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Quels sont les adjectifs que vous accoleriez spontanément au mot « pasteur » ? Comment définiriez-vous le pasteur de votre église ? Peut-être pensez-vous à des qualificatifs tels que « spirituel », « occupé », « sérieux », « exemplaire », « autoritaire », « cool », « moralisateur », « serviable », « biblique », « fatigué », « fatigant »… et j’en passe. Ce serait intéressant de demander aux pasteurs de faire le même exercice et de comparer leurs réponses avec celles des membres des Églises où ils sont engagés… mais c’est un autre sujet ! Ce serait évidemment pertinent d’examiner des textes comme 1 Timothée 3,1-7 et Tite 1,5-9, pour voir si l’impression que laissent nos pasteurs « colle » avec les exigences bibliques. Mais dans cet article, nous allons plutôt considérer les adjectifs surprenants qu’ Eugène  Peterson choisit pour décrire le pasteur idéal : pour lui, un pasteur devrait être, par essence, non-occupé, subversif et apocalyptique. C’est le propos des premiers chapitres de son étonnant, mais ô combien stimulant livre The Contemplative Pastor (Eerdmans Publishing, 1989).

Avoir un agenda de ministre : un signe de maturité ?

Eugène Peterson estime donc qu’un pasteur doit être unbusy, à traduire par « non-occupé », « non-chargé, ce qui implique, positivement, d’être disponible. C’est là un contre-pied presque total par rapport à l’idée qu’on se fait d’un pasteur et que les pasteurs se font souvent de leur ministère. Fréquemment, en effet, les pasteurs ont un agenda… de ministre.

« Le mot « occupé » est le symptôme non pas de l’engagement, mais de la trahison », provoque Eugène Peterson. Le pasteur est occupé pour deux raisons : soit parce qu’il veut montrer son importance, soit parce qu’il est… paresseux, dans le sens qu’il laisse passivement les autres décider de son agenda à sa place. Quoi qu’il en soit, le résultat est le même : « Comment puis-je conduire le troupeau vers un lieu calme, près des eaux paisibles, si je suis constamment en mouvement ? Comment puis-je persuader quelqu’un de vivre par la foi et non par les œuvres, si je dois constamment jongler avec mon agenda pour y placer toutes mes activités ? ».

La prière, la prédication et l’écoute : les trois priorités du pasteur

Aux yeux d’Eugène Peterson, un « bon » pasteur, loin d’être paresseux ou inactif, gagnera trois choses importantes s’il parvient à freiner cette frénésie de la multiplication des occupations. D’abord, il sera un pasteur qui prie, qui cultive sa relation avec Dieu et qui montre ainsi l’exemple à l’Église. « Je sais que je ne peux pas être occupé et en même temps prier : je peux être actif et prier, je peux travailler et prier, mais je ne peux pas être chargé et prier ».

Ensuite, un pasteur « non-occupé » pourra être un pasteur qui prêche. Pour Eugène Peterson, pas question de préparer une prédication « à l’arrache », même quand on se sait capable de délivrer un sermon qui saura capter l’assemblée en y passant juste quelques petites heures. L’immersion dans la Parole de Dieu est nécessaire, pour que le message transmis touche les cœurs et que les auditeurs entendent distinctement l’autorité de la Parole de Dieu.

Enfin, un pasteur « non-occupé » devient un pasteur capable d’écouter de manière active, en prenant le temps d’être disponible pour les brebis du troupeau, sans constamment regarder sa montre. Une preuve d’amour pour ses frères et sœurs.

« Arrêtez, et sachez que je suis Dieu »

Un peu irréaliste, direz-vous peut-être… Eugène Peterson ne cache pas son « truc » : il a appris à refuser certains engagements supplémentaires, en déclarant simplement que son agenda ne le lui permet pas… ce qui est vrai puisqu’il a prévu du temps pour ces trois tâches fondamentales que sont la prière, la préparation de la prédication et l’écoute.

Et de citer ce verset : « Arrêtez et sachez que je suis Dieu » (Psaume 46,10). Alors que notre culture met l’emphase sur l’action, les gros muscles et les rêves de grandeur, la Bible appelle plutôt les pasteurs à délibérément être du côté des gens paisibles, qui s’attendent à Dieu et se mettent à son écoute, loin de la frénésie de notre siècle.

L’envie de plaire et de briller… ou l’acceptation de la faiblesse ?

Eugène Peterson en vient à un deuxième adjectif : un pasteur est subversif. Il ne travaille pas pour accroître son propre royaume, mais pour le royaume de Dieu. Il n’est pas engagé par l’Église pour répondre aux désirs de ses brebis, mais pour les aider à atteindre les désirs de Dieu pour eux. Or, travailler pour le royaume de Dieu ne met pas les pasteurs sous les feux des projecteurs et ne les entraîne pas dans de formidables faits d’armes. L’orgueil et l’envie de briller pourraient alors susciter ce désir de se mettre davantage en avant. Mais Eugène Peterson appelle à résister à cette tentation, à être subversif.

L’Évangile est subversif

Cela passe par un autre état d’esprit et d’autres méthodes que le monde. Les pasteurs subversifs ne considèrent pas la réalité du monde qui les entoure comme bonne et acceptable ; ils ne se font pas d’illusion par rapport à ses valeurs et prêchent donc une réalité bien meilleure celle du royaume de Dieu. Mais ils le font par des méthodes qui ne sont pas celles du monde, en se souvenant que le royaume de Dieu grandit non par la force et la puissance, mais par la faiblesse (1 Corinthiens 2,2-3) et l’œuvre de l’Esprit (Zacharie 4,6). C’est le cas, parce que l’Évangile même est subversif, avec ce message central étonnant d’un Christ crucifié, folie et scandale pour nos contemporains. Suivre et prêcher un tel Christ ne peut que nous faire vivre à contre-courant. Eugène Peterson écrit : « Le travail pastoral authentique est celui qu’Ivan Illich appelle « le travail de l’ombre » : un travail pour lequel personne n’est payé et que peu remarquent, mais qui contribue à sauver le monde : un travail qui procure du sens, de la valeur, des buts, un monde d’amour, d’espérance et de foi ; en un mot, le royaume de Dieu ».

Un pasteur « apocalyptique »

Terminons avec le troisième adjectif qu’Eugène Peterson emploie pour qualifier un pasteur : il est apocalyptique, tout comme Jean, l’auteur du dernier livre de la Bible, était un « pasteur apocalyptique ». Jean montre l’exemple aux pasteurs, sur trois plans : la prière, la poésie et la patience.

Le « pasteur apocalyptique » prie, tout comme Jean était en prière au moment où il a reçu la révélation de Jésus-Christ (Apocalypse 1,9-10) et en prière à la fin du livre : « Amen, viens, Seigneur Jésus ! » (Apocalypse 22,20). « Jean vit à la frontière du monde invisible du Saint-Esprit et du monde visible des temps romains. Sur cette frontière, il prie. La prière fait le lien entre ces réalités, établissant une connexion vivante entre l’endroit où nous sommes et le Dieu qui nous trouve », écrit Eugène Peterson. Dans un monde troublé, comme l’était celui de Jean au premier siècle, la prière recourt donc à l’intervention de Dieu dans le temps présent.

Le pasteur est un « poète » et un bon communiquant

Le « pasteur apocalyptique » est un poète. L’Apocalypse de Jean est plein de poésie, relève Eugène Peterson. Ce livre biblique ne contient pas seulement des mots et des phrases : il utilise toutes sortes d’images pour transmettre des vérités importantes sous une forme nouvelle, très visuelle. Une belle source d’inspiration pour les pasteurs. « Tous les mots ne sont pas créateurs. Certains ne font que communiquer, expliquer, rapporter, décrire, informer, réguler. Nous vivons à une période obsédée par la communication. Or, le fait de savoir des choses ne semble jamais avoir amélioré nos vies. La tâche du pasteur, quand il parle, ne vise pas la communication, mais la communion : la guérison, la restauration et la création de relations d’amour entre Dieu, ses enfants engagés dans le combat et la création ». Un appel, donc, à opter pour un langage qui véhicule les enseignements bibliques avec passion et qui vise une réelle transformation.

Vivre au rythme de Dieu, avec fidélité

Finalement, le « pasteur apocalyptique » est patient. L’apôtre Jean écrit à ses lecteurs qu’il prend part à la « persévérance en Jésus » (Apocalypse 1,9), une expression qui indique sa patience et son endurance. Et c’est en réalité tout le livre de l’Apocalypse qui est empreint de cet état d’esprit : il y a certes un sentiment d’urgence qui se dégage de l’Apocalypse, mais en même temps un appel à la patience pour vivre le temps présent et pour comprendre les mystères de Dieu et la réalité du monde dans lequel nous vivons.

Hélas, constate Eugène Peterson, la frénésie de notre société et nos agendas bien remplis nous conduisent plutôt à adopter un rythme de vie trop rapide, qui fait l’économie d’une saine réflexion et d’une acceptation du temps de Dieu. Nous perdons le sens du « temps long » : nous élaborons toutes sortes de projets à court-terme, voulons voir des résultats immédiats dans notre ministère et perdons vite patience si tout ne va pas comme prévu. Or, conclut Eugène Peterson, l’Apocalypse nous rappelle que « tout ce qui compte, c’est d’adorer Dieu, de combattre le mal et de développer la fidélité. Le livre de l’Apocalypse éveille un sens de l’urgence, mais il évite les raccourcis et la précipitation, car les temps sont dans les mains de Dieu ».

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