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Il y a quelques semaines a eu lieu un échange d'idées dans Le Figaro entre le très médiatique Michel Onfray et le philosophe de tradition catholique François-Xavier Bellamy sur la question « Vivons-nous la fin de notre civilisation ? ». S'il est maintenant inutile de présenter Michel Onfray, Bellamy est probablement plus inconnu du public évangélique. Bellamy entretient un site tout à fait intéressant avec un accent apologétique assez évident, et anime les « Soirées de la Philo ». Il demeure aussi à la pointe des discussions sociales contemporaines, commentant les décisions économiques, les affaires politiques, les enjeux sociaux, ou encore les plus récents mouvements philosophiques et culturels comme le transhumanisme. 

La nature apologétique implicite de nombreux articles de Bellamy font de l'échange qui a eu lieu par Figaro interposé un dialogue assez improbable. En effet Michel Onfray, qui en raison de ses expressions acides est devenu une cible facile pour les théologiens, n'a jamais caché son désintérêt, voire même sa détestation de la foi chrétienne et de ceux qui s'en réclament. Ayant très longtemps considéré Onfray comme seulement un exemple d'anti-christianisme primaire, je découvre en même temps que ses cours donnés à l'université populaire de Caen – cours beaucoup plus intéressants que ses livres – un philosophe qui a cependant une réflexion sociale et politique qui retient l’attention et qui met les chrétiens au défi de proposer une espérance autre que celle de l'athéisme.

Quelle civilisation ?

La première chose qui surprend, c'est un certain écho entre les deux philosophes. Pour ce qui est de la décadence de la société occidentale et en particulier française, Bellamy et Onfray se rejoignent. Par exemple tous deux sont d'accord pour dire que l'éducation est l'un des principaux domaines dans lesquels la dévaluation culturelle se manifeste (voir ici un autre article de Bellamy). En cela je serais assez d'accord avec eux, mais je noterais pour tous les professeurs qui liraient cet article, que la « faute » n'est pas nécessairement celle de l'éducation enseignement. Une succession de présupposés philosophiques et religieux conduisent souvent à une perte de sens critique, que d'ailleurs je ne peux m'empêcher de voir dans certain propos d'Onfray lui-même ! 

Mais plus que la remise en cause d'une société ou d'une éducation, ce qu'Onfray et Bellamy soulignent, c'est le naufrage annoncé de toute une civilisation. « Je partage avec vous, dit François-Xavier Bellamy, l’impression de voir une civilisation s’effondrer, et le sentiment que personne n’en a encore pris la mesure. » Je ne discuterai pas ici ni de cette question, ni de savoir s'il faut regretter ce naufrage. Par contre je note que tous les deux identifient comme l'une de ses causes la contrainte exercée contre la liberté de penser, de réfléchir de manière critique, d'être humain, en quelque sorte. Finalement notre foi devrait nous encourager à identifier dans notre société tout ce qui fait obstacle à une présentation de l'Évangile et à un exercice de la liberté chrétienne. Que ce soient des obstacles spirituels, culturels, ou ici sociaux. Ce discernement quasi prophétique est une partie importante de l'art apologétique.

Retrouver l'émerveillement

Une phrase de Michel Onfray me touche particulièrement : « Nous avons perdu l’émerveillement. De Virgile jusqu’à la naissance du moteur, il nous habitait. Mais depuis, nous avons changé de civilisation : de leur naissance à leur mort, certains individus n’auront vécu que dans le béton, le bitume, le gaz carbonique. » Et Bellamy d'ajouter : « Il faut aller plus loin encore : l’homme n’est plus en contact avec la nature qui l’environne. » Dans on dernier ouvrage, Cosmos, Onfray note très justement que nous avons oublié la beauté du monde, et perdu de vue l'importance de nous émerveiller de cette beauté. 

Je ne peux ici que lui faire écho, mais nous pouvons aller plus loin. Car enfin, pourquoi devoir s'émerveiller du beau si nous sommes athées ? La beauté n'est qu'une possibilité, mais sans plus de supériorité que toute autre chose. Beauté, laideur, ce n'est qu'une affaire d'opinion ! Celui qui croit en la création d'un monde par la main d'un Dieu-artiste a par contre une exigence d'émerveillement. Il peut trouver dans le monde la plus petite trace de beauté créée. Le chrétien peut prendre pleinement plaisir en des choses ordinaires, contrairement à ce qu'Onfray a pu affirmer, par exemple dans Le christianisme hédoniste

Comme ne cessait de le répéter l'écrivain et théologien G. K. Chesterton, la capacité à s'émerveiller des petites choses est une caractéristique de la vie chrétienne. La foi même va au-delà puisqu'elle permet, même dans un monde de douleur qui n'est pas tel qu'il devrait être, de se nourrir de l'émerveillement : le bien et la beauté peuvent être rencontrés au détour d'une ruelle, dans le regard d'une personne abandonnée par notre société en dérive, dans les décombres d'un quartier démoli – signes d'une espérance qui n'est pas morte. 

L'espérance au cœur du débat

Et c'est d'ailleurs là que la différence entre nos deux philosophes devient la plus claire. L'espérance. À la question « Que dire à un jeune de vingt ans ? », Michel Onfray répond de manière caractéristique à son nihilisme : « Le bateau coule, restez élégant. Mourez debout. » Par contraste, François-Xavier Bellamy rétorque avec un flamboyant : « L’Histoire n’est jamais écrite d’avance : le propre de la liberté humaine, c’est de rendre possible ce qui, en apparence, ne l’était pas. » Réponse cryptique du philosophe chrétien. Et cependant affirmation tellement pétrie d'espérance face à l'athéisme matérialiste désespéré mais tellement cohérent d'un Michel Onfray !

George Bernanos disait : « L’optimiste est un imbécile heureux. Le pessimiste est un imbécile malheureux. » Le chrétien n'est ni l’un, ni l'autre. Par son émerveillement, il nourrit son espérance : le monde, la société qui est la nôtre – même en dérive, même en déclin – sera transformée. Dans l'attente du renouvellement de toutes choses, nous demeurons les ambassadeurs de la réconciliation. Telle est l'espérance dont nous pouvons témoigner avec nos contemporains, serait-ce même Michel Onfray !

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