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Trois caractéristiques de la religion humaine

1. On fait ce qu’il faut pour avoir droit à la bénédiction

La première caractéristique se voit dans le fait que Caïn apporte une offrande et, surtout, dans l’attente qu’il a par rapport au résultat de son geste. C’est ce dernier aspect qui est le plus important; apporter une offrande n’est pas mauvais en soi, puisque Abel, qui est juste, en fait autant. La différence entre les deux tient au fait que Caïn croit avoir droit à quelque chose, suite à cela. C’est une caractéristique fondamentale de toutes les religions créées par l’homme: il fait ce qu’il juge nécessaire et pense avoir droit à une bénédiction en retour.

Nous pouvons relever en passant que c’est là qu’apparaissent la majeure partie des différences entre les religions:

\ Ce que l’homme est censé faire pour avoir droit à la bénédiction divine varie énormément d’une religion à l’autre: il faut faire un sacrifice, réciter une prière, accomplir un rite, croire quelque chose, faire telle ou telle expérience, se priver de certains plaisirs… Les variations semblent infinies.

L’homme, le mal et la pensée de Dieu

L’homme, le mal et la pensée de Dieu

Editions Ourania. 136.

L’homme créa Dieu à son image. Impossible? Choquant? et pourtant si vrai! La religion serait-elle responsable de tous les maux? Certains vont jusqu’à s’imaginer qu’ils doivent commettre des massacres au nom de Dieu.
Chrétiens ou non, nous avons tous à nous demander si notre perspective sur l’existence est vraiment la bonne. En fin analyste et théologien, David Shutes nous aide à nous poser les bonnes questions et à trouver des réponses correspondant à l’enseignement véritable de la Bible.

Editions Ourania. 136.

\ La bénédiction recherchée peut être de nature très diverse, elle aussi: cela va des bénédictions très immédiates et matérielles comme la guérison (la bénédiction la plus recherchée par les religions de tous les temps) à quelque chose d’extrêmement ésotérique comme la possibilité de se fondre dans l’harmonie ultime de l’univers.

\ La conception de Dieu, ou des dieux, des esprits, du principe divin ou toute autre manière de se représenter le domaine spirituel, varie énormément selon les religions.

Ces différences, tout en conduisant à un nombre incalculable de religions différentes, ne doivent pas masquer le principe fondamental toujours présent: si on fait ce qu’il faut, on a droit à la bénédiction recherchée. C’est la première caractéristique de la religion de l’homme pécheur.

Notons surtout le «droit» à la bénédiction. Apporter une offrande à Dieu n’est pas, en soi, un acte mauvais résultant d’un désir répréhensible de le contrôler. Demander de l’aide à Dieu n’est pas mauvais non plus: lui-même nous invite à le faire, à maintes reprises, dans la Bible. Mais penser qu’on y a droit, parce qu’on a fait le nécessaire, l’est. Abel a apporté une offrande à Dieu, et Dieu l’a béni. Son frère a aussi apporté une offrande à Dieu et pense, par conséquent, avoir droità la même bénédiction que lui. Que son cœur ne soit pas du tout droit devant Dieu, au contraire de celui de son frère, n’a aucune importance à ses yeux: il a fait quelque chose pour Dieu, et il a droit à quelque chose en retour. C’est de cette manière que Caïn, déjà, conçoit la religion, et c’est de cette manière que l’humanité marquée par le péché la concevra toujours.

Il y a un point très important à relever ici, pour bien saisir le fond du problème: même si le cœur de Caïn avait étédroit, son offrande n’aurait pas obligatoirement débouché sur le même résultat que pour son frère. Pour des raisons qui lui sont propres, Dieu peut agir de manière très différente envers des personnes tout aussi fidèles les unes que les autres. Dans Actes 12, les apôtres Jacques et Pierre sont tous les deux arrêtés: Pierre est délivré miraculeusement; Jacques est tué. Parmi les sept lettres de l’Apocalypse, seules deux sont exemptes de tout reproche: à l’église de Philadelphie, Jésus promet sa protection pendant le temps de persécution qui vient (Apocalypse 3.10); à celle de Smyrne, tout aussi fidèle, il annonce la souffrance et ordonne simplement d’être fidèle jusqu’à la mort (Apocalypse 2.10). On peut multiplier les exemples mais le principe est clair: la bénédiction n’est pas un droit, même pour ceux qui sont justes.

La religion de l’homme pécheur revendique la bénédiction comme un droit. Caïn se fâche parce qu’il ne reçoit pas la bénédiction qu’il veut, celle qu’il a «payée» – pense-t-il – en apportant une offrande à Dieu. C’est la description la plus fondamentale de la religion telle que l’homme pécheur la conçoit: l’homme fait ce que Dieu (ou toute autre conception du divin) lui demande et, parce qu’il le fait, il reçoit en récompense l’aide divine, d’une manière ou d’une autre.

2. Le péché n’est pas un problème en soi

Nous avons déjà noté que Caïn n’adopte pas une attitude de repentance par rapport à son péché. Dieu a beau le mettre en garde, il n’en tient aucun compte. Il ne manifeste même aucun signe de regret quand il est repris à cause du crime qu’il vient de commettre. Il réagit seulement lorsque Dieu lui annonce ce qui va lui arriver à cause de son péché. C’est une deuxième caractéristique de la fausse religion, celle qui convient à l’homme pécheur: l’homme n’est pas vraiment troublé par le péché en soi mais uniquement par ses conséquences. Quand une religion s’occupe de la question du péché (ce qui est loin d’être le cas de toutes), elle s’y intéresse uniquement dans le but de montrer à l’homme comment éviter la punition qui en résulte. S’il existe un moyen facile de se faire pardonner, le péché n’est pas considéré comme particulièrement grave. S’il est difficile, coûteux, voire impossible de se faire pardonner, il faut éviter de pécher, mais uniquement à cause de la punition.

Cette caractéristique de la religion de l’homme pécheur est si profondément ancrée dans la pensée humaine et si largement répandue que la plupart des gens, dans le monde occidental moderne, ne peuvent même pas la concevoir autrement: dans leur esprit, le seul but de la religion est d’éviter la punition liée au péché afin d’aller au paradis. C’est vrai pour ceux qui croient comme pour ceux qui ne croient pas; ces derniers pensent – avec raison – qu’une telle idée est franchement ridicule, mais ils s’imaginent tout de même avoir bien compris pourquoi ceux qui pratiquent une religion le font. Et, dans la plupart des cas, ils n’ont pas tort.

Dans l’Antiquité, les adeptes de religions où la notion de péché n’existait pas vraiment étaient à peu près les seuls à ne pas voir les rites religieux comme un moyen d’échapper à sa sanction. (Cela existait, mais c’est devenu plus rare de nos jours.) Que cette notion soit abordée ou non, le résultat est toutefois le même: le problème profond auquel la religion est censée répondre n’est pas le péché. Elle traite tout au plus de la punition qu’il entraîne, mais jamais du péché en soi.

La raison en est simple: le péché fait partie de notre nature, de nous-mêmes. Il ne s’agit pas de quelque chose qui vient de l’extérieur mais de ce qui est en nous. Or, l’homme ne veut surtout pas entendre qu’il est lui-même le problème. Comme nous l’avons vu, une des caractéristiques de la mentalité du pécheur est qu’il blâme les autres pour ce qui lui arrive. Son plus grand problème est la difficulté qu’il est en train de vivre, ce qui vient du monde autour de lui ou des autres, non ce qui vient de sa propre nature. Admettre que c’est moiqui suis en faute, que c’est moiqui suis le problème, qui c’est moiqui dois changer est extrêmement difficile.

Penser qu’il pourrait être lui-même le problème déstabilise l’homme pécheur et provoque en lui une réaction de déprime. Il ne veut surtout pas d’une religion qui lui dise cela. Pour lui, le seul problème avec le péché réside donc dans les conséquences à affronter (ce qui nous ramène au principe de «ce qui nous arrive»).

Certaines religions enseignent très fortement la nécessité d’éviter le péché (en utilisant parfois un autre terme, mais le principe est toujours le même: ce qui déplaît à Dieu, aux dieux ou aux esprits). Elles le font en mettant l’accent sur ses conséquences négatives plutôt que sur une réelle recherche de la sainteté. Il ne s’agit pas d’éviter le péché parce qu’il est mauvais en soi, ou de faire le bien simplement parce que c’est bien, mais d’éviter les malheurs qui risquent de surgir si l’on fait ce qui est mal.

D’autres mettent l’accent sur le pardon et enseignent ce qu’il faut faire pour l’obtenir. (Le pardon étant une bénédiction recherchée, il y a forcément quelque chose à faire pour y avoir droit; c’était la première caractéristique de la religion de l’homme pécheur.) Là encore, le but est d’éviter les conséquences du péché et non le péché lui-même. Quil s’agisse donc d’éviter le péché ou de s’en faire pardonner (ou les deux), l’objectif principal est de se protéger de ses conséquences fâcheuses plutôt que de rechercher la sainteté comme un bien en soi.

S’il existait un moyen de garantir l’absence totale de conséquences néfastes, quelle que soit la quantité ou la gravité des péchés, cela suffirait largement à la plupart, même aux adeptes d’une religion. Si le pécheur moyen pouvait être absolument sûr qu’il n’y aura jamais de punition, ni dans cette vie ni après la mort, le mal ne représenterait plus un problème dans sa pensée; il pourrait s’y livrer à cœur joie. Après tout, le péché, c’est ce que le pécheur désire faire. S’il a la promesse du pardon illimité, quel que soit son comportement, que demander de plus? Pourquoi chercher à transformer le cœur, si le péché n’est pas puni?

Soyons honnêtes: si nous pouvions disposer d’une telle garantie, être sûrs de ne pas subir de répercussions déplaisantes dans cette vie, sûrs aussi d’atteindre le paradis après la mort, qui de nous ne serait pas tenté de «profiter du péché» d’une manière ou d’une autre? Une telle réflexion suffit pour montrer à quel point l’idée que le péché n’est pas un problème en soi pour la plupart d’entre nous est enracinée dans le cœur pécheur.

3. Le «salut» recherché est d’ordre pratique

Le troisième grand trait marquant, en ce qui concerne l’homme pécheur et la pensée de Dieu, est très largement répandu, au point de sembler évident à tous ou presque, mais il est moins visible dans Genèse 4: il n’y apparaît que par implication, sans mention claire. Toutefois, il caractérise bien la pensée de l’homme pécheur en ce qui concerne Dieu.

Il est dit dans Genèse 4.4-5: «L’Eternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande, mais pas sur Caïn et sur son offrande.» C’est ce qui provoque le différend entre les deux frères. Nous ne savons pas en quoi consiste, précisément, ce «regard favorable», puisque le texte n’en dit pas plus. Il est évident, toutefois, qu’il s’agit de quelque chose qu’un pur pécheur comme Caïn peut constater. Sinon, il n’en serait pas jaloux. Cela se manifeste donc vraisemblablement dans le domaine physique: succès dans le travail, par exemple, ou meilleure santé. On ne peut pas dire que ce soit une priorité pour Abel, mais il est clair que ça l’est pour Caïn. Il veut obtenir la même chose.

Quand Dieu le confronte à son péché et lui annonce ce qui va lui arriver, il semble surtout angoissé par le côté matériel de la sanction: «Voici que tu me chasses aujourd’hui de cette terre. Je serai caché loin de toi, je serai errant et vagabond sur la terre, et toute personne qui me trouvera pourra me tuer» (Genèse 4.14). Trois points, sur les quatre qu’il met en avant, relèvent clairement du domaine matériel. Seule la phrase «je serai caché loin de toi» semble relever d’un domaine plus spirituel, et encore, ce n’est même pas sûr: puisqu’il semble penser que Dieu limite sa présence à un endroit précis (c’est lui qui se plaint de devoir être loin de Dieu; lui-même n’a rien dit qui aille dans ce sens), peut-être s’imagine-t-il que la bénédiction divine se manifeste plus dans un endroit que dans un autre; la seule chose qui le gêne alors est d’être privé de cette bénédiction. En tout cas, lorsque Dieu lui promet une protection physique (verset 15), cela semble le satisfaire.

Même dans ce texte, donc, il est permis de discerner ce qui constituera une des caractéristiques les plus flagrantes de la religion de l’homme pécheur tout au long de l’histoire: ce que l’être humain recherche, c’est surtout un bien-être personnel, physique et immédiat.

J’ai commencé, il y a des années, à étudier les religions anciennes en vue de comprendre ce qui motivait leur acceptation: qu’est-ce que l’homme y recherchait? La toute première réponse, proposée par la quasi-totalité des religions, était la santé: on faisait des sacrifices, on accomplissait des rites, on prononçait des formules (qu’elles soient appelées «prières» ou non), dans l’espoir de conserver une bonne santé ou d’être guéri. Le deuxième avantage recherché était la prospérité. (Sa forme précise variait d’une culture à une autre, car ce qui constitue la richesse dans une culture n’est pas forcément ce qui la fait dans une autre, mais le principe de base était toujours celui du bien-être matériel. Dans une culture basée sur l’agriculture, par exemple, la prospérité prend souvent la forme de la fertilité puisque la richesse consiste alors surtout à avoir des plantes et des bêtes qui se reproduisent bien.) Ensuite, parmi d’autres bénédictions recherchées figuraient les victoires militaires, la protection contre les mauvais esprits, les enfants, et de nombreux autres avantages dont l’ordre de priorité est difficile à établir. Cependant, les deux grandes bénédictions que fait miroiter la religion, depuis la plus haute antiquité et jusqu’à nos jours, sont la santé et la prospérité.

Cette pensée est tellement enracinée dans les mentalités que beaucoup estiment que la religion ne sert à rien si elle ne procure pas ces avantages. Même les sceptiques ou ceux qui militent contre toutes les formes de religion partent de ce principe pour argumenter – souvent avec raison, d’ailleurs – que la pratique d’une religion quelle qu’elle soit ne donne pas, statistiquement parlant, de meilleurs résultats que le travail honnête et la science. L’idée qu’il pourrait y avoir une autre raison de se tourner vers Dieu ne leur vient même pas à l’esprit.

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