Quand nous passons de la confidentialité au secret professionnel, nous ne sommes plus dans le registre du savoir-vivre, mais dans celui des obligations que la loi impose à ceux qui, de par leur profession ou leur statut, ont accès à des informations privilégiées concernant les personnes.
Pouvoir dire son secret à un professionnel est un facteur de guérison (médecins, psychologues, pharmaciens). Il est nécessaire au fonctionnement de la justice (notaires, avocats) et du commerce (banquiers). Il permet aux responsables d’Église d’aider ceux qui peuvent en avoir le plus besoin.
La notion de secret professionnel est très ancienne. Voici ce que nous trouvons chez les Grecs, dans le serment d’Hippocrate : Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que… quoi que je voie ou entende dans la société, pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas1.
Sous la monarchie et depuis, la loi française reconnaît l’obligation du secret qui incombe aux prêtres, aux pasteurs, aux médecins et aux pharmaciens. Aujourd’hui, cette loi concerne aussi les banquiers, les travailleurs sociaux, et bien d’autres. En fait, il n’y a plus de liste officielle des métiers concernés. Sont soumises au secret professionnel les personnes dépositaires d’un secret soit par état soit par profession soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire. Cela inclut les stagiaires, les épouses de pasteur, les anciens, les membres d’un conseil d’Église…4
Ce que les pasteurs apprennent de la vie privée des gens dans le cadre de leur ministère, ils n’ont pas le droit de le divulguer sans l’autorisation de la personne concernée, même au sein de l’Église. Cela peut être dans le domaine de la santé, de la vie professionnelle, de la vie familiale ou de la vie personnelle. Il ne s’agit pas seulement de ce que quelqu’un a pu dire au pasteur, mais de ce qu’il a pu comprendre, voir, déduire, entendre5. Si par exemple un ministre du culte est invité à un repas et qu’il y constate des violences entre adultes, cela relève du secret professionnel. La violation du secret professionnel constitue une faute pénale. On risque un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende.
La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Article 226-13 du Code Pénal
Les membres de l’Église ne sont pas liés par la loi. La plupart des chrétiens ont le droit de dire ce qu’ils veulent à qui ils veulent. C’est simplement une question de savoir-vivre, c’est la recherche d’un équilibre entre la qualité d’une relation, la santé spirituelle d’une personne, et la santé spirituelle de l’Église.
Par contre, les pasteurs sont soumis par la loi à l’obligation du secret. C’est même une nécessité pour l’exercice de leur profession : les gens doivent pouvoir tout dire à quelqu’un de confiance s’ils veulent se sortir de leurs problèmes. S’ils pensent qu’ils peuvent être aussitôt dénoncés à la police ou autre, ils ne vont pas se confier : ni à un médecin, ni à un prêtre, ni à un psychologue, ni à un pasteur. Le secret professionnel est donc là pour favoriser la vie en société et, on l’espère, la guérison de ses membres en difficulté. Et, redisons-le, plusieurs acteurs de la vie d’une Église peuvent être assimilés à des ministres du culte et soumis à l’obligation du secret, s’ils sont dépositaires d’un secret soit par état soit par profession soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire. Cela inclut les stagiaires, les épouses de pasteur, les anciens, les membres d’un conseil d’Église…6
Le secret dans la vie de l’Église
Cela veut dire qu’un entretien avec un pasteur reste toujours confidentiel. Si on veut que l’Église en fasse un sujet de prière, il faut qu’on le dise. Si on veut que le pasteur en parle avec son épouse ou avec les autres anciens, il faut le lui dire. Au sein d’un conseil pastoral, on peut pratiquer ce que l’on appelle dans certains milieux professionnels le secret partagé. Mais même là, on ne met en commun que le strict nécessaire et la règle du secret s’impose7. La loi concerne aussi les femmes de pasteurs8 si elles ont un rôle particulier dans l’Église, si elles partagent le ministère de leur mari.
Est-ce que les anciens sont sous la même obligation que les pasteurs ? Sans doute. Le texte de loi parle de personnes qui sont dépositaires d’un secret soit par état soit par profession soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire. Cela peut inclure les anciens. Mais dans nos Églises, le statut exact des pasteurs et des anciens est variable. Dans certains milieux évangéliques le pasteur est un ancien parmi d’autres, il n’est pas forcément le leader des anciens, c’est un laïc, en fait. Ici, à mon avis, la justice ne suivra pas cette logique. Le serviteur à l’œuvre, le plein-temps, le pasteur exerce tout de même une fonction, même s’il n’est pas le leader : il est donc soumis au secret. Dans d’autres Églises, on distingue très nettement le pasteur des autres responsables. Ici, donc, il pourrait y avoir des propos que le pasteur n’aurait pas le droit de dire aux anciens, sauf accord de la personne intéressée. Et dans d’autres Églises encore, le pasteur et les anciens sont réunis en collège pastoral : si la justice admet cette notion, alors tous les membres du collège pastoral sont liés par le secret professionnel. On a intérêt à ce que les personnes admises à partager des choses confidentielles ne soient pas nombreuses.
Des exceptions, Une exception rare
La révélation du secret peut se justifier si le pasteur se trouve accusé injustement ou a été victime d’escroquerie de la part de quelqu’un, et que la révélation des faits litigieux soit indispensable pour établir son innocence. De même, le pasteur n’est pas en faute s’il apporte son témoignage en faveur d’une personne injustement détenue provisoirement ou jugé pour crime ou délit. Mais la loi ne lui impose pas de concourir à l’œuvre de justice (article 434-11 du Code Pénal).
Une exception bien plus importante concerne la protection de personnes vulnérables : c’est le sujet de l’article suivant.
Série : Secret professionnel & protection des personnes vulnérables
Articles :
- L’Église et la confidentialité
- Confidentialité et discipline d’Église
- Le secret professionnel dans l’Église
- Le secret professionnel et la protection des personnes vulnérables
- Les chrétiens et le recours à la loi (à venir)
1Cité dans Bulletin périodique d’information de l’aumônerie des prisons FPF n°44 – mars 2003
2C’est-à-dire dévoilé
3Cité dans Bulletin périodique d’information de l’aumônerie des prisons FPF n°44 – mars 2003.
4Note du CNEF, page 5
5Bulletin périodique d’information de l’aumônerie des prisons FPF n°44, mars 2003 ; note du CNEF p 6.
6Note du CNEF, page 5
7Voici ce que dit la circulaire Santé-Justice du 21 juin 1996 sur le secret partagé : Il convient, dans cette hypothèse, de ne transmettre que les éléments nécessaires, de s’assurer que l’usager concerné est d’accord pour cette transmission ou tout au moins qu’il en a été informé ainsi que des éventuelles conséquences que pourra avoir cette transmission d’informations et de s’assurer que les personnes à qui cette transmission est faite sont soumises au secret professionnel et ont vraiment besoin, dans l’intérêt de l’usager, de ces informations… Voir la note du CNEF p 7.
8Voir article Le secret professionnel des ministres du culte, qui cite l’article 226-13 du Nouveau Code Pénal. Confirmation dans La loi sur le secret professionnel pour les psychologues et dans Bulletin périodique d’information de l’aumônerie des prisons FPF n°44 – mars 2003