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Il tombe. Il coule. Comme un corps lancé par-dessus bord. Il voit le bateau, noir, immense, fonçant droit sur lui. Il crie. Il sort du sommeil.
Jean ne pourra plus dormir. Il s’est assis à sa table, étroite, devant la fenêtre, aux carreaux sales. Dehors c’est le petit jour, encore tout en silence. Son coeur a battu fort. Trop fort.
Hier, il a répondu à l’invitation de Léa à ce spectacle, dans la librairie-péniche : « les abandonnés ». Ce qui s’est dit ne l’a pas lâché. Avoir compassion des enfants abandonnés, au détour des contes, oui. Mais lui, il est aumônier de prison. Les hommes qu’il côtoie, ont menti, volé, frappé, tué même parfois. C’est de leur douleur qu’il s’est chargé. Et une question a surgi, en lui : ces hommes-là sont-ils « des abandonnés » ? Est-on un abandonné, lorsqu’on a commis le mal et que la société vous a mis à l’écart, car vous êtes devenu dangereux pour elle ?
L’image du corps qui coule lui revient. Il se verse un verre d’eau. Son regard se perd au ciel. L’eau … Le ciel … Le bateau … Les enfants perdus … En fait, la question qui le taraude, depuis qu’il a vu ce spectacle, est plus précise : ces hommes-là, qu’il côtoie, chaque jour, ces menteurs, ces voleurs, ces violeurs, ces violents, ont-ils droit à la compassion ?
Le jour est encore opaque.

Momo est en train d’ouvrir son café. Il regarde passer Monsieur Jean, qui ne le voit pas. Qu’est-ce qu’il a, ce matin ? Momo ne dit rien. Il le laisse passer. Il file, comme un bateau qui va, tout droit.
Jean est dans sa tête, qui l’enferme. Et il n’y est pas seul. Il est avec chacun de ces hommes qui, pour lui, ont un nom : Pierrot, Gianni, Mourad … Il revoit, ployé sur sa chaise, comme écrasé, cet homme jeune, qui ne peut pas lever les yeux vers lui, lui parler. Pas encore. Son corps tremble parfois, comme s’il avait froid. Jean n’a rien pu faire que se taire, à côté de lui. A côté, mais si loin. Même sa main posée sur son épaule n’a pas semblé l’atteindre, réveiller en lui quelque chose qui aurait pu lui faire relever la tête.
C’est dur de regarder un homme qui a coulé.

Jean passe sous le pont, qui était le pont de la mort, à cause de toutes les visions effroyables que des jeunes, invisibles, avaient fixées sur ses murs. Mais ce pont, Tonin, l’ami peintre de Léa, l’a métamorphosé en jardin, si doux.
Ah ! Jean aimerait tant, lui aussi, avoir ce pouvoir de transformer la réalité.
Il monte sur le pont et regarde l’eau qui va. Il se sent tellement impuissant.

Jean s’est acheté un petit pain, à la boulangerie. Tout reste dans la brume ce matin. Mais il s’assoit tout de même sur un banc, au bord du canal. Il regarde au loin, en mangeant, les brumes qui tournent, au-dessus de l’eau.
De plus en plus, les brumes s’élèvent et font comme un mur. Un cri monte du fond du coeur de Jean : d’où me viendra le secours ? Son regard ne quitte pas le lointain, bouché. Et soudain, quelque chose apparaît. Ce n’est d’abord qu’un point. Il vient et s’agrandit, en sa venue. Masse informe. Jean identifie peu à peu une péniche. Il en passe si peu sur les eaux du canal, maintenant. Son avancée lente et silencieuse fait d’elle un mystère. Jean, saisi, ne la quitte pas des yeux. Elle va son chemin et, lorsqu’elle arrive à lui, il parvient à lire son nom, en lettres blanches sur le noir : « L’Espérance ».

Luc 23 : 43
Le malfaiteur, sur la croix : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne.
Jésus lui répondit : En vérité je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

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