Il est là, tranquille, à descendre la route de Jérusalem à Jéricho. Pas beaucoup d’ombre sur le trajet. Mais visiblement, pas mal de brigands qui s’en prennent à ce pauvre homme. Roué de coups, le voyageur est laissé pour mort, dépouillé, gisant sur le sol, blessé de tous côtés. Quel spectaculaire début d’histoire que celle du « Bon Samaritain » comme on l’appelle communément ! Elle est racontée de façon intentionnelle à cet enseignant de la Loi qui vient de demander à Jésus ce qu’il doit FAIRE pour obtenir la vie éternelle… On l’a entendue, racontée, lue et relue… mais que nous apprend-elle ?
Une dramatisation bien réfléchie
Le docteur de la Loi a sans doute compris très rapidement qu’en racontant cette histoire, Jésus répondait merveilleusement bien à sa question très ciblée, celle qui demandait au Modèle suprême qui était le ‘prochain’ à aimer autant que sa propre vie ! A peine le début de l’histoire raconté, ce « religieux-qui-faisait-tout-comme-il-faut », soucieux d’obtenir son salut s’est sans doute dit : « Je vois bien où Jésus veut en venir : mon prochain, c’est ce pauvre homme battu injustement, maltraité et humilié ! Merci Maître, j’ai bien compris, je vais m’occuper de ce genre de personnes ! » Sauf que l’histoire ne s’arrête pas là. Jésus, dans toute sa divine pédagogie, va déstabiliser notre curieux : la suite de l’histoire est déroutante, percutante, effrayante ! Parce que Jésus fait intervenir un autre protagoniste : un prêtre. Un prêtre bien pieux (il revient de Jérusalem quand même !) qui va s’arrêter et porter secours à l’homme abîmé ?… Eh bien non ! Un « collègue » ! Un représentant de la justice, de la sainteté, un « élu », un peu comme cet enseignant de la Loi… mais quoi, il ne s’arrête pas ? Pire encore, il s’écarte de l’homme blessé (peut-être même qu’il l’a enjambé !) et poursuit sa route, comme si de rien n’était… Le récit rapporté par Luc ne précise pas ce qui a trotté dans la tête de notre questionneur, mais on peut imaginer un « C’est pas possible ! Pourquoi ne s’arrête-t-il pas ? Peut-être est-ce justement pour ne pas se salir, après tout, il est en droit d’éviter le sang, c’est écrit dans la Loi de Dieu, non ? » Toujours est-il qu’il y a de quoi déstabiliser notre auditeur : le religieux n’est pas le héros de l’histoire… et comme si cela ne suffisait pas, Jésus en remet une couche avec le 2ème voyageur qui est…. un lévite ! Encore un « collègue » versé dans le service du Très-Haut, un modèle de dévouement à la cause divine, un pur-sang élu de tous temps… Mais là, rebelote ! Le lévite voit le malheureux… et s’en va ! Peut-être que notre docteur de la loi s’est dit : « J’ai dû mal comprendre… je demande ‘qui est mon prochain ?’ pour être dans les clous, je vois un prochain potentiel en la personne de cet homme meurtri et les gens comme moi ne lui font pas de bien ? C’est à n’y rien comprendre ! »
Il y a de quoi déstabiliser notre auditeur : le religieux n’est pas le héros de l’histoire…
Une sacrée leçon !
Jésus poursuit son récit. Ils sont importants, les mots qui lient les phrases dans la Bible. La suite commence avec un « mais ». Somptueux, magistral. Avec ce « mais », Jésus ouvre les yeux de son auditeur sur une dimension qu’il n’aurait sans doute jamais soupçonnée : il braque les projecteurs, met l’emphase et la reconnaissance sur la dernière personne à laquelle notre religieux-qui-veut-tout-faire-pour-avoir-la-vie-éternelle aurait pu penser : le personnage suivant n’est rien de moins qu’un… Samaritain ! Non, impossible ! Pas un Samaritain ! Pas quelqu’un de cette race bâtarde, de ces familles qu’on n’ose approcher, qui ne peuvent rien apporter de bon à Israël, qu’on rejette depuis des centaines d’années… pas lui !!!
Et pourtant si, lui. Et Jésus entre dans les détails. Le choc est violent pour l’auditeur qui va assister à la présentation du catalogue des bonnes actions du Samaritain :
- il est ému de compassion
- il soigne ses plaies (avec de bons produits, s’il vous plait !)
- il veille à ce que ses blessures ne s’infectent pas
- il laisse sa place sur son mulet pour le transporter
- il l’amène dans un lieu sûr
Et Jésus de préciser, avec toute la rigueur d’un narrateur averti, que le Samaritain ne se contente pas d’une prise en charge rapide : il le veille la nuit (et de ce fait, perd de son précieux temps : qui sait, il avait peut-être un rendez-vous d’affaires ?) et va même jusqu’à donner 2 pièces d’argent à l’aubergiste pour la suite des soins de ce parfait inconnu… et c’est tout ? Même pas ! Il propose de rembourser plus tard les frais engagés pour les soins afin d’assurer une complète guérison !!!
Cela devait être énorme à entendre pour l’oreille du docteur de la Loi. Plus tôt dans ce chapitre 10 de l’Évangile de Luc, il est précisé que la question de départ avait pour but de tendre un piège à Jésus (Luc 10.25). Eh bien, le piégé, dans l’histoire, ce n’est pas celui que l’on croit. C’est le religieux lui-même. Il se retrouve piégé dans sa pratique de la religion qui tend à mettre en avant ce qu’il sait FAIRE pour obtenir une place auprès du Très-Haut… mais cette histoire, racontée avec sobriété et justesse ne fait qu’accentuer le fait qu’il se trompe de cible. Et Jésus, avec toute la force de son incroyable sagesse, loin de l’accabler de remontrances ou de conseils à n’en plus finir, va juste le renvoyer à lui-même, à sa conscience, à ses motivations, à l’expression de son adoration, à sa raison-même en lui posant la question qui commencera par un : « A ton avis… ? » Jésus pousse l’homme dans ses retranchements. Il ne va pas le lâcher dans cette affaire. Le religieux va se rendre compte par lui-même, au travers du récit d’un banal fait divers du Iersiècle, que la question fallacieuse qu’il vient juste de poser « qui est mon prochain ? » ne tient pas sur l’échelle des valeurs divines. Trop légaliste de dresser une liste du prochain potentiel : le pauvre homme blessé par des voleurs, le mendiant sur le trottoir, le vieillard devant le passage piéton, l’enfant mal nourri au Sahel ou la famille décimée par la guerre… « Donne-moi une liste de mes ‘prochains’ potentiels, Jésus, et une tonne de choses à bien faire pour que je FASSE tout comme il faut, à la lettre, à l’iota prêt comme tu l’as dit ! » Dans l’économie divine, le calcul ne se fait pas de la même façon. L’obtention de la vie éternelle souhaitée par notre interlocuteur peu scrupuleux ne passe pas par une série de recommandations, de pratiques religieuses ou autres gestes, aussi nobles soient-ils, qui ne feraient que mettre en avant ce que JE FAIS. Non. Ce que Jésus finit par demander à notre homme, c’est quel EST le prochain de l’autre, du malheureux, de l’indigent, du perdu, du blessé. Et, sans doute tout penaud, incapable de prononcer le mot maudit « samaritain », notre docteur de la loi n’a pas d’autre choix que de dire que « c’est celui qui exerce la miséricorde qui EST le prochain ». Et Jésus, qui enclenche un processus que la raison doit reconnaître, encourage notre homme déstabilisé à faire de même. Prodigieux. Pédagogue. Andragogue. Avec un récit et trois intervenants, Jésus remplace la question du « qui est mon prochain ? » par un « qui est le prochain de l’autre ? » et pousse un homme sûr de ses convictions à revoir tout ce sur quoi il a bâti sa vie…
Le religieux va se rendre compte par lui-même, au travers du récit d’un banal fait divers du Ier siècle, que la question fallacieuse qu’il vient juste de poser « qui est mon prochain ? » ne tient pas sur l’échelle des valeurs divines.
La Parabole du Bon Samaritain fait partie des histoires les plus connues des Écritures. Nous sommes nombreux à nous être offusqués devant les méfaits des brigands et devant l’indifférence des religieux, en remerciant le ciel de ne jamais agir comme eux. Nous avons encensé le bon Samaritain, en priant d’agir comme lui le jour où nous croiserons un malheureux sur le chemin… Nous aimons lire la Bible en nous retrouvant dans l’un ou l’autre personnage, l’audacieux Pierre, le courageux David, le fidèle Noé, la vertueuse Marie ou la fervente Priscille. Nous refusons de ressembler à Caïn, Jézabel ou Judas. Tous ces humains qui ont foulé notre terre, respiré le même air, aimé, mangé, dormi… ces noms lus et reconnus parce que consignés dans le Livre depuis des centaines d’années, humains faits de chair et d’os comme nous. Mais leur intervention dans les Écritures, aussi louable ou désolante qu’elle puisse être ne fait que pointer vers Celui qui porte en Lui la plénitude de la divinité. Et là, dans le récit tout court de cette parabole bien choisie, nous voici nous aussi tout penauds devant le Fils de Dieu : un héros rayonnant de sagesse, brillant de justesse et débordant de finesse. Gloire à Lui !