L’automne approche. Déjà. Surtout dans les circonstances sanitaires actuelles, beaucoup d’entre nous se demandent ce qui va se passer dans les prochains mois. Bien sûr, personne ne le sait, et les chrétiens voient arriver, peut-être avec une certaine inquiétude, la rentrée prochaine. À ce stade, il y a plus de questions que de réponses. Parmi les questions qui demeurent sans réponses se trouve celle du rassemblement communautaire. Les Églises devront-elles continuer à se rassembler avec les restrictions actuelles ? Seront-elles allégées ? Comment continuerons-nous à prendre soin des personnes les plus fragiles et isolées si de nouvelles restrictions sont annoncées ?
Pendant mes deux semaines de vacances une Église a annoncé la réouverture de ses rassemblement communautaires. Il s’agit de Grace Community Church GCC), dont le pasteur est le théologien John McArthur. Cette Église est située dans le comté de Los Angeles, Californie, où de sévères restrictions sont en place : fermeture des lieux de rassemblements clos, hors services essentiels comme les pharmacies et les supermarchés. Parmi les lieux fermés sont comptés tous les édifices religieux.
Dans une longue lettre expliquant la décision, les responsables de l’ Église ont estimé que l’état de Californie avait outrepassé son droit à limiter la vie de l’Église puisque cette dernière n’est pas soumise à César, mais à Christ. Dans les mots mêmes de GCC :
« Lorsqu’un quelconque responsable civil émet des ordres réglementant le culte (tels que l’interdiction de chanter, le plafonnement de la participation ou l’interdiction des rassemblements et des cultes), il dépasse les limites légitimes de l’autorité donnée par Dieu aux responsables civils, et s’arroge une autorité que Dieu n’accorde expressément qu’au Seigneur Jésus-Christ qui est souverain sur son royaume, l’Église. »1
Le communiqué de GCC va même plus loin en faisant référence de manière explicite à cette situation exceptionnelle que nous vivons comme témoignant même de notre allégeance à Christ. À un certain stade, souligne la lettre, l’Eglise ne peut plus accepter les impositions de l’état et doit avoir le courage de la désobéissance civile, en vue de l’obéissance divine. Pour GCC, l’heure est venue de dire : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’à des humains. » (Ac 5.29). En disant cela, GCC fait de la désobéissance à l’interdiction de se rassembler dans les bâtiments de l’Eglise un signe de fidélité à Christ.
Deux réactions
C’est cette affirmation sans compromis qui vaut à GCC de nombreuses critiques. J’avoue qu’à titre personnel, je pense que de nombreux passages du communiqué auraient au minimum pu être adoucis pour ne pas être accusé d’intransigeance et de légalisme. Parmi les réactions que j’ai lues, deux en particulier sont intéressantes pour nous, mais pas premièrement à cause de leur évaluation de la décision de GCC. Ce qui est intéressant, c’est la manière dont ces deux réactions sont formulées.
La première est celle du Davenant Institute. Dans un long article (NDLR : Une traduction en français est disponible ici), son président, Brad Littlejohn, analyse en détail la lettre de GCC. C’est probablement l’examen le plus détaillé que j’ai trouvé à ce jour. Cela ne signifie pas pour autant que c’est l’examen le plus intéressant, bien que sur la plupart des points théologiques abordés, je sois assez d’accord avec Littlejohn.
Le ton est ferme, le désaccord aussi, ce qui ne doit pas nous poser problème. Si nous ne pouvons pas vivre, dire, et écrire nos désaccord, nous ne pourrons pas manifester l’unité de la foi !
Mais comme je le disais, ce qui m’intéresse, c’est plutôt la manière dont le tout est proposé. C’est là que l’article de Littljohn est insatisfaisant, et sur certains aspects, dommageable. Une grande partie de l’article prend soin d’équilibrer la charité chrétienne et le désaccord théologique. Clairement Littlejohn pense que la décision de GCC est une erreur et « constitue une rupture avec des siècles d’enseignement protestant magistériel »2. Le ton est ferme, le désaccord aussi, ce qui ne doit pas nous poser problème. Si nous ne pouvons pas vivre, dire, et écrire nos désaccord, nous ne pourrons pas manifester l’unité de la foi !
Le problème vient en fin d’article et comme souvent, c’est la conclusion qui vient défaire le reste de la présentation. Quittant le domaine de la sagesse et de la charité, il écrit : « En insistant de manière irréfléchie sur le fait que nous avons le devoir d’affirmer notre liberté, nous ne sommes pas prophètes de la liberté, mais de nouveaux pharisiens, qui ajoutent de nouveaux fardeaux au-delà de ce que l’Écriture exige. »3 Quel que soit le désaccord avec la décision de GCC, qualifier cette dernière de pharisaïque est à mon sens inacceptable. Cette expression serait légitime si : (i) GCC exigeait que les autres ouvrent leurs portes, tout en faisant l’inverse, ou (ii) Le rassemblement communautaire n’était qu’une simple tradition humaine. Car c’est sur ce deuxième point que l’argument de Jésus contre les pharisiens se cristallisait. Ils ajoutaient à la loi des traditions humaines auxquelles ils attachaient une autorité divine.
Le rassemblement communautaire fait-il partie de ces « traditions humaines » qui seraient indifférentes et ne devraient pas être « imposées » ? Bien que je croie (comme Littlejohn) qu’il y ait des cas exceptionnels légitimant l’interruption du culte, le rassemblement communautaire est une exhortation biblique. Il fait partie de la vie chrétienne ordinaire. Il n’y a rien de pharisaïque à affirmer que nous devons nous rassembler de manière visible en tant que Corps de Christ.
Il est regrettable que la conclusion de Littlejohn manque autant de charité chrétienne. Il contredit en cela une grande partie de ce qu’il venait d’écrire. Tout le monde n’est pas forcément un grand fan de John McArthur, mais la douceur et la magnanimité sont toutes aussi nécessaires que la maîtrise théologique et historique. Je suis cependant d’accord avec Littlejohn : il y a une question intense de liberté chrétienne dans l’attitude de GCC. Et dans celle du Davenant Institue.
Amour, sagesse, et liberté
Que dire alors ? Et surtout, comment ? Éviter les adjectifs tels que « légaliste » et « pharisien » est un premier pas. Avoir comme objectif la vérité dans l’amour, en est un deuxième. C’est ce que je trouve dans une deuxième réaction à la lettre de GCC, celle de 9Marks qui pourtant conclut aussi que « la désobéissance civile n’est peut-être pas la seule ligne de conduite légitime ou morale en ce moment »4. Cependant, le fort désaccord qui transparaît de cet article de Leeman est accompagné d’un témoignage de compréhension, de fraternité, et de charité. Non, il ne pense pas que c’était la bonne décision. Oui, il pense que la décision est légitime. Non, il ne pense pas que la désobéissance civile est la seule attitude. Oui, il pense que nous devons respecter la décision de GCC. En toutes choses : sagesse et amour doivent encadrer la liberté chrétienne, la guider, l’éclairer, et la nourrir.
La profondeur théologique n’est pas le seul (ni le premier) moyen d’exprimer notre désaccord, même sur des sujets sensibles.
La profondeur théologique n’est pas le seul (ni le premier) moyen d’exprimer notre désaccord, même sur des sujets sensibles. Il est tout aussi important de l’équilibrer au vue des autres vertus de la vie chrétienne. C’est cela notre objectif dans ces temps délicats et incertains : l’amour, la sagesse, la liberté. Dans un temps d’anxiété et de mots violents, où chacun accuse l’autre d’aveuglement ou de lâcheté, les disciples de Jésus-Christ doivent représenter un autre modèle. Reconnaissons que nous avons tous du mal à répondre à cet appel. Reconnaissons nos fautes, notre manque de sagesse et d’amour. Demandons à Dieu de poursuivre son œuvre vivifiante à travers l’action de son Esprit, et que nous soyons transformés à l’image de Christ. Demandons qu’il nous donne sa sagesse, son amour, sa patience, et sa compassion.
Je terminerai avec les derniers mots de Leeman : « Allez dans la paix, la charité et la grâce. Le royaume de Dieu est plus grand que n’importe lequel de nos rassemblements. »5
1Grace Community Church, « Christ, Not Caesar, Is the Head of the Church », en ligne, https://www.gracechurch.org/news/posts/1988.
2Brad Littlejohn, « Christ and Caesar: A Response to John MacArthur », 5 août 2020, http://davenantinstitute.org.
3Brad Littlejohn, « Christ and Caesar: A Response to John MacArthur », 5 août 2020, http://davenantinstitute.org.
4Jonathan Leeman, « A Time for Civil Disobedience? A Response to Grace Community Church’s Elders », 25 juillet 2020, http://www.9marks.org.
5Jonathan Leeman, « A Time for Civil Disobedience? A Response to Grace Community Church’s Elders », 25 juillet 2020, http://www.9marks.org.