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Sous la terre. Ce sont les bêtes qui vivent sous la terre. Ou les hommes, comme son père, pour extraire le charbon. Mais là… Elle pose son regard sur des femmes, des enfants, des personnes âgées. Ils se sont tous réfugiés là, parce que c’est là qu’on les a informés qu’ils devaient le faire, dans leur quartier. Dans les sous-sols d’une école, transformé en abri anti-bombes improvisé. Des tables, des chaises en bois font des lits de fortune.

Elle est à même le sol. Les déflagrations parviennent, amorties, du dessus. Elle se recroqueville sur elle-même. Elle a froid. Elle a du mal à y croire. C’est la première fois qu’elle se retrouve là. La guerre a été déclarée. « La guerre ». Le mot était dans toutes les bouches. Tous en parlaient sans que personne y croie vraiment. Maintenant, là, ils sont dans la guerre. Comme ils pensaient que jamais plus ils n’y seraient plongés, ainsi. Il y avait bien les récits des grands-parents. Mais, justement, c’était le passé, dont le retour semblait impossible.

Un enfant pleure. Lisa se remet en position assise. Une femme, en face d’elle, la fixe des yeux. Elle tient contre elle un petit que crie, sans un regard pour lui, sans un geste pour l’apaiser, hébétée.

 Lisa est venue à la ville pour étudier. Petite fille déjà, elle était toujours dans les livres. Études de lettres. Passion pour leurs grands écrivains, Gogol en premier lieu. Il lui manque un livre entre les mains, pour ravir son esprit. Mais quand il a fallu descendre là, précipitamment, elle n’a plus pensé à rien, qu’à sauver sa peu. Qu’en est-il de Jana, sa colocataire, partie plus tôt qu’elle ce matin-là, de l’appartement ? Jana est musicienne.

Une vision, soudain, troue la grisaille de l’angoisse. Elles sont toutes les deux au bord du fleuve, près de la maison familiale. L’eau s’écoule, avec un débit puissant. Elle part, de l’avant, toujours de l’avant. En silence, elles suivent le mouvement de l’eau. Que sera demain ? Sur les collines riveraines montent des vergers éclos de fleurs, en beauté.

« Jana … » Son nom vient sur ses lèvres, avec d’autres. Ceux des amis masculins, Brano, Viktor, Olya, Roman… Tous les hommes, entre dix-huit et soixante ans, ont été enrôlés. Interdiction de quitter le pays. Tentation de la fuite, en rivalité, en soi, avec le besoin de défendre sa terre. Parce que c’est là qu’on est venu au monde. Et même si l’on sait que l’on est dans le monde mais pas du monde, comme le dit le Christ, on est bien obligé de faire face à ce qui est là.

Cette femme continue de la traverser avec ses yeux clairs. Lisa se lève et s’approche d’elle. Elle s’assied à côté d’elle, le dos contre le mur. Elle passe son bras par-dessus ses épaules et la femme est secouée par de gros sanglots, qu’elle essaie de contenir. Les larmes coulent sur ses joues.

 Les heures passent. Sans images devant soi. Combien d’heures ils ont passé devant le poste de télévision, à regarder les chaînes d’information, avant, avant que « cela » n’arrive, ne soit là, ne les pousse, brutalement, là, sous la terre.

Là-haut, les détonations s’enchaînent. Désormais, il y aura le monde d’en haut et celui d’en bas. La peur étreint Lisa : peur de sortir de là. Sur quoi ses yeux vont-ils se poser ? La menace rôde de n’avoir plus de lieu à soi, plus à manger, plus pouvoir se soigner… Ne pas penser… Ne pas se laisser vaincre par la peur qui rôde dans tous les yeux. Le cœur qui cogne.

Aujourd’hui, Lisa aurait dû passer un examen de contrôle. Le couperet de l’Histoire est tombé. Quotidien brisé. Quelle sera la suite ? Quand ? Y aura-t-il encore une vie, après ?

Lisa a pris l’enfant dans ses bras. Elle a sorti de sa poche un mouchoir qu’elle transforme en petite marionnette, pour distraire l’enfant. Et ça marche. Son rire retentit. Le rire clair d’un enfant. Tout le monde s’est tourné vers eux. Quel sens donner à sa vie, au présent ? En berçant l’enfant, en lui souriant, Lisa se dit qu’à chaque jour suffit son mal et que la réponse est là, dans ses bras.

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