Elle referme la porte de son appartement. Elle habite un vieil immeuble, en plein centre de Cracovie, au premier étage. Pas d’ascenseur. La cage de d’escalier est blanche, lumineuse, vaste. Elle descend. Son corps, long, ferme, a la grâce si particulière des danseuses, qu’elle est.
Un regard sur la boîte aux lettres : du courrier ? Oui, une lettre, officielle, adressée à « Mademoiselle Irina Minckiewicz », inattendue. Il s’agit d’une demande : celle d’un duo, pour les fêtes de Noël. Elle pousse la lourde porte de bois capitonnée de cuir brun et se retrouve dans la lumière, bleue. L’air est frais. Elle resserre contre elle les pans de son châle de laine. Elle avance, droite, et comme ne touchant pas le sol. Elle se dirige vers la place du Rynek.
Sentiment renouvelé en elle, chaque fois, d’arriver à un lieu magique. La plus grande place médiévale de toute l’Europe. Le centre de l’ancienne capitale de la Pologne. Envie de prendre sa respiration et de s’élancer, de tout son corps, pour danser, sur cet immense espace blanc, ouvert, et merveilleux.
Son regard est arrêté par des charrettes à bras, chargées de couronnes tressées de fleurs sèches, multicolores, et que l’on aurait envie de déposer, délicatement, sur le front d’une jeune fille.
Il se produit alors, en elle, quelque chose de singulier. Une permutation, de temps, de lieu. Soudain, elle n’est plus là, mais lycéenne, à Florence. Elles étaient quelques unes à avoir couru, plutôt que de manger le repas de midi, pour aller encore visiter le couvent San Marco, désireuses de contempler les fameuses fresques de Fra Angelico. Et ce fut un choc que celui de se retrouver, en s’engageant dans l’escalier menant à l’étage, en face de « L’Annonciation ». Elle revoit cette jeune femme sage et pâle, un pétale de rose, inclinée, les mains croisées sur le ventre, face à l’ange, qui la visite. Ses yeux font retour à la couronne. Marie portait aussi, sur ses cheveux, blonds, un simple cercle brun.
Oui, ce qui dormait en elle, comme un rêve lointain, égaré, comme dans la cellule intérieure de la Vierge, aux colonnes hautes, montantes, ce qu’elle ignorait, jusqu’à présent, lui apparaît nettement : un duo. Oui, Marie et l’ange. L’Annonciation. Un espace dépouillé. De simples tuniques blanches, aériennes, et surtout, des gestes, des gestes … Lui reviennent à l’esprit toutes ces Annonciations des Primitifs italiens, si nombreuses. Une succession de gestes : mains croisées sur soi-même ; mains ouvertes en geste de don ; inclinaison respectueuse ; corps tendu en appel … Ce sera lent, et doux. Elle essaie de se remémorer, aussi, ce texte si fascinant de l’Evangile. Quelles en étaient donc les étapes ? La solitude de Marie. L’intrusion de l’ange. La salutation. L’annonciation. L’acceptation. La disparition de l’ange. Le retour au silence de soi. Que s’est-il passé ?
Irina secoue la tête. Elle se retrouve, là, face à une petite couronne de fleurs tressées. Elle éprouve un besoin urgent de se rendre à la grande bibliothèque, rechercher, dans les livres de peinture italienne, le plus grand nombre possible de scènes d’Annonciation, afin de relever des gestes, d’entreprendre des croquis. Des gestes pour dire le miracle de Celui qui vient, dans le corps d’une simple femme. Elle aussi, elle va dire cela, avec son corps.
Luc 1 : 28 :
« Il entra chez elle et dit :
Je te salue toi à qui une grâce a été faite ;
le Seigneur est avec toi. »