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L’art est purement et simplement le reflet de l’artiste. Ma vision du monde avait été transformée. Ce n’était qu’une question de temps pour que ma musique suive.

Au début, je faisais surtout de la musique pour les chrétiens. Avec le temps, des sous-groupes s’étaient développés: il y avait les ados chrétiens de la zone, les chrétiens évangéliques conservateurs des quartiers un peu plus chics, et les chrétiens «réformés» qui m’aimaient parce que leur théologien préféré ou leur pasteur approuvait ce que je faisais. En fin de compte, presque tous mes fans étaient des chrétiens.

Il n’y a rien de mal en soi à faire de l’art pour un public spécifique et, dans mon cas, cela fonctionnait à merveille. Je laissais libre cours à mon côté «prophète» en disant des vérités que d’autres avaient peur de dire haut et fort. Et, malgré l’obstacle que constituait ma volonté de démontrer ma justice personnelle, les gens percevaient mon authenticité et ma passion. Je parvenais à changer des vies.

Cependant, plus je discernais mon appel, plus j’étais convaincu que Dieu ne m’appelait pas à faire de la musique uniquement pour l’église. De toute façon, je n’avais jamais eu la culture chrétienne dans le sang. Je n’avais pas grandi dans ce milieu. Je ne le connaissais pas bien. Je ne m’y étais jamais senti tout à fait à l’aise. Je n’étais pas un gamin élevé à l’église qui voulait devenir chanteur de hip-hop parce qu’il trouvait ça cool; j’étais un gamin élevé dans le hip-hop qui faisait de la musique et était chrétien.

J’avais à cœur d’atteindre les personnes éloignées de Dieu. Même mes tentatives déplacées d’annoncer l’Evangile le montraient. Problème: ma musique ne pouvait jamais atteindre ces gens-là. En dehors des églises, je n’existais pas. J’étais invisible.

J’ai pris conscience que, même si des personnes extérieures aux églises tombaient sur ma musique, elles ne l’écouteraient pas. Elles ne comprendraient pas le langage théologique que j’y insérais pour plaire aux personnalités chrétiennes. Elles percevraient mes tentatives de démontrer ma justice personnelle et ma manie de me présenter comme un héros. Les messages incitant à être meilleur, à faire mieux ou à fournir plus d’efforts n’avaient aucune chance de les transformer. L’Evangile est par nature offensant pour ceux qui n’ont pas la foi. Je voulais que mes auditeurs soient incités à suivre Jésus par amour, non par culpabilité.

Aucune honte! - Confessions d’un rappeur

Aucune honte! - Confessions d’un rappeur

Ourania. 248 pages.

Grandissant dans des quartiers difficiles sans son père, le jeune Lecrae est tenté par les gangs, mais il se réfugie finalement dans la musique et, régulièrement, dans les possibilités de planer que lui offre l’herbe. Artiste de hip-hop doué, il peine néanmoins à trouver sa place dans la société. Après une «rencontre divine», il lui arrive de retomber dans ses travers, ou de tomber dans d’autres. Comment concilier sa foi et sa musique? Va-t-il rester bien au chaud dans les milieux chrétiens ou chercher à faire passer ses nouvelles valeurs dans un monde du rap souvent marqué par la violence et la misogynie, au risque de se retrouver à nouveau en marge? Va-t-il parvenir à s’exprimer sans aucune honte partout?

Thèmes:

  • la vie dans les quartiers difficiles
  • l’absence du père
  • le besoin d’être accepté
  • la musique et la foi
  • l’intransigeance d’une certaine foi
  • la vision biblique du monde
  • l’abus sexuel
  • la critique
  • la désintoxication
  • la communauté noire
  • les illusions sur la foi
Ourania. 248 pages.

En plus de l’appel que je discernais à m’adresser aux gens dans les églises et en dehors, tout ce que j’apprenais me poussait à vouloir influencer la société au sens large. J’avais lu l’histoire des chrétiens qui avaient fondé les premiers hôpitaux. Ils avaient vu un besoin, ils y avaient répondu. En créant quelque chose de nouveau, ils avaient redéfini la manière dont l’être humain pensait la santé. Comment cette manière de penser pouvait-elle influencer mon art?

Pendant des années, j’avais vécu dans des communautés qui sombraient dans les problèmes sociaux et dans le péché: absence des pères, sexisme, racisme, pauvreté, violence. Elles étaient remplies de personnes qui ne savaient pas comment gérer leurs émotions, ne comprenaient pas la notion d’oppression systémique et n’avaient jamais appris les principes de base de l’économie et de la gestion financière. J’aimais les voyages missionnaires. J’aimais être un mentor pour les jeunes et faire du bricolage chez les vieilles dames. J’aimais répondre aux besoins des quartiers défavorisés. Mais ma musique – l’un des meilleurs moyens d’exercer un impact sur la culture – n’entrait jamais en contact avec le monde extérieur aux églises. C’était comme si je m’éreintais à nettoyer des taches d’huile sur le sol alors que j’aurais mieux fait de grimper sur le camion-citerne et de fermer le réservoir. La musique m’offrait la possibilité d’aller «en amont» de la culture et de façonner la société à l’aide d’une production artistique porteuse de messages.

Or, la majeure partie de ma musique ne contribuait absolument pas à résoudre les problèmes que je pouvais observer. Au mieux, elle essayait de pousser les chrétiens à mener une vie correcte. Par la grâce de Dieu, certaines personnes venaient à la foi en l’écoutant. Cependant, il n’y avait rien en elle qui les encourage à mettre leur foi en pratique face aux grands problèmes de ce monde. Je m’étais concentré sur la modification du comportement et j’avais totalement ignoré la transformation de la vision du monde. Voilà donc ce que j’étais: un musicien placé au beau milieu d’une société urbaine en plein chaos, mais incapable d’employer les dons divins pour résoudre les problèmes autour de lui.

J’ai prié pour savoir ce que Dieu attendait de moi, et j’ai senti qu’il ne voulait pas seulement me transformer, moi; il voulait également me faire changer d’endroit.

J’ai pensé à Philadelphie, Los Angeles et New York, mais quelque chose m’attirait vers Atlanta. Le hip-hop a des sonorités bien particulières en fonction des villes, des sonorités qu’une oreille non avertie est incapable de reconnaître. Ma musique a toujours eu des sonorités du Sud; Atlanta semblait donc parfaitement convenir. De plus, je voulais aller dans un endroit où la société était en pleine transformation. Dans le domaine du hip-hop, peu de villes étaient aussi influentes qu’Atlanta.

¦ Je m’étais concentré sur la modification du comportement et j’avais totalement ignoré la transformation de la vision du monde. ¦

Le problème du hip-hop populaire, c’est qu’il célèbre souvent les pires aspects de l’humanité. Il peut présenter sous des traits positifs le meurtre ou la violence. Il peut faire la promotion d’attitudes misogynes et réduire la femme à un objet. Il peut dévaloriser l’éducation, vanter une sexualité sans frein et élever la richesse au rang d’idole. Il est difficile de véritablement blâmer les artistes concernés: beaucoup évoquent dans leurs chansons la seule réalité qu’ils connaissent et cherchent à créer un produit que le public est prêt à consommer. Cependant, je me suis laissé aller à rêver d’un nouveau style d’artistes hip-hop, évoluant dans la même sphère, créant de la musique similaire mais avec des valeurs différentes. Cela n’a été qu’une question de mois avant que Darragh et moi empaquetions nos affaires et nous préparions à déménager.

Déménager ne signifiait pas que ma musique serait automatiquement transformée. J’avais besoin de libérer mon côté créatif, de ne pas uniquement annoncer l’Evangile mais de proposer une nouvelle image du monde: un monde imprégné de la bonne nouvelle et accessible à tous.

A mes rêves s’est bientôt mêlée la peur. Des voix dans ma tête ont commencé à me tourmenter. A me dire que ce n’était pas ma vocation. A me dire que mes fans chrétiens ne comprendraient pas, qu’ils m’abandonneraient. Et, lorsque je leur résistais, elles s’adressaient à mon sentiment d’insécurité et à mon besoin permanent d’être accepté. Elles me disaient que les non-croyants ne m’écouteraient jamais. Qu’ils ne me reconnaîtraient jamais en tant qu’artiste. Que je n’étais pas assez bon pour plaire au grand public. Que, même si je l’étais, ma musique n’influencerait jamais la culture.

J’avais suffisamment confiance en Dieu pour combattre ces messages porteurs de doute et de désespoir. Mais lorsque les voix se sont tues, tout ce que j’ai entendu, c’était le silence. J’avais passé des années à produire un genre d’art différent. Je pouvais écrire même en dormant. Mais à présent, je ne savais pas quoi écrire. Je restais assis face à mes pages blanches. Je voulais me montrer vulnérable, mais la simple idée de m’exprimer ainsi me paralysait.

Pendant des mois, je suis resté coincé dans l’obscurité, les mains liées. Puis, un jour, j’ai décidé de m’asseoir et de simplement écrire. Juste écrire. Tout ce qui me passait par la tête. Tout ce que je ressentais. Tout ce contre quoi je luttais. Je ne parvenais pas à voir le chemin juste devant moi, mais j’ai pris la décision de commencer à marcher sans attendre. Et de la pénombre est née une nouvelle sorte d’album.

 

Dans Rehab, je confesse la fausseté de mes prétentions à la justice personnelle et déclare que je n’ai pas honte de Jésus. Pas honte non plus d’admettre mes faiblesses. Pas honte de reconnaître mes difficultés. Pas honte d’admettre que je chute constamment et que j’ai besoin d’aide.

 

La plupart de mes fans ont commencé à vraiment m’apprécier au moment de la sortie de l’album Rehab. Avec le recul, il avait encore quelques résidus de la sous-culture chrétienne et était parsemé de paroles chrétiennes. Il a sa place au sein de la musique chrétienne contemporaine. Il a également une certaine sensibilité pop qui le rend accessible à tous. Sans être totalement en phase avec ma nouvelle vision du monde, il représente un énorme pas en avant dans le domaine de l’authenticité. Enfin, j’étais à l’aise avec l’idée de me montrer faible et imparfait dans mes chansons. J’y pense comme à une sorte de pont entre ce que j’étais et ce que je suis maintenant.

Le problème avec les ponts, c’est qu’on peut y marcher dans les deux sens. Les critiques non chrétiens ne comprenaient pas mon album parce qu’il était trop «chrétien» pour eux. Et beaucoup de mes fans chrétiens ne me comprenaient plus parce qu’il n’était pas moralisateur. Ils étaient habitués à me voir jouer le rôle du «pasteur rappeur». «Killa» ne mentionne jamais directement Dieu ou Jésus, pas plus que «Background». J’ai donc perdu quelques fans après la sortie de l’album.

 

Mais j’étais confiant: j’étais certain d’évoluer de la manière dont Dieu voulait me voir évoluer. Et j’étais également certain que ce n’était qu’un début.


Cet article est un extrait de « Aucune honte ! – Confessions d’un rappeur par Lecrae« 

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