1 – Le concept de « biopolitique »
Au milieu des années 1970, le philosophe français Michel Foucault (1926-1984) lance les concepts de « biopouvoir » et « biopolitique ». La politique est l’exercice du pouvoir sur les êtres humains considérés comme des sujets, c’est-à-dire :
- sur un plan politique, assujettis à un souverain, et
- sur un plan philosophique, pris dans la totalité de leur être.
La « biopolitique », elle, les considère d’abord en tant qu’êtres vivants. Elle se préoccupe donc de la vie (« bio » en grec), et des corps.
Voici la définition qu’en donne Foucault, dans son cours « Sécurité, territoire, population » : « Le biopouvoir c’est l’ensemble des mécanismes par lesquels ce qui, dans l’espèce humaine, constitue ses traits biologiques fondamentaux va pouvoir entrer à l’intérieur d’une stratégie générale de pouvoir, autrement dit comment la société, les sociétés occidentales modernes ont repris en compte le fait biologique fondamental que l’être humain constitue une espèce. »
L’objet du « biopolitique » n’est plus le « peuple », mais la « population », soit : une masse biologique anonyme, que l’on peut évaluer en termes de « quantité », par un recensement ou bien des statistiques, et de « qualité » : son état de santé. Le « biopolitique » consiste, par exemple, pour l’État, à se donner les droit suivants :
- modifier les taux de natalité
- enrayer les endémies (dans une région déterminée) ou les pandémies (sur une large zone géographique, internationale)
- réduire les infirmités ou invalidités (comme l’entreprit le régime nazi), etc.
Ces actions ont une visée commune : accroître la vitalité de la population, qui devient l’objet d’attention de l’État parce qu’elle est considérée comme une richesse, à faire fructifier.
2 – Actualisation du concept
Dès que la pandémie du coronavirus a commencé à frapper l’Europe, et que les États ont commencé à tenir un discours et à prendre des mesures relevant du biopolitique, le philosophe italien Giorgio Agamben (né en 1942) a réagi vivement par un écrit, publié sur un forum en ligne. Il a qualifié de « frénétiques, irrationnelles et non fondées » les mesures prises par les autorités pour contenir la contagion.
Pour lui, la vague de peur généralisée qui s’est propagée est caractéristique des sociétés contemporaines et elle a servi à normaliser un état d’exception. Concrètement, la peur d’être contaminé a permis à l’État de suspendre des libertés fondamentales, au nom de la seule vie biologique : ne plus pouvoir circuler, ou bien se rassembler.
Agamben a condamné la volonté d’obtenir la sécurité biologique au prix de la liberté des sujets. Je le cite : « Nous vivons dans une société qui a sacrifié a sacrifié la liberté au soit-disant « raisons de sécurité » et qui en conséquence s’est condamnée à vivre dans un état permanent de peur et d’insécurité. »
D’aucuns ont trouvé que le philosophe italien allait trop loin dans sa contestation, mais il pose tout de même bien le problème des limites du biopolitique.
3 – Dans la perspective biblique
Le biopolitique repose sur le présupposé suivant : tout, dans la condition humaine, ne doit plus dépendre que des hommes, des structures politiques. N’a-t-on pas là un signe de la volonté d’une prise de pouvoir excessif de l’humain ? Loin de moi la volonté de nier qu’un État ne doive prendre des mesures responsables en faveur des citoyens, dans des situations de crise.
Ce qui peut être dénoncé, c’est ce que les Grecs nommaient « l’hubris », soit : la tentation, pour les êtres humains, de dépasser les limites imparties à leur condition, et de rivaliser avec les dieux. Cette notion d’« hubris » fait d’ailleurs écho au « péché originel » dans le christianisme. Il est écrit dans la Genèse 3, verset 4 : « Le serpent dit à la femme : (…) vous serez comme des dieux. »
Au fond, par la biopolitique, l’État ne cherche-t-il pas à se mettre à la place de Dieu ? Dieu, révélé comme un Père par le Christ : « Votre Père céleste fait luire son soleil sur les méchants aussi bien que sur les bons. » (Matt. 5 :45) Mais si Dieu est Amour, de par son essence même, nous savons bien que les motivations des hommes sont rarement pures, en particulier, hélas, dans le domaine de la politique.
Je terminerai avec cette parole de sagesse du Christ, concernant la politique : « Rendez à César ce qui revient à César et à Dieu ce qui revient à Dieu. » (Matt. 22:21)