Twitter a mis 2 ans pour atteindre 1 million d’abonnés.
Spotify ? 5 mois.
Instagram ? 2 mois et demi.
ChatGPT ? 5 jours.
En l’espace de cinq jours, l’Intelligence Artificielle (IA) s’est introduite dans la conscience des gens ordinaires. Pour la première fois, des gens ont joué à la machine à sous linguistique qu’est ChatGPT : ils lui ont posé des questions difficiles et de façon surprenante, ils ont reçu des bonnes réponses en retour. Des cols blancs ont expérimenté exactement ce que des cols bleus ont vécu des dizaines d’années plus tôt : Voilà une machine qui peut faire ce que je sais faire pour un coût très inférieur.
Les sonnettes d’alarme ont résonné à travers les cultures avec une férocité qui, dans certains cas, a frôlé la panique. Des intellectuels sérieux qui ne connaissaient rien à l’IA avant ChatGPT ont ressenti le besoin soudain de partager leurs points de vue brûlants sur les réseaux sociaux et sur leurs podcasts. Mais un autre ensemble de penseurs a adopté une approche différente : ils se sont délectés du potentiel de production de l’IA, en lançant une industrie artisanale de nouveaux produits relatifs à l’IA tout en promettant de changer le monde.
En l’espace de quelques mois, les chrétiens se sont divisés essentiellement en deux camps à propos de la place de l’IA dans l’Église : (1) les opposants qui craignent que l’IA générative prenne des emplois et sabote la formation spirituelle et (2) les pragmatiques qui espèrent que l’IA libérera les responsables de ministères afin qu’ils puissent en faire davantage.
La vitesse de la polarisation technologique ne m’a pas surpris, mais je ne l’ai pas trouvée utile. Après de nombreuses années à écrire sur l’IA, j’ai adopté un ton plutôt prudent. Pourtant, malgré mes craintes, je suis devenu de plus en plus convaincu que l’IA — utilisée de manière éthique — peut servir les intérêts du royaume.
Il est maintenant temps de s’arrêter, de discuter, de réfléchir et non de choisir son camp, dans une guerre à propos d’une technologie sur laquelle la plupart d’entre nous ne connait que peu de choses. Le sage a raison : “Le manque de connaissances n’est bon pour personne, et celui qui précipite ses pas tombe dans le péché” (Prov. 19 :2). Les risques d’une critique et d’un pragmatisme purs sont dangereux car ils nous laissent tous deux beaucoup plus susceptibles de recourir à un usage immoral de l’IA que nous ne le serions autrement.
Il est maintenant temps de s’arrêter, de discuter, de réfléchir et non de choisir son camp, dans une guerre à propos d’une technologie sur laquelle la plupart d’entre nous ne connait que peu de choses.
Le danger de s’opposer à l’IA
Commençons par les craintifs. L’IA générative (c’est-à-dire, des algorithmes capables de générer du texte, des images, un code, des vidéos, etc.) peut effectuer une recherche sur un sermon, créer des illustrations sur un sermon, générer des questions en petits groupes et écrire des sermons, des blogs et des scénarios de podcast. Les chrétiens ordinaires peuvent contourner les pasteurs et les mentors (et Google, d’ailleurs) quand ils ont des questions spirituelles. À la place, ils peuvent questionner une IA, qui dispense joyeusement sa “sagesse.”
Où cet ordinateur omniscient obtient-il l’information et comment la produit-il ? Tous les modèles de langage de grande taille (LLM) sont entraînés à utiliser un ensemble de données spécifiques. Quand vous lui posez une question, il devine une réponse que vous trouverez satisfaisante étant donné les paramètres de votre requête et sa propre formation sur ce qui est considéré comme satisfaisant. Les LLM apportent des réponses collaboratives, calibrées pour plaire aux foules.
Si vous demandez à ChatGPT des conseils relatifs à la vie chrétienne, il vous donnera des idées reçues — des réponses très individualistes, relatives à l’expression de soi, marginales. Mais la médiocrité des réponses de ChatGPT n’est pas le seul problème.
Rapidement, la facilité d’accès à une information apparemment infinie peut détourner du discipulat. Pourquoi entreprendre un travail laborieux pour apprendre la Bible et grandir en sagesse quand un robot peut le faire pour toi ? Les LLM, comme ChatGPT, offrent la promesse de l’obtention d’une maîtrise sans travailler.
Ainsi quand les gens disent que le ciel est en train de nous tomber sur la tête, ils n’ont pas tout à fait tort. L’IA est un changement technologique si titanesque qu’il va avoir pour conséquence de faire passer l’adoption généralisée d’internet pour une simple barque.
Mais un gros problème méconnu par la plupart des gens qui alertent sur le fait que le ciel est en train de tomber est le suivant : il est déjà tombé. Nous vivons déjà dans le brouillard. ChatGPT a éveillé le public à l’IA, mais il n’a pas apporté l’IA dans notre vie quotidienne. L’IA était déjà là à l’époque du correcteur d’orthographe, de la recherche Google, des applications de navigation, des applications de covoiturage, de Siri, d’Alexa, de la reconnaissance vocale automatique, des fils d’actualité, des jeux vidéo, de la reconnaissance faciale, des filtres anti-spam, des applications codées par l’IA, des expéditions et de la logistique automatisées par l’IA, des examens médicaux assistés par l’IA, la guerre par l’IA, et bien plus encore. Pratiquement tout ce que vous voyez en ligne, vous le voyez car une IA a anticipé sur ce qui vous intéressait. Même quand nous nous mettons en colère contre l’IA en ligne, l’IA l’utilise. Elle détermine qui voit quoi, profilant ainsi qui sont ceux qui s’y intéressent et la façon dont ils voient la réalité.
De plus, aucun de ces exemples ne gère la technologie en elle-même. Nous indignons-nous de l’apprentissage automatique, des réseaux neuronaux ou du calcul algorithmique ?
Pour avoir des discussions théologiques solides à propos de l’IA, les chrétiens devraient avoir une compétence de base dans la technologie elle-même. Heureusement, il existe un ensemble croissant d’écrits et de podcastsaccessibles qui peuvent initier les pasteurs, théologiens et éthiciens à l’application de l’IA dans divers domaines. Cela dit, il n’existe aucune alternative au dialogue avec les praticiens qui comprennent l’IA à un niveau plus précis (ingénieurs, développeurs, et chercheurs dans le domaine de l’IA).
Si nous voulons avoir des discussions théologiques solides à propos de l’IA, les chrétiens devraient avoir une compétence de base dans le domaine de la technologie. Si vous voulez protéger l’Église des effets déformateurs de l’IA, vous ne pouvez pas jouer au jeu du chat et de la souris à chaque fois qu’une nouvelle variante de la technologie émerge. Au lieu de cela, il vous faut ouvrir la boîte, regarder à l’intérieur et préparer des disciples à répondre de manière éthique à tous les cas d’utilisation destinés aux consommateurs.
Le danger d’être pragmatique face à l’IA
Tout le monde ne crie pas “Le ciel est en train de nous tomber sur la tête !” tout en étant inconscient du nuage environnant. Certains chrétiens sont conscients du brouillard qui couvre l’IA sans se poser pour autant de sérieuses questions éthiques.
Ce sont des pragmatiques, soutenant l’idée selon laquelle l’utilité justifie l’utilisation. Ils se posent seulement des questions d’organisation : Est-ce que ça va nous faire gagner du temps ? Est-ce que ça va nous faire économiser de l’argent ? Est-ce que ça va nous aider à atteindre plus de gens ?
Les questions pragmatiques sont importantes pour toute personne à la tête d’institutions telles que les églises, nous ne devons donc pas les écarter. Elles sont tout simplement insuffisantes. Les actions doivent se conformer en premier lieu aux normes du royaume et non pas aux normes de l’efficacité.
De la même façon, l’IA générative pourrait être capable d’écrire (de façon fade et conventionnelle) des sermons, mais ceci est le devoir scripturaire des pasteurs. Négliger cette responsabilité est non seulement contraire à la morale, mais c’est également imprudent. Une machine — aussi avancée soit-elle — ne peut connaître les cœurs des gens d’une congrégation, elle ne peut donc pas calibrer ses paroles de façon responsable pour les guider vers la vérité vivante qu’ils ont besoin d’entendre. Elle ne peut s’accorder par elle-même au Saint-Esprit qui devrait guider nos projets homilétiques.
Si vous venez à l’IA sans aucune conviction éthique, vous ferez des faux pas éthiques. Pourquoi ? Parce qu’en agissant ainsi vous aurez l’utilitarisme pour grille éthique : Si l’action X permet à Y d’atteindre son but de façon plus efficace, alors l’action X est la bonne chose à faire.
Un meilleur chemin
En Actes 17:26, Paul dit aux Athéniens, « [Dieu] a fait en sorte que tous les peuples, issus d’un seul homme, habitent sur toute la surface de la Terre, et il a déterminé la durée des temps et les limites de leur lieu d’habitation. ». Si Dieu ordonne l’ordre national de façon souveraine dans l’histoire, nous devons être confiants quant au fait que nous ne vivons pas dans l’ère de l’IA précoce par accident.
Tout comme David « a été au service de la volonté de Dieu dans sa propre génération », nous sommes appelés à être au service de la volonté de Dieu dans cette génération (Actes 13:36). La façon dont nous naviguons aujourd’hui à travers l’IA dans nos églises et nos vies personnelles va structurer les normes éthiques dont nos enfants hériteront. Il nous faut penser l’IA de manière intergénérationnelle.
Si Dieu ordonne l’ordre national de façon souveraine dans l’histoire, nous devons être confiants quant au fait que nous ne vivons pas dans l’ère de l’IA précoce par accident.
Les pragmatiques ont tendance à fonctionner avec une vision à court terme, en se questionnant seulement sur ce qui peut être fait maintenant, sans s‘interroger sur les conséquences futures. Les personnes craintives sont également bloquées dans le présent. Parce qu’ils ne cherchent pas avoir une compréhension plus profonde de la manière dont fonctionne l’IA et de la manière dont elle s’intègre à nos vies de manière invisible. Ils finissent par avoir des réactions instinctives face à chaque gros titre brûlant relatif à l’IA tout en ignorant les procédés réellement néfastes de l’IA qui, bien que moins visibles, nous font du mal.
Nous avons donc besoin de réunir des gens aux compétences diverses (théologiques, éthiques et technologiques) pour explorer les ramifications éthiques de l’IA dans la vie quotidienne, découvrir les usages acceptables éthiquement parlant, et créer des structures simples pour que les chrétiens ordinaires voient et évaluent leurs propres usages de l’IA.
Nous devrions engager des conversations bienveillantes, où des gens aux compétences diverses pourront s’éduquer les uns les autres et mettre en place des solutions éthiques novatrices pour un monde qu’aucun d’entre nous n’a choisi — mais dans lequel Dieu a jugé bon de nous placer.
Nous négligerons notre responsabilité intergénérationnelle unique si nous continuons à gaspiller de l’énergie en nourrissant le débat qui oppose craintifs et pragmatiques. Au lieu de cela, nous devrions engager des conversations bienveillantes, où des gens aux compétences diverses pourront s’éduquer les uns les autres et mettre en place des solutions éthiques novatrices pour un monde qu’aucun d’entre nous n’a choisi — mais dans lequel Dieu a jugé bon de nous placer.