1. Selon la loi
La loi du secret professionnel connaît des exceptions
Jusque là, nous avons posé le principe du secret professionnel, qui est un principe presque absolu. Nous avons essayé de voir à qui il s’applique et comment, en pratique, une Église peut en tenir compte quand elle est confrontée à des problèmes personnels graves. Il faut maintenant dire que la loi du secret professionnel connaît des exceptions. Le secret peut parfois être rompu sans pour autant exposer le professionnel à des poursuites.
Une première exception importante concerne la non-assistance à personne en danger. L’article 223-6 du Code Pénal s’applique aussi aux personnes astreintes au secret professionnel :
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne, s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
Une deuxième exception, non moins importante, concerne les sévices infligés à des personnes vulnérables. Les médecins et les travailleurs sociaux sont désormais tenus de signaler des faits de maltraitance, explicitement1. Il s’agit de sévices ou de privations qui ont été infligés à un mineur de moins de quinze ans2 ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique. Si la personne qui est l’objet de ces sévices est majeure, elle est en principe capable d’aller elle-même à la police. Des tierces personnes n’ont pas à se substituer à elle.
Le responsable d’Église peut estimer qu’il est tenu par le secret professionnel quand il s’agit de faits anciens. Mais il y a souvent un risque de récidive. Ce n’est donc pas seulement la loi sur le secret professionnel qui entre en ligne de compte, mais la loi sur la non-assistance à personne en danger. Si un professionnel (pasteur ou autre responsable) apprend qu’un enfant, une personne handicapée, une personne âgée, ou une femme enceinte3 est en danger, il doit rompre le secret et informer les services sociaux ou la police. Il ne sera pas en faute devant la loi4. Si nous sommes confrontés à ce genre de problème, ne disons surtout pas que c’est de la délation : c’est protéger des personnes vulnérables.
Non dénonciation de crime
Selon l’article 226-13 du Code Pénal, le pasteur est autorisé à se retrancher derrière le secret professionnel quand il s’agit de non-dénonciation de crimes déjà commis. Mais l’article suivant lève le secret professionnel dans certains cas selon les termes suivants :
L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable :
1° À celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique…
Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire.
Jusqu’à récemment, si un pasteur était interrogé par la police ou appelé à témoigner devant un tribunal, il avait le droit de garder le secret par rapport à des faits déjà commis. Les juristes notent que l’article 226-14 que nous venons de citer ne lève que les sanctions applicables en cas de non-respect du secret. Voici ce qu’en dit la circulaire du Ministère de la justice du 11 août 2004 :
… l’absence de dénonciation par une personne tenue au secret professionnel d’un crime dont elle aurait eu connaissance ne saurait être sanctionné pénalement et la possibilité de signalement à l’autorité judiciaire de certains faits, prévue par l’article 226-14 du code pénal, ne peut être analysée que comme simple faculté, laissée à la discrétion du débiteur du secret, et non comme une obligation.
L’article 434-3 du code pénal impose quant à lui à quiconque, ayant eu connaissance de mauvais traitements ou de privations infligés à des mineurs de moins de 15 ans ou à une personne vulnérable, d’en informer les autorités judiciaires ou administratives. Là encore, il prévoit en son second alinéa, que cette obligation ne s’applique pas aux personnes astreintes au secret professionnel, tout en ajoutant “sauf lorsque la loi en dispose autrement”. Mais cette dernière incise semble concerner essentiellement les personnes participant aux missions du service de l’aide sociale à l’enfance et les assistants de service social (code de l’action sociale et des familles article L 221-6). Sous cette réserve, il apparaît donc que l’absence de dénonciation par une personne tenue au secret professionnel de mauvais traitements ou de privation infligés à des mineurs de 15 ans ou à une personne vulnérable ne puisse être sanctionné pénalement, et que, là encore, le signalement de tels faits aux autorités soit une simple faculté, ouverte par l’article 226-14 du Code Pénal.
Le responsable d’Église se trouve ainsi devant un cas de conscience. Il n’est pas tenu de faire un signalement et peut estimer que le secret professionnel prime sur le reste. Mais s’il parle, il ne sera pas sanctionné pour avoir divulgué le secret.
Seulement, de façon générale, la loi actuelle rend obligatoire le signalement de sévices à enfants (article 434-3). Le 4 décembre 2001 il y a eu un cas célèbre à Caen où l’évêque de Bayeux a été condamné à de la prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé un prêtre pédophile5. L’évêque a estimé qu’il était soumis au secret ; la cour a estimé que ce qu’il avait appris l’a été dans le cadre d’une enquête et non dans le cadre des confidences ou du confessionnal6. Un article paru le 29.10.2001 sur Internet (La loi sur le secret professionnel pour les psychologues) affirme que des procédures pénales ont été engagées pour non-dénonciation de crimes à enfants et non-assistance à personne en danger. Des condamnations parfois sévères sont intervenues, avec des incarcérations provisoires, même si des relaxes aboutissent en appel.
Nous constatons ainsi le repli de la notion de secret professionnel au profit de la recherche de la vérité et la protection des victimes suite aux scandales pédophiles dans l’Église catholique. Ainsi il est de plus en plus délicat de se retrancher derrière le secret, car il est de moins en moins admis par la société. À choisir, la vérité et la protection des victimes ont trouvé un plus grand intérêt que le secret religieux7.
Le pasteur est vulnérable de deux côtés. Il pourrait être attaqué par un chrétien mécontent qu’un fait de sa vie privée ait été divulgué. Mais dans certains cas il pourrait faire l’objet de pressions policières ou judiciaires pour révéler ce qu’il sait. Il peut toujours être attaqué pour non-assistance à personne en danger.
Résumons les cas où le responsable d’Église dispose d’une clause de conscience8. Il peut lever le secret, mais n’est pas obligé de le faire dans les cas suivants :
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dénonciation de sévices et de privations sur mineur de moins de 15 ans
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dénonciation de crimes (en cours de préparation)
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possibilité d’apporter la preuve de l’innocence d’une personne devant la justice
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état de nécessité
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possibilité d’assurer sa propre défense en justice
L’obligation du secret ne tient pas face à l’obligation de porter assistance à une personne en péril.
2. La protection des personnes vulnérables dans l’Église
Dans la partie précédente, nous avons abordé la protection des personnes vulnérables sous l’angle de la loi. J’aimerais maintenant explorer ce thème dans le contexte de la vie d’Église, de la vie de votre Église.
Il y a tout un enseignement dans l’Ancien Testament sur la protection sociale : à l’égard des pauvres, des veuves, des orphelins, des immigrés. Le Nouveau Testament aussi en parle, avec par exemple la parabole du bon Samaritain, ou le commandement de Jésus : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est là toute la Loi et les Prophètes. » « Aime ton prochain comme toi-même », c’est un thème omniprésent.
Mais dans cette partie, nous ne voulons pas parler de cet aspect général de notre responsabilité. Nous voulons parler surtout de la protection par rapport à la violence. Les personnes vulnérables, c’est à dire difficilement en mesure de se défendre elles-mêmes, sont citées dans des textes de loi : des mineurs de moins de 15 ans, des personnes âgées ou handicapées, des femmes enceintes, des personnes vulnérables psychiquement9. La vulnérabilité peut être en rapport avec l’âge, les capacités physiques ou mentales. Et par violence, il faut inclure non seulement des coups physiques, mais aussi des menaces.
Les abus sexuels sur mineurs au sein même de la famille sont certainement parmi les violences les plus graves, car l’enfant ne comprend pas ce qui lui arrive, il est facilement manipulé, il sera marqué à vie.
Est-ce que cela existe dans nos Églises ? Clairement, oui. Est-ce que des chrétiens peuvent se livrer à des violences de toutes sortes ? Oui. Dans mon propre ministère ou à l’écoute de certains collègues j’ai été confronté à des choses que je ne savais pas toujours bien gérer. :
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l’inceste sur une fille mineure
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la violence père-fille
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le meurtre d’une chrétienne par le mari non-chrétien
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un risque d’abus sexuel sur mineur.
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violence dans le couple
Les statistiques sur les abus sexuels envers les enfants sont effarants. En 2009, un sondage a estimé que 2 millions de Français étaient concernés. À l’Organisation mondiale de la santé, on a des chiffres qui parlent d’un enfant sur 5 dans le monde, pour les filles, et un sur 13 pour les garçons10. En 2015, un autre sondage en France a parlé d’environ 5 sur 1000 parmi leurs sondés de plus de 18 ans qui avaient été victimes d’abus sexuels pendant leur enfance. Il est certain que dans nos Églises plusieurs en ont été marqués, il est probable que ce genre de chose sera porté à notre connaissance tôt ou tard.
La loi distingue entre le viol et d’autres formes d’agression sexuelle. Le viol est passible d’une cours d’assises, c’est particulièrement grave. C’est le fait d’une pénétration, par violence ou par surprise. Pour la loi, un enfant de moins de 15 ans ne peut pas donner son consentement à un acte sexuel, surtout quand il est imposé par une figure d’autorité – parent ou enseignant, par exemple. Ce serait là une circonstance aggravante.
Mais pour les enfants, toute atteinte sexuelle est destructrice. Les attouchements, les caresses, le visionnage de films pornographiques, la participation à des jeux sexuels en tant que témoin : l’enfant ne peut pas les gérer, c’est trop puissant, il est marqué à vie. Et souvent on le menace de représailles s’il parle. Il faut qu’il parle, mais pas n’importe comment, à n’importe qui. Nous avons besoin ici de passer la main à des gens formés pour cela, à une unité spécialisée de la police, à un psychologue. Ces atteintes sexuelles autres que le viol sont des délits, passibles du tribunal correctionnel.
Quelques ressources pour aller plus loin
Guide pratique du travail pastoral, Gordon Margery, 2013, Éditions Clé, ch 7.
Les Abus sexuels, 2017, Forums de l’IBN
Secret professionnel des ministres du culte, Commission juridique du CNEF, note de 17 pages, réservée aux membres sur le site du CNEF, janvier 2012.
Le pardon et l’oubli, Jacques Buchhold, 2002, éd. Edifac et Excelsis,
Série : Secret professionnel & protection des personnes vulnérables
Articles :
- L’Église et la confidentialité
- Confidentialité et discipline d’Église
- Le secret professionnel dans l’Église
- Le secret professionnel et la protection des personnes vulnérables
- Les chrétiens et le recours à la loi
1Code de l’action sociale et des familles, article L 221-6.
2En clair, les moins de 16 ans.
3Article 434-3 du Code pénal
4Voir l’article Le secret professionnel des ministres du culte, qui cite l’article 226-14 du Nouveau code pénal.
5Les juristes estiment que ce cas est un cas d’espèce et que l’on ne peut pas généraliser à partir de lui. Les pressions subies par un collègue me font penser que le climat est en train d’évoluer.
6Le secret professionnel est bien plus large que le secret du confessionnal.
7Courrier de Nancy LEFÈVRE, juriste du CNEF, le 2 septembre 2011
8Note du CNEF, p 9
9Note du CNEF p 9.
10Les abus sexuels, pages 30-31