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Il arrive. Au loin, on le voit descendre les rues de Jérusalem, monté sur ce petit d’âne. Du bruit, il y en a autour de lui. Du monde, beaucoup de monde. Les gens, toutes générations confondues, s’exclament, l’acclament.  C’est Lui le Roi ! Qu’il soit béni, celui qui vient au nom du Seigneur ! « Hosanna ! Sauve donc ! » voilà le cri du cœur qui retentit dans la ville de Jérusalem ! Cet homme spécial qui s’est fait connaître par tant de miracles est là, dans la ville où de nombreux fidèles au Dieu d’Abraham se sont rassemblés pour célébrer la Pâque, cette fête commémorative d’une délivrance mémorable. Leurs ancêtres avaient connu l’incroyable libération, cette sortie d’Egypte à la hâte, après la mort des premiers-nés non-protégés par le sang de l’agneau sur les linteaux… Leurs ancêtres délivrés de 400 ans d’esclavage, de mauvais traitements et d’humiliations avaient vu de leurs yeux le bras étendu et la force du Dieu créateur… alors pourquoi ne serait-ce pas leur tour à eux, maintenant ? Les émotions devaient être fortes pour ce peuple des années 30… car bien des années après le glorieux passage de la Mer Rouge, l’Oppresseur était revenu, sous l’effigie de César et de ses représentants. L’espoir devait sans doute renaître dans le cœur de ces craignant-Dieu en voyant cet homme entrer dans la Cité. Peu de temps avant, ce « Jésus de Nazareth » avait même ressuscité un mort, à quelques kilomètres de là, il avait aussi guéri des malades, rendu la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, les jambes aux paralysés, la santé aux lépreux, la raison aux possédés, la reconnaissance aux mal-aimés… Il avait parcouru tout le pays d’Israël, même la Samarie ! Il était vraiment spécial, cet homme. Était-ce lui le Messie promis ? Était-ce bien Lui, le Sauveur espéré ?  « Hosanna ! Sauve donc ! Béni soit le roi ! », cette expression hébraïque chantée chaque matin par le chœur du temple était scandée par la foule. Si c’est Lui qui vient libérer Israël de ce joug pesant, faisons-lui bon accueil ! Les disciples ont placé leurs manteaux sur l’ânon, plaçons des manteaux sous l’ânon ! Et des branches de palmiers ! Quel beau tapis pour honorer le Roi à venir ! Oui, laissons-les nos manteaux, c’est le minimum pour rendre hommage au Sauveur du peuple ! Il arrive ! La délivrance est proche !… A Sion ce jour-là, l’ambiance devait être « magique », en cette période de célébrations pascales, il semblait être enfin là, le Rédempteur tant espéré, il fallait donc l’acclamer !..

C’est Lui le Roi ! Qu’il soit béni, celui qui vient au nom du Seigneur ! « Hosanna ! Sauve donc ! » voilà le cri du cœur qui retentit dans la ville de Jérusalem !

Difficile peut-être pour nous, citoyens d’un autre siècle, habitants d’une autre cité, de s’imaginer la scène. On pourrait l’apparenter à celle vécue par les milliers de personnes rassemblées le long des Champs-Elysées à la fin d’une célèbre coupe du monde de football, ces admirateurs heureux, fiers et reconnaissants qui ont accueilli avec ardeur l’équipe de France, vainqueur du précieux trophée. Un moment mémorable. Il y en a eu dans l’histoire du monde des moments collectifs stimulants, c’est aussi une joie que de s’en rappeler ! A l’approche de ce fameux dimanche que nous célébrons dans nos églises 2000 ans après, il se peut qu’on organise un rappel du récit, auquel on associe des chants d’enfants et de jolies branches brandies… Ferons-nous cela une fois de plus ce dimanche qui vient ? Allons-nous méditer sur les textes des quatre évangiles qui évoquent le début de la Semaine sainte ? Prendrons-nous le temps de nous arrêter et de réfléchir à cette histoire ?… Peut-être pourrions-nous nous demander : « Si j’avais été dans la foule ce jour-là, aurais-je crié « Hosanna » ? Aurais-je soulevé les Rameaux ? Si j’avais été une descendante d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, aurais-je déposé mon habit aux pieds du Roi ou aurais-je simplement assisté de loin à cet engouement collectif qui avait saisi un peuple meurtri par l’oppression ? Ou bien aurais-je, comme les pharisiens, voulu faire taire ces cris de joie ? Aurais-je déposé mon manteau ? L’aurais-je laissé être sali par les sabots de l’âne, être piétiné par les disciples ou par les passants ? Ce manteau qui me protège des rayons du soleil et du vent glacial, ce manteau que j’ai acquis à la sueur de mon front, serais-je prête à l’ôter, tout comme l’aveugle Bartimée qui laissa le sien, sans doute sa seule possession, pour s’approcher de Jésus, le seul qui pouvait lui rendre la vue ? …»  Laisser son manteau, c’est honorer celui qui marchera dessus. C’est lâcher sa sécurité, baisser la tête et fléchir le genou pour rendre gloire au Seigneur. Ce geste symbolique me fait reconnaître la seigneurie du Christ, considérer la puissance de son action, me soumettre à l’autorité de Sa personne.

Si j’avais été une descendante d’Abraham, Isaac et Jacob, aurais-je déposé mon habit aux pieds du Roi ou aurais-je simplement assisté de loin à cet engouement collectif qui avait saisi un peuple meurtri par l’oppression ?

L’accent n’est alors pas mis sur ma propre sécurité, ce salut qui est proposé, ce manteau de protection que j’aime si bien porter. L’accent est mis sur l’incroyable-extraordinaire-inégalable-flamboyante-éternelle-bienveillante-rassurante-époustouflante beauté de la Personne qui parcourt humblement les rues de Jérusalem. Accéder au salut, ce n’est pas en premier lieu penser à ma propre délivrance ni à la défaite de l’ennemi. Faire appel au Sauveur, c’est avant tout reconnaître le Seigneur. Jésus ne peut être sauveur s’il n’est pas avant tout reconnu comme Seigneur. L’adage « Jésus n’est pas Sauveur du tout s’il n’est pas Seigneur de tout » prend tout son sens sur ce chemin poussiéreux. J’ai souvenir, plus jeune, alors que je donnais mon témoignage, avoir voulu « attirer » les gens à Jésus en leur présentant tout ce qu’ils « gagneraient » à devenir chrétiens : paradis, assurance du salut, confiance, famille élargie, amour inconditionnel… Du marketing en quelque sorte. Présenter l’Evangile ainsi, c’est en tordre le message. Même si on sait que de multiples bénédictions découlent du salut, on ne doit jamais perdre de vue que Christ, et Christ seul, doit en être le centre, pas les avantages que je puis en tirer. Je viens au Seigneur, pas pour voir ce que je peux gagner, mais pour me débarrasser de ce que je dois perdre !

Même si on sait que de multiples bénédictions découlent du salut, on ne doit jamais perdre de vue que Christ, et Christ seul doit en être le centre, pas les avantages que je puis en tirer.

Mais le plan de Dieu était bien plus vaste. Le chemin que Jésus se fraye ce jour-là ne l’emmène pas sur le trône, un trône éphémère qu’il aurait pu saisir pour délivrer la population juive du début de notre ère. Le chemin que Jésus parcourt en ce dimanche spécial le conduira quelques jours plus tard dans le creuset de l’humiliation-torture-moquerie-blessure-isolement-injustice. Ce vendredi qui suit, il n’y aura plus de cris de délivrance dans les rues de Jérusalem. Le trône de la capitale restera résolument occupé par un roi étranger. Plus de cris de victoire ni de célébration. Le contraste sera amer. Le manteau de roi dont Jésus aurait pu être paré se retrouvera sali, enveloppé de poussière, vulgairement découpé par quatre soldats impies. La couronne que Jésus aurait dû porter ne sera pas d’or mais d’épines. Les « sauve donc » ne retentiront plus, seuls les « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » éclateront dans la pâleur de cette cruelle veille de sabbat. Acclamé le dimanche, cloué le vendredi qui suit.

C’était cela le plan de Dieu : le couronnement espéré et attendu du Roi des rois ne peut avoir lieu qu’après l’injuste condamnation et l’humiliation de la mise en croix. Le peuple mesurait-il cela quand il a acclamé Jésus ? L’apôtre Pierre lui-même avait dit à Jésus : « A Dieu ne plaise, cela ne t’arrivera pas ! ». Et c’est pourtant ce qui est arrivé. Nous voilà au cœur de l’Évangile, ce « grand renversement » qui nous surprend tous, laissant la honte devancer la gloire et la mort précéder la victoire. Jésus a été arrêté, jugé, condamné, frappé, humilié, violenté, assassiné. Qui l’aurait cru ?…

Si Jésus avait été fait roi en ce « dimanche des manteaux », il n’aurait été qu’un roi temporel et limité. Le roi des Juifs. C’est tout. Et nous, nous n’aurions pas d’espérance. Si Jésus n’avait pas subi l’infamie de la croix, nous resterions perdus, attendant un salut qui ne viendra jamais.

Jésus ne peut être mon Sauveur s’il n’est pas mon Seigneur. Le couronnement espéré et attendu du Roi des rois ne peut avoir lieu qu’après l’injuste condamnation et l’humiliation de la mise en croix.

Alors oui, je veux célébrer le dimanche des Rameaux. Oui, je m’associe à cette foule qui acclame le Roi. « Hosanna ! Sauve donc ! » Ces acclamations devaient retentir, si cela n’avait pas été le cas, les pierres auraient alors crié, Jésus lui-même l’a annoncé ! Oui, je laisse mon manteau pour honorer le Seigneur.  Mais je ne veux pas acclamer un sauveur qui ne le serait que pour mon confort personnel. En ce dimanche des Rameaux, célébrons le Seigneur qui a une vision universelle et des projets éternels…  Quittons le manteau de notre suffisance, inclinons-nous devant Jésus et réjouissons-nous du dimanche suivant : dimanche prochain, dimanche d’une autre Pâque, criante victoire de la Justice, célébration du don parfait, défaite de la mort et de son oppression.  Le salut est arrivé. Le Roi est couronné. Pas un roi temporel. Mais un Roi éternel. « L’Eternel découvre le bras de sa sainteté, aux yeux de toutes les nations. Et toutes les extrémités de la terre verront le salut de notre Dieu. » (Esaïe 52.10)

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