Pour arriver jusqu’au bâtiment de cours de son lycée, Pierre doit monter, chaque fois, un escalier en pente, long. Le ciel au-dessus de lui. Répétition des mêmes gestes, dans lesquels réside une certaine sécurité, surtout lorsque le cœur est troublé, ce qui, aujourd’hui son cas. Soucis familiaux.
Mais il sait que, lorsqu’il refermera la porte de la classe sur « ses » élèves, alors s’ouvrira cette parenthèse, heureuse, de la transmission. Il aime les jeunes. Il aime la matière qu’il enseigne, et continue à donner du sens à ce qu’il fait.
Il entre dans la circulation, difficile, au milieu des élèves. Un sourire par-ci, un « Bonjour monsieur ! » par là. Il est dans son univers familier.
Le cours achevé, une séance de deux heures, la sonnerie a retenti. La récréation commence. Les élèves sortent de la salle. Il range ses affaires. La pause est bienvenue. Il se donne comme un acteur, totalement. Il faut capter l’attention de l’auditoire, nombreux, mettre chacun au travail, être attentif, passionné. Il a soif. Il a faim.
La traversée des couloirs est toujours difficile. Ils sont étroits et remplis d’élèves qui se dirigent, comme lui, vers les escaliers, pour descendre dans la cour. Sa sacoche à la main, il rejoint la « salle des profs ».
Passage aux toilettes. Dans son casier : de quoi boire et manger. Ca discute autour de lui, mais il ne perçoit pas les mots. Seulement un brouhaha. Il est dans sa tête, et ramené à ses inquiétudes.
Très vite, les fauteuils, disposés en cercle autour d’une table conviviale, sont occupés. Mais il n’a pas envie de s’asseoir au milieu des collègues. Souvent, il pense à cet espace comme au « banc des moqueurs », tant la critique, facilement, va bon train. Il est pris entre l’envie d’être-avec et celle de se tenir à l’écart.
Sans fuir, comme certains, dans l’espace de travail attenant, et surnommé « le parloir », il choisit de se poser sur un radiateur : sa place, surtout lorsqu’il est d’humeur sombre. L’image qui lui vient est celle de l’hirondelle – il aime tant cet oiseau ! – posée, solitaire, sur un fil électrique.
Il est là. Les voix bourdonnent. Une forme bouge, soudain. Un corps massif se met debout, contourne les tables recouvertes de cartables, de livres, et divers objets, pour venir, venir vers lui. C’est Michel. Ce mouvement-là, régulier, de venir à lui : c’est Michel, quand ils sont ensemble dans la salle des profs.
Il avait le sentiment d’être transparent et le voilà sous le regard bienveillant de l’ami qui, toujours, revient à lui, comme une vague. Son regard est plein de sollicitude et, de cette voix un peu tremblante qui est la sienne, il lui demande :
« Ca ne va pas, Pierre ? »
Ephésiens 4 : 32 :
« Soyez bons les uns envers les autres. »