Vivre avec des regrets peut nous paraître si juste, si spirituel. Cela signifie que l’on se sent mal pour les mauvaises choses que nous avons faites ou que nous pensons avoir faites, et cela nous apparait comme étant une bonne chose. Si vous oubliez ces mauvaises choses, vous seriez en train d’agir comme si elles n’avaient pas été si graves.
Combien de « si seulement » avez-vous dans votre vie ?
Si vous avez une conscience scrupuleuse, vous aurez perdu le compte il y a longtemps déjà. Pour les autres, voici trois catégories courantes de regrets.
- Les choses particulièrement honteuses que vous avez faites, et qui sont devenues publiques alors que la société les désapprouvait. Peut-être avez-vous échoué à un examen, ou au travail, ou bien vous avez eu des soucis juridiques ou fait quelque chose d’immoral.
- Les choses que vous avez faites soit de manière intentionnelle, ou de manière non-intentionnelle (ce qui est le plus fréquent) et qui ont causé du tort à quelqu’un. Sur cette liste peuvent figurer des situations comme un accident de voiture, une maladie transmise sexuellement, l’éducation lacunaire d’un enfant rebelle, des comportements dangereux sous l’effet de substances, etc. « Si seulement j’étais parti 5 minutes plus tard, je n’aurais pas renversé ce piéton » ou « si seulement je n’étais pas allé à cette soirée… », etc.
- Les choses que vous auriez dû faire, selon vous, pour éviter la catastrophe. Si vous avez vécu un moment spécifique où votre vie a pris un mauvais tournant irréparable, alors des dizaines d’exemples de ce que vous auriez dû faire autrement vous viendront à l’esprit. Un mauvais mariage ? Vous allez repenser à toutes les autres personnes que vous auriez pu épouser en vous demandant pourquoi vous ne l’avez pas fait. Presque chaque personne qui a connu quelqu’un qui s’est suicidé vivra de profonds regrets. « Si seulement je l’avais appelé ». La plupart des femmes victimes d’agressions sexuelles ruminent ces pensées : « si seulement… (j’avais crié au secours, ou j’avais suivi mon instinct que quelque chose n’allait pas, j’avais suivi mes amis). »
Nous vivons avec des regrets parce que nous croyons que cela est nécessaire. Nous croyons que c’est la bonne attitude à avoir.
Je connais une femme qui était si pleine de regrets que le fardeau qu’ils représentaient lui semblait normal. Le premier « si seulement » pesait comme un poids sur son âme. Imaginez que vous portiez des poids de 10 livres [environ 4,5 kg, NdT] attachés à vos chevilles et vos poignets en permanence. Vous finissez par ne plus y faire attention et ils ne paraissent plus si lourds. Vous vous sentez fatigués et las en permanence, et les autres semblent avancer à un autre rythme émotionnel, mais étrangement, cela vous paraît normal.
Voilà le paradoxe.
Nous vivons avec des regrets parce que nous croyons que cela est nécessaire. Nous croyons que c’est la bonne attitude à avoir : c’est notre devoir devant Dieu. Mais…
Le royaume de Dieu est dénué de regrets. Voici la vérité : le Dieu trinitaire nous libère de nos regrets. Sa volonté est en train de s’accomplir. Vous pouvez compter là-dessus. Ni vos limites humaines, ni vos péchés, ne peuvent entraver les plans parfaits de votre Père céleste.
Allons un pas plus loin. C’est la volonté de Dieu que vous vous débarrassiez de vos regrets. Ils ne peuvent que vous donner le sentiment d’être inadéquat, et donc incapables de porter du fruit.
Dans cette ligne de pensée, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, David, Jonas, Pierre et Paul, avaient tous une bonne raison d’être bien chargés de « si seulement ». Le roi David en est l’exemple le plus extrême. Son péché avec Bath-Shéba a eu pour conséquence la mort de leur fils, et sa conspiration pour couvrir son adultère a eu pour conséquence la mort de son mari (2 S 12). Pire encore, son péché lors du dénombrement du peuple a eu pour conséquence la mort de 70 000 israélites (2 S 24). Son regret était profond et sa repentance sincère, mais nous ne le voyons pas en proie à un regret persistant. Nous voyons plutôt une doxologie au Seigneur qui nous pardonne gratuitement.
Prenons Jonas, un personnage énigmatique dont la fuite devant le Seigneur a failli se solder par la mort d’un équipage entier, et qui s’est terminée pour lui dans le ventre d’un poisson. Le ventre d’un poisson est l’endroit idéal pour vivre les regrets, particulièrement lorsqu’on est conscient de s’être attiré soi-même les problèmes. « Si seulement j’étais allé à Ninive ». Mais cet endroit est plutôt devenu pour Jonas un lieu saint, où il a enfin vu clair et proclamé que « le salut vient de Dieu ».
Vous croyez que si vous accumulez suffisamment de regrets et de remords, vous pourrez enfin vous échapper du purgatoire que vous vous êtes imposé.
Que peut-on dire des regrets de Paul ? Il a observé avec approbation la mise à mort d’Étienne (Ac 7.9-8.1). Il a pourchassé avec zèle les chrétiens, les a envoyés en prison et a approuvé leur mise à mort (Ac 26.9-11). Et pourtant, après sa conversion, bien qu’il désapprouve clairement ces actes, il ne reste pas bloqué sur ses péchés passés. Au contraire, il écrit : « Frères et sœurs, je n’estime pas m’en être moi-même déjà emparé, mais je fais une chose : oubliant ce qui est derrière et me portant vers ce qui est en avant, je cours vers le but pour remporter le prix de l’appel céleste de Dieu en Jésus-Christ. » (Ph 3.13-14). Ce qui est ironique, c’est que Paul ne parle même pas de ses péchés, car il a une confiance totale dans le fait que Dieu est au contrôle, et que ses péchés sont entièrement pardonnés. Son CV ne fait mention que des « bonnes » choses.
Mais pour nous qui vivons dans l’ère post-résurrection, c’est en Pierre que nous trouvons un modèle en gestion de regrets. Après tout, il connaissait Jésus depuis le début, et supposait que son péché flagrant de reniement, la nuit de l’arrestation de Jésus, l’avait renvoyé au rang de pêcheur de poissons. Non pas qu’il y ait quelque chose de mal à ce métier, mais Jésus avait changé la vocation de Pierre pour qu’il devienne pêcheur d’hommes (Mt 4.19). Pour Pierre, son retour à la pêche normale trahissait sa conviction que ses péchés le disqualifiaient pour le service dans le Royaume. Pierre supposait que sa vocation n’était plus valable. Mais un petit-déjeuner avec Jésus et une promenade sur la plage ont tout changé.
Vous ne trouverez pas la moindre trace de regret ou de « si seulement » dans ses deux lettres. Il suit, au contraire, les traces du roi David en ouvrant sa lettre avec la déclaration d’espérance qui est peut-être la plus spectaculaire et la plus éloquente du Nouveau Testament, et qui se termine par cette exhortation : « C’est pourquoi, préparant vos esprits à l’action, et ayant l’esprit sobre, mettez toute votre espérance dans la grâce qui vous sera apportée lors de la révélation de Jésus-Christ » (1 Pi 1.13). Il nous rappelle que la vie en Christ repose sur ce que Jésus a accompli et sur l’anticipation de ce qu’il va encore accomplir. Nous sommes des visionnaires. Nous regardons vers l’avant. Nous espérons. Nous avons pour objectif d’être attirés par la beauté qui est presque à portée de main, plutôt que d’être retenus par les regrets.
Cela fait-il écho en vous ? L’espoir renaît-il ? Si ce n’est pas le cas, vous croyez que le Royaume du Christ est l’endroit où vous payez pour vos péchés passés, vos indiscrétions passées ou simplement le fait d’être un être humain qui n’est ni omniscient ni omniprésent. Vous croyez que si vous accumulez suffisamment de regrets et de remords, vous pourrez enfin vous échapper du purgatoire que vous vous êtes imposé – bien que, comme vous le savez déjà, peu importe la quantité de choses que vous stockez, vous avez toujours l’impression que vous devez en ajouter un peu plus. Ce n’est pas le Royaume où règne Jésus.
Nous comprenons mieux la nature néfaste des regrets lorsque nous réalisons qu’ils ne donnent pas à la miséricorde la place importante qui lui revient.
Peut-être croyez-vous que vos regrets seront votre talisman protecteur pour vous assurer de ne pas répéter vos péchés passés. Cela a du sens et semble spirituel, mais c’est un faux évangile. Ce sont les douces miséricordes de Dieu qui nous poussent à combattre le péché. Nous comprenons mieux la nature néfaste des regrets lorsque nous réalisons qu’ils ne donnent pas à la miséricorde la place importante qui lui revient. Ces regrets peuvent être si tenaces qu’ils ne partiront que par la repentance. Bien que vous vous soyez repenti de ce que vous percevez comme étant votre contribution aux choses que vous regrettez, la véritable motivation à vous repentir a beaucoup plus à faire avec ce que vous vivez dans le présent. Vous dites : « Seigneur, je ne crois pas que tu pardonnes mon passé, bien que tu pardonnes probablement le passé des autres, et je crois encore moins que la confiance en ta bonté et l’espérance pour demain soient même permises. » Appelez cela de l’incrédulité. Si vous voulez aller encore plus loin, appelez cela de l’orgueil, où vous vous croyez vous-même plutôt que de croire le Seigneur. Dans tous les cas, repentez-vous.
J’ai mes propres regrets, vous avez les vôtres. Les miséricordes de Dieu les surpassent tous.