Si vous défendez le mariage hérérosexuel monogame et l’idée que le sexe est un donné biologique immuable qui détermine votre genre masculin ou féminin, vous êtes des ringards situés du mauvais côté de l’Histoire et vous êtes l’ennemi à abattre ! Voilà, de manière schématique, ce qui semble acquis parmi les élites de notre monde occidental. La lecture d’un Hors-série du Courrier International intitulé « Il, elle, iel… les révolutions du genre », paru ce printemps, nous permet d’y voir plus clair sur la manière dont les partisans du lobby LGBTQI considèrent ceux qui ne partagent pas leurs convictions. Analyse.
Il y a une guerre… et nous sommes considérés comme étant les agresseurs
« Les attaques contre ce que l’on appelle « l’idéologie de genre » se sont multipliées ces dernières années dans le monde entier, accaparant le débat public, exacerbées par les réseaux sociaux et soutenues par des organisations catholiques et évangéliques de droite largement implantées ». Ces propos sont ceux de Judith Butler, une figure éminente de la promotion de la vision du monde transgenre. Ils apparaissent dans un article du Guardian, que le Courrier International a placé au tout début de son Hors-série (NDLR : la marque de fabrique du Courrier International consiste à compiler des articles de journaux du monde entier). Le ton est donné, et Judith Butler s’emploie ensuite à dénoncer avec un étonnement feint les « militants antigenre », c’est-à-dire tous ceux qui « contestent la notion même de genre, lui reprochant de nier le sexe biologique ou de saper le caractère naturel ou divin de la famille hétéronormative ».
L’article veut sensibiliser le lecteur au fait qu’il est incroyable que des gens soient encore opposés, en 2022, à quelque chose d’aussi évident que les droits LGBTQI. « L’objectif premier de ce mouvement, nationaliste, transphobe, misogyne et homophobe, est de faire invalider les lois progressistes obtenues ces dernières décennies par les mouvements LGBTQI et féministes ». Puis Judith Butler raille tous les arguments de ces militants antigenre animés par une « ferveur réactionnaire ».
Retournement de situation
Les propos de Judith Butler manifestent ainsi que l’on a assisté à un retournement de situation. Aujourd’hui, les « militants » ne sont plus les partisans de l’idéologie de genre qui s’attaquaient à certains acquis érigés sur des fondements traditionnels, mais ceux qui s’opposent à cette idéologie. La « normalité », c’est d’être acquis à la cause LGBTQI ; s’y opposer, c’est être considéré de facto comme un adversaire du bien. Des mots guerriers sont employés à la pelle dans l’article pour décrire cet adversaire : « militants », « anti », « groupe de pression », « détracteurs », « réactionnaires », « allégations incendiaires », « discrimination », « tendance fasciste ». Cerise sur le gâteau, nous dit Butler, « les détracteurs du genre vont chercher des arguments dans la Bible ».
Quel est le portrait-robot du « méchant » ?
Aujourd’hui, les « militants » ne sont plus les partisans de l’idéologie de genre qui s’attaquaient à certains acquis érigés sur des fondements traditionnels, mais ceux qui s’opposent à cette idéologie. La « normalité », c’est d’être acquis à la cause LGBTQI
L’ensemble du Hors-série du Courrier International s’attèle ensuite à démontrer que les LGBTQI doivent donc continuer… le combat. Un combat, nous l’avons compris, légitimé par le fait que les partisans du genre sont les victimes, et les « militants antigenre » les agresseurs. Une carte du monde, intitulée « LGBTQI : des droits toujours à conquérir », dresse le portrait des bons et des mauvais élèves, les pires cancres étant les Etats qui criminalisent encore l’homosexualité. Le combat doit donc continuer, nous dit-on. Et la parole est ainsi donnée par exemple à des éleveuses d’alpagas transgenres du Colorado, qui se sont réfugiées à la campagne et se sont unies dans une communauté trans pour résister à leurs agresseurs, des « fascistes armés jusqu’aux dents », liés à l’extrême-droite, opposés par ailleurs aux mesures du gouvernement pendant le Covid.
On a là un exemple parmi d’autres des amalgames qui sont faits, discrètement mais sûrement, tout au long de ce magazine. Un « portrait-robot » se dégage du « militant antigenre classique » : partisan d’extrême-droite, religieux (qu’il soit affilié aux Frères musulmans en Egypte ou aux chrétiens évangéliques aux Etats-Unis), populiste et jouant sur les peurs, manquant d’arguments, anti-scientifique, obscurantiste, macho, et on en passe… Ce n’est pas tout : cet agresseur anti-genre s’en prend non seulement au mouvement transgenre, mais aux femmes en général. Dans cette guerre que nous décrit le Courrier International, les agresseurs sont coupables de toutes sortes de maux, et les victimes solidaires dans leur martyr.
Sommes-nous donc favorables à l’excision ?
Judith Butler fait ainsi très vite un raccourci en affirmant que ce mouvement antigenre, de ce fait, « s’oppose aux mesures de protection des femmes contre le viol et les violences domestiques ». Un autre article, venu d’Egypte, donne la parole à une militante féministe qui s’indigne de l’oppression de l’Etat et des fanatiques religieux contre les LGBTQI, contre la sexualité des femmes… et relève aussi que 87% des petites filles sont victimes de mutilations génitales dans le but de contrôler leur sexualité. Le lecteur ressort ainsi avec l’idée en tête que « tout est lié » et risque de mettre sur le même plan la promotion de l’excision et le refus du transgenrisme.
Un exemple encore de ce doux mélange qui nous est proposé : dans un article consacré à la masculinité, on nous fait comprendre que le « modèle traditionnel », comme il est appelé, contribue à créer des hommes violents et machos, mais que la révolution LGBTQI a heureusement permis aux hommes d’être « vraiment eux-mêmes » : ils sont maintenant plus enclins à exprimer leurs émotions… et « sur TikTok, de jeunes hétérosexuels portent du vernis à ongles et parlent de vulnérabilité comme d’un superpouvoir ». Cette nouvelle génération « remet en cause les normes de genre ».
L’école et l’université comme instruments idéologiques
Un thème encore ressort de ce Hors-série du Courrier International : celui de l’expansion de la « bonne nouvelle » LGBTQI dans la société grâce à deux instances au moins, l’école et la culture. On nous dépeint par exemple le bonheur de Sonnie, une personne « gender fluid, genderqueer et pansexuel.le » d’Australie, qui a bénéficié de l’accueil inconditionnel d’un lycée australien particulièrement avant-gardiste par sa politique d’inclusion. Puis un psychologue israélien, engagé en milieu scolaire, encourage les enfants au « genre variant » à être qui ils sont, et leurs parents à ne pas les freiner dans leur cheminement. Quant au milieu universitaire, il est à l’avant-garde du combat pour la défense et la promotion des droits LGBTQI : c’est là que se réunissent tout particulièrement des chercheurs, qui « étudient et élaborent les théories queer et travaillent dans le domaine des études de genre ».
Des séries pour « éduquer » les ados
Du côté de la culture, on notera, avec l’article du Washington Post, que plusieurs nouveaux jeux vidéo « permettent aux joueurs d’avoir des relations queers et utilisent des pronoms non binaires ». Ce monde virtuel donne ainsi l’opportunité aux jeunes personnes LGBTQI d’avoir « davantage confiance en elles » et d’oser ensuite vivre dans la réalité ce qu’elles vivent derrière leurs écrans. Une sorte d’initiation à la « fluidité » dans le domaine du genre.
La révolution sexuelle est aussi bien « avancée » dans les séries télévisées, les producteurs ayant lancé des séries spécialement destinées aux jeunes. On pense notamment à la série de Netflix « Sex Education », dont on nous dit qu’elle « a montré plus de scènes de sexe entre mineurs que jamais auparavant sur le petit écran. La quête de l’orgasme, la découverte des préférences sexuelles, le traumatisme d’une agression sexuelle, mais aussi les difficultés rencontrées par des jeunes non binaires, rien n’est laissé de côté dans les leçons d’éducation sexuelle délivrées tout au long de la série ».
Ne soyons pas naïfs… ni intimidés
En tant que chrétiens, ce portrait nous laisse perplexes et s’avère assez décourageant. Que faut-il en faire ? Quelles leçons en tirer ? Ce Hors-série du Courrier International a le « mérite » de nous enlever le reste de naïveté qui nous restait peut-être… Nous faisons partie, idéologiquement, d’une désormais minorité, considérée comme obscurantiste et… agressive ! Qu’on le veuille ou non, on nous taxera de « militants antigenre » tant que nous n’adhérons pas à l’intégralité du discours LGBTQI. Le dialogue paraît presque impossible, puisque nous restons attachés à une vision divine et biblique du mariage, de la sexualité et des relations entre hommes et femmes. Mais ne soyons pas intimidés par cette « sagesse du monde » : la sagesse de Dieu la surpasse de loin et la perçoit comme s’apparentant à tout sauf de la sagesse…
Notre rejet des idées ne doit pas nous amener à une haine de personnes créées à l’image de Dieu.
Il nous faut aussi faire le tri dans ce qu’on nous reproche : on peut être opposé à l’idéologie transgenre sans être un fasciste rempli de haine prêt à prendre son fusil ; on peut être un homme véritablement masculin sans battre notre femme et tout en ayant une certaine sensibilité ; on peut tenir aux distinctions et rôles entre hommes et femmes sans pour autant refuser des droits pour les femmes ou souhaiter l’excision et la violence sexuelle !
Et puis, faisons le tri aussi entre l’idéologie LGBTQI et les personnes qui s’identifient à ce mouvement : notre rejet des idées ne doit pas nous amener à une haine de personnes créées à l’image de Dieu. On continuera certes à nous qualifier de « transphobes », mais nous savons, devant Dieu, ce que nous avons dans nos cœurs.
Notre manière de vivre parle
Finalement, c’est non seulement notre discours qui doit être clair, mais aussi notre manière de vivre. Derrière le portrait heureux et triomphaliste que le Courrier International fait de ces mouvements LGBTQI, se cache une réalité bien plus sombre qui n’est pas évoquée ici : celle des doutes, des souffrances, du manque de sens et des crises identitaires de beaucoup. Si les chrétiens vivent des mariages solides et aimants, si les jeunes chrétiens sont à l’aise avec leur identité et leur sexualité, si les hommes sont des hommes selon Dieu, et les femmes des femmes selon Dieu, nos contemporains le verront. Et au milieu de la déstructuration complète des valeurs et fondements de nos sociétés, ils seront peut-être interpellés par la stabilité de ce qui a été créé par Dieu, non pour asservir l’homme dans des carcans, mais pour son bien.