moi ne mourra jamais » (Jean 11.25-26). Il s’agit là de la seule « bonne mort » qui soit – mourir en Jésus, notre Sauveur ressuscité.
Dans une société de plus en plus mortifère, nous avons un message d’espérance et de vie à proclamer. Ne nous contentons donc pas de contredire simplement les arguments en faveur de l’euthanasie. Mais servons-nous des discussions sur ce sujet épineux, pour partager l’évangile avec nos amis. Le but ultime n’est pas de gagner un débat, mais de gagner des vies à Jésus-Christ