Nietzsche, Marx, Darwin et Freud : quatre noms bien connus… et quatre penseurs dont l’influence a été décisive pour changer peu à peu la manière dont notre monde pense et conduire in fine au triomphe de la révolution sexuelle, dont l’idéologie transgenre est le symbole le plus évident. Dans cette série d’articles, nous essayons de comprendre, en nous basant sur l’ouvrage de Carl Trueman « The Rise and Triumph of the Modern Self » (La montée et le triomphe du moi moderne), comment et pourquoi notre société accepte aujourd’hui largement les théories LGBTQI+. Nous en étions restés à Rousseau et aux poètes romantiques.
Pour l’auteur, Nietzsche, Marx et Darwin ont contribué à l’émergence des « plastic people », une expression à comprendre dans le sens que la stabilité a laissé la place à une grande fluidité et malléabilité, en particulier dans le domaine de la sexualité. En d’autres termes, nous pouvons être qui nous voulons, parce que nous devons abolir l’idée que la nature serait un donné naturel, une autorité non-négociable. Des penseurs comme Nietzsche, Marx et Darwin ont pavé le chemin vers cette notion de rejet d’une identité fixe fondée sur une essence intrinsèque.
Se débarrasser définitivement de Dieu
Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche constate que la philosophie des Lumières a rendu Dieu non-plausible et non-nécessaire. Cependant, Nietzsche déplore que cette évolution, qu’il voit bien sûr positivement, n’ait pas franchi l’étape suivante : considérer que Dieu est mort et qu’il n’a plus rien à faire avec nous. Pour lui, il faut déconstruire toute la métaphysique et la moralité qui découlaient de la croyance en l’existence de Dieu. Si l’on éjecte Dieu, il faut aussi prendre la responsabilité qui en découle : être des dieux nous-mêmes, devenir les auteurs de notre propre connaissance et de notre propre éthique. Il n’y a plus de vérité, plus de réalité objective, plus de transcendance. Le temps est venu de se débarrasser définitivement de ce christianisme qui est le propre des faibles et dont la morale est répugnante. Nous devons arrêter de penser en termes de transcendance et de nous enfermer dans des codes de moralité… pour trouver enfin la vraie liberté, vivre pleinement notre vie présente, ici et maintenant, et chercher la satisfaction personnelle, sans nous soumettre à une quelconque loi.
Pour Nietzsche, si l’on éjecte Dieu, il faut aussi prendre la responsabilité qui en découle : être des dieux nous-mêmes, devenir les auteurs de notre propre connaissance et de notre propre éthique.
Quel lien entre Nietzsche et Ariana Grande ?
Cette déconnexion de toute transcendance, de tout absolu moral et de toute religion, se retrouve de manière frappante aujourd’hui, et explique fort bien pourquoi l’idéologie transgenre est si facilement acceptée. Bien que beaucoup de nos contemporains ne connaissent pas les théories de Nietzsche, ils sont cependant façonnés par leurs idées et voient le monde comme eux. L’imaginaire social moderne est pénétré de leur perception de la réalité. « Une adolescente de 12 ans qui participe à un concert d’Ariana Grande n’a peut-être jamais entendu parler de Nietzsche, mais la sexualité amorale des paroles qu’elle entend lui prêche une forme de nietzschéanisme », écrit Carl Trueman. En tant que chrétiens, nous constatons bien entendu que notre vision du monde s’oppose totalement à celle de Nietzsche, qui nous encourage à faire exactement ce que Dieu nous demande de ne pas faire : adorer la créature plutôt que le créateur, il rejeter toute soumission à Dieu pour nous soumettre à nous-mêmes, être autonomes plutôt que théonomes.
Marx ou l’Histoire vue comme la lutte des minorités opprimées
Mais notre société est non seulement pétrie de Nietzsche : elle est aussi influencée par le marxisme, nous dit Carl Trueman. Marx, on le sait bien, déplore, à l’époque, l’essor du capitalisme, qui rend les gens malheureux. Dans sa perspective, la religion est l’opium du peuple : pas seulement dans le sens qu’elle est utilisée par les élites pour garder leur autorité sur les autres, mais aussi dans le sens qu’elle a été créée par l’homme comme une sorte de fiction pour trouver un réconfort et un bonheur illusoires. Il faut donc se débarrasser de la religion si l’on veut redevenir pleinement humain, estime Ludwig Feuerbach, un contemporain de Marx. La vraie solution se trouve non pas dans la religion, mais dans l’établissement d’un système économique autre que le capitalisme, qui ne participera pas à cette aliénation des travailleurs.
Ainsi, pour Marx, l’individu a le droit de déterminer qui il est, et cela peut et doit devenir un combat politique. Là aussi, notre société, sans même forcément le savoir ou connaître précisément les idées de Marx, a largement adopté cette façon de penser : l’Histoire est aujourd’hui très souvent perçue comme l’histoire de groupes dominants qui marginalisent et oppriment les minorités… et ce, en particulier dans le domaine de la sexualité. Il s’agit donc de lutter contre la religion, opium du peuple empêchant de trouver le vrai bonheur, et finalement contre toute forme d’institution qui contribuerait à renforcer et perpétuer des valeurs bourgeoises.
Pour Marx, l’individu a le droit de déterminer qui il est, et cela peut et doit devenir un combat politique.
Darwin : si l’homme n’est que matière, il peut se réinventer à sa guise
Darwin complète le trio, avec sa théorie bien connue de l’évolution. Au cœur de son discours se trouve l’idée très claire que toute métaphysique et toute téléologie doivent disparaître. Autrement dit, l’univers et ce qu’il contient n’ont aucune cause transcendante… et aucun but transcendant. L’être humain ne s’explique donc pas par autre chose que par la matière, il n’a pas de destinée particulière, et donc pas de standard moral à suivre, ni de vertu particulière à cultiver. L’influence du darwinisme va aujourd’hui bien plus loin que le seul débat « évolution-création » : elle nous dit que le monde n’a pas de sens en lui-même et que l’être humain peut évoluer et se réinventer à sa guise, sans devoir se soumettre à une quelconque transcendance.
Pour Darwin, l’être humain ne s’explique pas par autre chose que par la matière, il n’a pas de destinée particulière, et donc pas de standard moral à suivre, ni de vertu particulière à cultiver.
Avec l’influence de Nietzsche, Marx et Darwin, l’être humain devient souverain, il peut s’émanciper, évoluer, trouver la liberté, tourner la page de l’Histoire. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Ces trois hommes ont posé les fondations à la révolution sexuelle, en éliminant la transcendance et la moralité, et en appelant l’homme à s’émanciper, à devenir dieu lui-même. Comment expliquer ensuite que ces idéologies en viennent à imprégner particulièrement la question de la sexualité ? Sigmund Freud a joué ici un rôle important, et son impact ne peut être négligé. Bien que beaucoup de ses théories soient aujourd’hui remises en question, « le mal a été fait » : il a influencé la pensée politique et exercé une influence majeure dans l’art et la littérature.
Le but de l’homme selon Freud : trouver son bonheur… dans la sexualité
Tout comme Rousseau et les poètes romantiques, Freud a affirmé que le but de l’existence humaine était le bonheur. Mais il a donné à cette idée de bonheur un tour très sexuel, en l’identifiant avec le plaisir sexuel. Aujourd’hui, alors que le sexe est omniprésent et que le bonheur est assimilé avec le fait de vivre une sexualité libre et épanouie, il est important de souligner combien nous en sommes « redevables » à Freud.
Un de ses « apports » a consisté à mettre l’accent sur la sexualisation de l’enfant. Si les enfants sont des êtres sexuels depuis leur naissance, alors la masturbation, par exemple, ne doit pas être vue comme un péché qu’il faut réfréner par la moralité ou la religion, ni même comme un enjeu médical, mais comme une démonstration que l’enfant est un être humain en progrès. A tout âge, l’être sexualisé qu’est l’être humain doit donc trouver son bonheur via la satisfaction sexuelle. Or, si le bonheur passe par la sexualité, toute restriction de la sexualité apparaît donc comme quelque chose qui empêche d’être véritablement heureux. Et c’est ce que produit la civilisation.
Pour Freud, si le bonheur passe par la sexualité, toute restriction de la sexualité apparaît comme quelque chose qui empêche d’être véritablement heureux.
La civilisation comme entrave à l’épanouissement sexuel
C’est là qu’intervient la fameuse distinction qu’opère Freud entre le « ça », l’« ego » et le « surmoi ». Le « ça » fait référence aux instincts basiques de l’individu. L’« ego » a la tâche de satisfaire les désirs du « ça », de manière à apporter le bonheur plutôt que la tristesse à l’individu, mais en rationalisant aussi le comportement, lorsqu’il met en avant les conséquences que pourrait avoir telle ou telle attitude. Quant au « surmoi », il intériorise les conventions, règles et attentes de la société, lesquelles sont d’ailleurs subjectives. L’individu en vient donc à croire que certaines pratiques sexuelles sont bonnes et d’autres mauvaises.
Est-ce un bien ou un mal ? Pour Freud, cela semble être les deux. Sur le plan individuel, ces restrictions empêchent l’individu de trouver le véritable épanouissement. Mais sur le plan social et collectif, il est bon que la civilisation empêche chacun d’exprimer ses désirs sexuels. En ce sens, la religion, bien que perçue comme infantile et immature, participe à ce dessein de maintenir une forme de « moralité » dans la société… tout en empêchant les individus d’accéder au bonheur. Freud ne résout pas ce dilemme et adopte finalement une vision des choses assez pessimiste : la civilisation est la réponse à la tristesse qu’impliquerait un chaos sexuel, mais cela crée une autre forme de tristesse, celle de la répression et de la frustration sexuelles.
Avant Freud, Rousseau et les romantiques ont affirmé que le « moi » devait être psychologisé. Freud réalise un tournant : ce « moi » psychologisé est maintenant sexualisé. Ce sera le travail de la Nouvelle Gauche et des féministes de faire de ce « moi » psychologisé et sexualisé, un combat politique. Suite au prochain épisode !