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Emmanuel Carrère est un des auteurs français les plus importants de sa génération. Depuis son roman L’Adversaire(2000), où il introduit son « je » dans le récit, il écrit, de livre en livre, une sorte de grand roman d’exploration de l’homme, nourri de son expérience de la vie et du monde.

2014 paraît Le Royaume, sorte d’enquête sur les origines et le développement de la religion chrétienne. Mais il explique aussi comment, 20 ans auparavant, et durant 3 ans, il a adhéré, sincèrement et pleinement, à cette religion. Quand il rédige Le Royaume, son positionnement a totalement changé, et l’ouvrage nous permet de suivre son cheminement.

Je voudrais ici mettre en évidence le positionnement de conscience, difficile, d’un moderne face au Christ, aujourd’hui.

Un chrétien authentique

Carrère évoque « la foi dont j’ai reçu la grâce », et l’on est forcé de préciser : pour un temps, même s’il a vraiment voulu, alors, faire du Christ le moteur de sa vie : « J’ai compris tout à coup qu’il nous est donné de choisir entre la vie et la mort, que la vie , c’est le Christ, et que son joug est léger. (…) Je sais à présent que ce que nous accomplissons, ce n’est pas nous qui l’accomplissons, mais le Christ en nous. » On retrouve, dans ces mots, des références tant à l’Ancien qu’au Nouveau Testament.

Dans la première partie du roman, intitulée : « La crise », Carrère se positionne vraiment d’abord pour le Christ. Il reconnaît, à l’instar de Paul, l’apôtre, qu’il est à la fois homme : « Ce Christ avait été un homme de chair et de sang, qui avait vécu sur cette terre et marché sur ces chemins même pas deux siècles auparavant », et Dieu : « il (Paul) ne l’a pas connu dans son incarnation terrestre (…) mais en tant que Fils de Dieu ». Carrère lit l’Évangile : « Un verset par jour, pas davantage. Certains brillent d’un éclat extraordinaire, justifiant la phrase des soldats romains chargés d’arrêter Jésus : « Personne n’a parlé comme cet homme. » » Tout ne lui parle pas également : « Une des choses les plus constantes et les plus claires qu’y dit Jésus, c’est que le Royaume est fermé aux riches et aux intelligents. » Or, Carrère n’a pas conscience, alors, d’être un riche et un intelligent… Il est ce qu’on nomme « un fidèle », qui croit au Christ-Pain de vie, et pratique le rite de l’eucharistie : « Cela a commencé il y a 2000 ans et ne s’est jamais interrompu. (…) C’est seulement du pain. En même temps, c’est le Christ. »

Il ne m’est pas possible d’être exhaustif mais ce qui précède suffit pour témoigner de l’authenticité de la période de foi de Carrère, devenu « chrétien », « catholique »

La bascule 

Que s’est-il passé, pour que Carrère change totalement de positionnement, face au Christ ? Il évoque lui-même rapidement, dans le récit, ce qu’il nomme « le nœud de l’affaire » : « Pour nous en tenir au nœud de l’affaire : croyez-vous qu’il est vraiment ressuscité ? »

C’est donc sur la question de la résurrection du Christ que sa conscience de moderne a achoppé. Lorsque Paul a prêché la résurrection aux Grecs rassemblés à l’Aréopage d’Athènes, eux aussi, les sages, amateurs d’argumentation, lui ont répliqué : « Nous t’entendrons là-dessus une autre fois. » (Actes 17 :32) . Or, sans la résurrection, comme l’explique Paul, la foi chrétienne est vidée de son sens. Carrère cite Paul : « Si l’on proclame que le Christ est ressuscité, comment certains parmi vous peuvent-ils dire que les morts ne ressuscitent pas ? Si les morts  ne ressuscitent pas, le Christ n’est pas ressuscité. Et si le Christ  n’est pas ressuscité notre message est vide et ce que vous croyez est une illusion. Vous seriez, nous serions les plus à plaindre de tous les hommes, et ils auraient raison, ceux dont toute la philosophie consiste à dire : mangeons et buvons, car demain nous serons morts. » Puis Carrère commente : « C’est, à vrai dire, ce que pensent beaucoup d’entre nous. Que la résurrection est une chimère, comme le Jugement dernier, qu’il faut jouir de la vie tant qu’on est vivant et que les chrétiens sont bien à plaindre si le christianisme c’est cela : ce qu’enseignait Paul. » On le voit : le doute s’est insinué dans la conscience de Carrère : « Est-ce que le réel, c’est que le Christ n’est pas ressuscité ? » Du doute au rejet, il n’y a qu’un pas, franchi pas Carrère : « Mais alors, finalement, vous êtes chrétien ou non ? (…) Non. Non , je ne crois pas que Jésus soit ressuscité. »

Pourquoi la résurrection est-elle « le nœud de l’affaire », et Paul affirme-t-il que sans elle, la foi chrétienne est vaine ? Le Christ, innocent, est mort sur la croix, à notre place, pour que nous ne soyons plus séparés de Dieu par le péché. Sa résurrection est le signe de sa victoire sur la mort. Et parce qu’il est ressuscité, nous ressusciterons de même, si nous avons cru en lui. Mais Carrère devient ironique : « un petit groupe de femmes et d’hommes – les femmes d’abord-, désespérés de la perte de leur gourou, s’est monté le bourrichon, raconté cette histoire de résurrection »…

Pourquoi ne pas croire ?

Carrère est tout à fait conscient de ce qui devient un obstacle à la foi : « On décide d’engager sa vie sur cette croyance folle : que la Vérité avec un grand V a pris chair en Galilée il y a 2000 ans. » Mais « chercher le Royaume de Dieu dans cette affaire n’est-ce pas rester fidèle à l’élan de confiance (…) plutôt que de la trahir au nom de la raison ? » Le conflit est bien entre la foi et la raison, elle qui empêche de continuer à croire en la résurrection. Et lorsque la raison travaille la conscience, le doute advient : « Si l’illusion c’était le Christ ? »

Dès lors, en cascade, toutes les vérités admises tombent, y compris les vérités de base, comme la divinité du Christ : « Celui qui parle dans (les évangiles) est un homme, rien qu’un homme… » Comme pour Renan, le philosophe athée du 19e s., auteur d’une Vie de Jésus : « Jésus devient un des hommes les plus remarquables et influents qui aient vécu sur terre, un révolutionnaire moral, un maître de sagesse comme le Bouddha – mais pas le fils de Dieu, pour la simple raison que Dieu n’existe pas. » Carrère a bien conscience du changement qui s’est opéré en lui : « Si j’avais lu Renan il y a 20 ans, quand j’étais catholique dogmatique, je l’aurais détesté. »

Lui qui fut nourri par les saintes Écritures, affirme à présent : « Je ne crois plus que ce que je lis est la parole de Dieu. Je ne me demande plus, en tout cas au premier chef, en quoi chacun de ces mots peut me guider dans la conduite de ma vie. »

Et les miracles ? « Notre seule ressource, à « nous » les auditoires non grossiers, pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est de donner à ce qui ne nous plaît pas un sens plus raffiné. De faire de Jésus, non pas un thaumaturge épatant un public naïf par des pouvoirs surnaturels, mais une sorte de psychanalyste capable de guérir des blessures secrètes, enfouies, psychique, autant que physiques, par la seule vertu de son écoute et de sa parole. »

Au final, Carrère se demande si ce n’est pas « un groupe de disciples machiavéliques qui ont organisé sciemment, la colossale imposture appelée à prospérer sous le nom de christianisme ? » Il a basculé. Est-il devenu athée ? Non, agnostique : « Ce texte qu’autrefois j’ai approché en croyant, je l’approche maintenant en agnostique. » Pour lui, l’absolu est devenu inaccessible à la raison.

Une certitude

Carrère est un auteur extrêmement sincère et, aussi, lucide sur lui-même. Il introduit dans son très long récit une phrase, qui peut ne pas avoir de sens pour celui qui ne connaît pas l’évangile : « Moi, je m’identifie au jeune homme riche. » Dans cet épisode, Jésus rencontre ce jeune homme. Il lui demande de donner ses biens aux pauvres. Mais il refuse, car il a de grands biens et s’en va, tout triste. Malgré tout, dans sa tristesse, il emporte un bien précieux. Matthieu précise : « Jésus, l’ayant regardé, l’aima ». Ce n’est donc parce que l’on refuse, au final, de suivre le Christ, que l’on n’est pas aimé par lui.

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