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Note de l'éditeur : 

Le Christ dans la culture contemporaine

Le processus de sécularisation, amorcé depuis longtemps dans la culture française, et plus largement, en Europe, se poursuit. On tend ainsi à faire disparaître la référence au Christ, au niveau des institutions, par exemple. Et dans le domaine de la culture, il devient de plus en plus rare, depuis les années 2000, que Christ soit au centre d’une création – comme ce fut le cas, en Italie en 1964, avec le film de Pasolini L’Evangile selon Saint-Matthieu. Pour autant, il n’a pas disparu totalement, et il m’a semblé intéressant d’aller regarder de plus près certaines œuvres contemporaines (théâtre ; roman ; poésie ; philosophie…) centrées sur le Christ, afin de voir quel éclairage était porté sur lui.

Trouver la trace du Christ dans la philosophie d’aujourd’hui n’est pas une mince affaire. Il semble bien que, là aussi, elle soit sorti des préoccupations actuelles des penseurs. Toutefois, il en est un, d’origine italienne, dont le parcours est passé par un arrêt sur un évènement lié à la vie de Jésus, il s’agit de Giorgio Agamben. Il est l’auteur de nombreux ouvrages qui se sont imposés dans le champ philosophique contemporain. Dans Pilate et Jésus, sorti en 2013 et traduit en 2014, dans la « Bibliothèque Rivages », il montre comment, au travers de Pilate et de Jésus, ce sont deux mondes, deux univers de pensée qui s’opposent. Et cette réflexion nous concerne.

Ce qui est en cause dans le procès de Jésus

Beaucoup ; aujourd’hui, remettent en cause l’appartenance à l’Histoire de la vie du Christ. Ce n’est pas le cas d’ Agamben : « Que le christianisme soit une religion historique, que les mystères » qu’il évoque soient aussi et d’abord des faits historiques, voilà qui est entendu. » Et, à ce titre, « le procès de Jésus est (…) l’un des moments clefs de l’histoire de l’humanité, où l’éternité a rencontré l’histoire en un point décisif. »
Procès de Jésus : rencontre de l’historique et de l’éternel.

Agamben se pose la question suivante, à propos de Pilate : « pourquoi le préfet romain cherche-t-il à tout prix à éviter la condamnation de Jésus ? » La réponse proposée va bien au-delà de raisons historiques, purement humaines, voire psychologiques. « Dans le procès qui se déroule devant Pilate (…) deux royaumes semblent s’affronter : l’humain et le divin, le temporel et l’éternel. »
Procès de Jésus : affrontement de l’humain et du divin.

Pour Agamben, ces différents niveaux d’affrontement, en cause dans le procès de Jésus, sont problématiques, puisque « c’est le monde des faits qui doit juger celui de la vérité, le royaume temporel qui doit prononcer un jugement sur le Royaume éternel. »

Cela est-il possible ?

Les faits

Agamben choisit de suivre le récit, plus complet, du procès, proposé dans l’évangile de Jean. Il le découpe en plusieurs étapes, qu’il examine, et nous nous concentrerons, ici, sur l’essentiel.

Agamben suggère que Jésus ne s’attendait peut-être pas à la première question que Pilate lui pose : « Tu es le roi des Juifs ? » [1] « En effet, en quoi une question interne au judaïsme, celle d’attente historique du messie, peut-elle intéresser le préfet romain ? »

Jésus répond ainsi : « Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon Royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs ? Mais mon Royaume n’est pas d’ici. »

Pour Agamben, « la réponse est ambiguë, parce qu’il récuse, et en même temps, assume, sa condition royale. (…) Pilate a donc raison de lui rétorquer : « Donc tu es roi ? » La réponse de Jésus fait passer subitement son propos de la question du royaume à celle de la vérité. « Toi, tu dis que je suis roi. Moi, je suis né, je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » Alors surgit cette question, si intense, de Pilate, et qui résonne jusqu’à nos jours : « Qu’est-ce que la vérité ? » « Ce ne sont sans doute pas ici la vérité et le scepticisme qui s’affrontent, ni la foi et l’incrédulité, mais deux conceptions de la vérité. »

Procès de Jésus : vérité historique et vérité spirituelle en opposition.

Aux Juifs, Pilate demande : « Voulez-vous que je relâche le roi des Juifs ? » Agamben pense que « comme il n’avait pas trouvé de culpabilité chez l’accusé, Pilate aurait dû prononcer un verdict d’innocence (…) ou bien suspendre le procès et demander un complément d’enquête. » Ce qu’il ne fait pas.

« En revanche, il pense résoudre le cas en recourant à l’amnistie pascale. » A savoir, la coutume de libérer un prisonnier à la Pâque. « Pilate cherche à tout prix à éviter de prononcer un verdict. » Quant aux Juifs, ils « réduisent à néant son projet d’amnistie en criant : « Pas lui ! Mais Barabbas ! ( un émeutier homicide ). »

Procès de Jésus : la justice humaine est déroutée.

Agamben remarque que l’interrogatoire de Pilate suit « une logique d’établissement de la vérité. » Sa ligne directrice est la question de la royauté du Christ. Convaincu de l’innocence de Jésus, « Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs crièrent : Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César : qui se fait roi s’oppose à César. »

Procès de Jésus : rendre à Dieu ce qui revient à Dieu, et à César ce qui lui revient.

« Au moment de la capitulation soudaine de Pilate, celui-ci évoque de nouveau la question de la royauté de Jésus. En effet, l’accusation que le sanhédrin porte contre Jésus est précisément sa prétention messianique à la royauté, que les Juifs refusent, mais que Pilate, s’écriant : « Crucifierai-je votre roi ? » semble remettre en discussion. »

La question du Royaume de Jésus, qu’il soit mondain ou céleste, reste en suspens jusqu’au bout.

Procès de Jésus : Jésus, roi mondain, ou roi céleste ?

Le jugement de Pilate : un jugement ?

« En tant que magistrat romain, Pilate doit exercer ses jugements (…). Certes, il est à même de comprendre qu’il peut y avoir », pour Jésus, « un plan qui transcende l’histoire ( sinon il n’aurait pas répliqué : « Donc tu es roi », quand Jésus lui explique que son royaume n’est pas de ce monde ) ; et cependant, en tant que préfet de Judée, il sait qu’il doit juger aussi ce plan. (…)

Le jugement rendu par Pilate n’est pas un jugement au sens propre. (…) Du point de vue du droit », un expert déclare : « Jésus de Nazareth ne fut pas condamné mais mis à mort ; son sacrifice (…) fut un homicide. »

En conclusion, pour Agamben, : « En réalité, deux jugements et deux royaumes se trouvent ici l’un face à l’autre sans parvenir à mettre un terme à leur face-à-face. (…) Pilate et Jésus, le vicaire du royaume mondain et le roi céleste se tiennent l’un devant l’autre. » Ce face-à-face est celui de la Justice et du Salut. Mais « Justice et salut ne peuvent être conciliés. » Pourquoi ? Parce que l’exercice du jugement (temporel, mondain ) exclut la possibilité du salut ( spirituel ). Aux yeux du monde, « le salut est compatissant, et cependant inefficace, parce qu’en lui les choses apparaissent comme impossibles à juger. »
Terrible verdict final d’Agamben : « Le monde (…) ne veut pas le salut mais la justice. Il la veut précisément parce qu’il ne demande pas à être sauvé. »

Conciliation et réconciliation

Agamben n’a pas introduit, dans sa démonstration, un paradigme qui, pourtant, entre aussi en compte, dans le procès de Jésus : le fait que ce ne soit pas seulement le monde qui veuille la Justice, mais Dieu lui-même.
Parce que Dieu est juste, la culpabilité de l’homme, responsable de la rupture de la relation filiale avec Dieu, par sa désobéissance première, lors de la Chute, est passible de mort. C’est Jésus, le juste, parfaitement innocent, qui est mort sur la croix pour les hommes, injustes, afin qu’ils soient sauvés de leur condamnation à la mort éternelle. Ainsi, la Justice de Dieu est-elle satisfaite.
Justice et Salut sont conciliés et l’homme peut désormais être réconcilié avec Dieu.


1. Citations bibliques reprises telles que les donne Agamben.
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