« Difficiles mais magnifiques doctrines » est une série d’articles au format plus long qui invitent les lecteurs à porter leur attention sur la gloire et la nécessité des vérités théologiques que les personnes appartenant à un Occident post-chrétien ont plus de mal à accepter.
Cet article renvoie vers d’autres articles en anglais, nous les avons laissés pour nos lecteurs anglophones.
« Des requins nagent dans une piscine » se souvient Carlos Eire, historien. « Des requins, en grand nombre, qui pullulent dans ce bassin. Ils sont à la recherche de sang et de liberté, ils tournent en rond furieusement. Ils n’ont rien de calme… Savent-ils qu’il (mon demi-frère) est là, les observant, si proche du plongeoir ? »
Carlos Eire n’a pas toujours eu envie de pousser son demi-frère Ernesto dans un bassin rempli de prédateurs affamés. Mais aujourd’hui, à l’âge de neuf ans, lors de ce qui devait être une visite innocente à l’aquarium de la Havane, la colère monte en lui.
Par le passé, Ernesto avait piégé le jeune Carlos et tenté de l’agresser sexuellement à maintes reprises.
« Je me suis défendu, plusieurs fois.
Il n’a jamais cessé d’essayer.
Jusqu’à ce que je sois assez grand pour le repousser avec force. »
À l’aquarium, Eire n’est pas seulement attiré par les couleurs vives des poissons tropicaux, il a aussi le sentiment que le plongeoir et le bassin rempli de requins lui crient : « Homicide justifiable. »
Eire a été blessé et il veut se venger. C’est un désir compréhensible pour quelqu’un qui a été maltraité, mais que devons-nous en penser ? La vengeance est-elle l’un de nos pires instincts ? Pourrait-il être l’un des plus beaux ? Se pourrait-il que les personnes qui souffrent et celles qui les aident soient censées trouver du réconfort dans la vengeance ?
La colère gronde sous l’eau
Lorsqu’une personne a été maltraitée, il lui est souvent difficile d’en parler. Elle redoute la réaction de son agresseur. Elle a peur de ne pas être crue. Pourtant, si la situation d’Eire est un sentiment commun à toute l’humanité, la colère gronde aussi en nous.
Lorsque la famille et les amis d’une victime apprennent l’abus et l’outrage dont elle a souffert, ils aspirent au châtiment. Dans ces moments de colère, ils veulent répondre à la violence de l’agresseur, tout en ayant parfois des sentiments contradictoires. « Je sais que c’est mal, mais je vais le faire souffrir. »
C’est une réaction normale dans une culture où le châtiment reçoit un accueil mitigé. Lorsque quelque chose de mal arrive à une personnalité publique détestée, les gens n’hésitent pas à parler de karma. Mais si un ecclésiastique voit dans une catastrophe naturelle ou une pandémie le jugement de Dieu, ils sont scandalisés et disent qu’il est déconnecté de la réalité. Quand un personnage comme Killmonger dans le film Black Panther veut punir les oppresseurs impérialistes, c’est un méchant. Mais quand John Wick veut se venger, c’est un héros.
Lorsque nous nous tournons vers les Écritures, nos émotions et nos pensées conflictuelles ne se résolvent pas immédiatement. La loi de Dieu prescrit « Œil pour œil, dent pour dent. » (Deutéronome 9.21). Jésus, lui, dit : « Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. » (Matthieu 5.39).
La vengeance est-elle l’un de nos pires instincts humains ? Pourrait-elle être l’un des plus beaux ?
La vision de la justice dans les Écritures
Comment analyser cela ? Les experts politiques d’aujourd’hui peuvent opposer à la justice sociale « la loi et l’ordre ». Cependant, l’une des beautés de la justice biblique est que la rétribution et la restauration sont indissociables. Le Seigneur garde « son amour jusqu’à 1 000 générations, il pardonne la faute, la révolte et le péché », mais en même temps il « ne traite pas le coupable en innocent » (Exode 34.27). La loi utilise ensuite le même mot hébreu go’el, pour désigner à la fois « le vengeur de sang » envoyé pour appliquer la peine capitale en cas de meurtre (Nombres 35.19) et le « rédempteur de la famille » chargé de restituer la terre et l’héritage d’un débiteur ou d’une veuve (Lévitique 25.25-28, Ruth 4.3-6).
Devant le tribunal de Dieu, les justes, qui sont aussi défavorisés, seront comme les vallées qu’Ésaïe décrit « comblées » et les méchants, qui sont hautains et oppressifs, seront comme les montagnes et les collines, c’est-à-dire « abaissées » (Ésaïe 40.4). Pour que justice soit faite, il faut à la fois l’œuvre d’élévation de la restauration et l’œuvre d’abaissement de la vengeance. Nous ne devons pas les opposer l’une à l’autre.
La miséricorde, une motivation étonnante
Le Nouveau Testament, va, d’une manière assez logique, plus loin. Paul montre comment notre soif de vengeance peut nous inciter à faire preuve de miséricorde plutôt que de représailles. Vers la fin de Romains 12, l’apôtre reprend le commandement de Jésus de tendre l’autre joue. Qu’est-ce qui motive une telle retenue ? La réponse pourrait vous surprendre.
Ne rendez à personne le mal pour le mal. Recherchez ce qui est bien devant tous les hommes. Si cela est possible, dans la mesure où cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes. Ne vous vengez pas vous-mêmes, bien-aimés, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : « C’est à moi qu’appartient la vengeance, c’est moi qui donnerai à chacun ce qu’il mérite » dit le Seigneur. Au contraire :
« Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire, car en agissant ainsi, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête. »
Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. (Romains 12.17-21)
Selon Paul, ce qui motive la maîtrise de soi et même la bonté envers les ennemis, c’est la confiance dans la vengeance de Dieu. La conviction que, parce que Dieu est juste, les méchants finiront par subir le châtiment qui leur est réservé. Avec la miséricorde, nous supportons l’injustice aujourd’hui parce que Dieu ne laissera pas le mal impuni.
Paul nous dit que nous pouvons renoncer à notre vengeance grâce à ce que Dieu accomplit par son œuvre de rétribution. Dieu inflige parfois des sanctions et un châtiment dans cette vie. Il nous promet également que toute méchanceté sera finalement punie, soit en enfer (Matthieu 13.41-42,50) soit à la croix (1 Jean 2.1-2). Par sa vengeance, Dieu obtiendra une meilleure justice que notre colère humaine ne saurait le faire. (Jacques 1.20).
De belles prières pour apaiser la soif de vengeance
Cette confiance en la capacité de Dieu à punir nos ennemis est à l’origine des prières imprécatoires d’une cruauté troublante qui parsèment le livre des Psaumes (voir Psaumes 11, 37, 58, 69, 109, 137). L’horreur peut nous envahir la première fois que nous lisons : « Toi, ville de Babylone…Heureux celui qui prendra tes enfants pour les écraser contre un rocher ! » (Psaumes 137.8-9). Toutefois, il s’agit seulement du cri de douleur d’une nation qui a vu ses propres enfants subir le même sort. Les chrétiens qui souffrent d’un deuil peuvent prier de la même manière aujourd’hui. Un livre de prières le montre d’une manière magnifique :
Ô Seigneur, tu sais que si le monde ne peut détruire ton nom ou ton royaume, il y a ceux qui travaillent jour et nuit armés de ruses, tromperies et beaucoup de conspirations étranges pour y arriver. Ils encouragent et soutiennent toutes les mauvaises intentions envers ton nom, ta parole, ton royaume et tes enfants, menaçant de les détruire. Empêche ceux qui cherchent à nous nuire d’y parvenir, et retourne leurs ruses et techniques contre eux, ainsi que nous le chantons : « Il ouvre une fosse, il la creuse, mais il tombe dans le trou qu’il a fait. Sa misère retombe sur sa tête, et sa violence descend sur son front. » (Psaumes 7.16-17)
Lorsque nous nous inquiétons pour les personnes victimes d’abus et de préjudices et que nous ouvrons le livre des Psaumes, nous invitons la personne blessée à implorer Dieu pour qu’il lui accorde une compensation.
Lorsque vous êtes meurtri et que vous faites une telle prière, vous mettez votre soif de vengeance entre les mains de Dieu au lieu vous en occuper vous-même. À ce moment-là, vous faites appel à la justice divine dans la prière, tout comme vous pouvez faire appel à ses instruments de justice sur terre.
Les appels fidèles à l’épée
Avant sa mort, Chuck Colson a écrit sur la peine capitale. Dans son essai, il présente d’abord un argumentaire convaincant contre la peine de mort. « En tant qu’avocat, j’ai observé à quel point le système est défectueux…et j’en ai conclu…qu’il valait mieux une centaine de coupables en liberté plutôt qu’un innocent exécuté. » Colson était également convaincu que la peine capitale ne fonctionnait pas d’une manière pragmatique : elle n’empêche pas les crimes violents. Pourtant, Colon a fini par être favorable à la peine capitale, pour les crimes barbares, du moins en principe. Pourquoi a-t-il changé d’avis ? La nécessité biblique de la vengeance. « Il ne peut y avoir de miséricorde, écrit-il, là où la justice n’est pas respectée. »
Que vous soyez d’accord ou non avec les conclusions de Colson sur la peine capitale, vous savez sans doute qu’il est important pour les victimes d’un préjudice d’avoir un endroit où elles peuvent faire appel à la justice. C’est précisément pour cette raison que les autorités gouvernementales existent. Comme le dit clairement Paul : « On n’a pas à craindre les magistrats quand on fait le bien…si tu fais le mal, sois dans la crainte. En effet, ce n’est pas pour rien qu’ils portent l’épée. » (Romains 13.3-4)
Faire appel au gouvernement n’est malheureusement pas toujours le premier réflexe des responsables d’Église lorsqu’ils constatent des preuves d’abus. C’est une chose de savoir que l’on est tenu de rédiger un rapport, mais lorsqu’un enfant en bas âge arrive à plusieurs reprises à l’école du dimanche avec de gros hématomes, ou qu’un préadolescent est retrouvé en train d’agresser son ami dans le sous-sol de l’église, le premier réflexe de nombreux responsables d’Église est de chercher des informations, de demander aux parents ce qu’il s’est passé à la maison. Cette réaction instinctive peut mettre un enfant en danger en alertant son agresseur. C’est aussi mal comprendre les responsabilités des leaders de l’église.
Les experts politiques d’aujourd’hui peuvent opposer la justice sociale à « la loi et l’ordre ». Cependant, l’une des beautés de la justice biblique est que la rétribution et la restauration sont indissociables.
Pourquoi ne pas demander de l’aide ?
Comme le fait remarquer le conseiller Brad Hambrick, bien que les chrétiens puissent être sceptiques quant aux intentions du gouvernement laïque de faire ce qui est juste, « l’autorité juridictionnelle d’un travailleur social ou d’un officier de police peut contribuer à promouvoir la sécurité d’une manière qu’un pasteur, qu’un diacre ou qu’un responsable d’un groupe de maison n’est pas capable de faire. » Nous devrions être reconnaissants de leur implication dans les cas d’abus et de négligence, même si cela va à l’encontre de nos instincts.
Dans de tels cas, les responsables d’Église pensent souvent en premier lieu aux instructions de la Bible concernant la discipline réparatrice de l’église (Matthieu 18.15-18) et au fait que le Christ a prévu le salut, même pour les pires pécheurs (1 Corinthiens 6.9-11). Nous pensons en termes de soins pastoraux et de bergers. Nous faisons de l’autocritique, ne voulant pas accuser à tort un frère ou une sœur, ou nous pensons aux retombées possibles lorsque la situation est rendue publique : les gens quitteront-ils l’église ? Se demanderont-ils s’il y a autre chose qui ne va pas ?
Nous avons même tendance à penser que si l’agresseur se repent rapidement et se réconcilie avec la victime, cette solution est plus « sainte » que la justice « laïque ». Mais les bergers et les pasteurs ne sont pas des inspecteurs ou des enquêteurs. Ce n’est pas la responsabilité du responsable d’Église d’étayer des soupçons, mais simplement de les signaler aux services de protection de l’enfance. Nos convictions bibliques sur la vengeance nous aident ici. La personne qui a autorité est « serviteur de Dieu pour ton bien » (Romains 13.4). Nous faisons confiance à Dieu pour défendre les innocents et punir les coupables. Nous pouvons également faire confiance à ses autorités pour qu’elles fassent leur travail d’enquête et (si nécessaire) de punition.
Le stress de l’attente
Dix-sept ans après son voyage à l’aquarium de La Havane, Carlos Eire fait des longueurs dans une piscine olympique du Minnesota. C’est sa pause-déjeuner, et il a le bassin pour lui tout seul.
« J’ai déjà fait une trentaine de longueurs quand soudain, une peur irrationnelle m’envahit. Je viens d’arriver à la partie la plus profonde. C’est aussi un bassin de plongée, et c’est vraiment très profond. Je regarde vers le fond, si loin de moi. C’est vert…Je vois des requins qui tournent. Je les sens qui remontent, derrière moi, à droite et à gauche. »
La crise de panique d’Eire est intense. « Je sens leurs mâchoires s’approcher. Je vois mon sang couler dans la piscine, se mélangeant au chlore. Je sens mon fémur sortir de ma jambe arrachée. Je sens la douleur. » D’où vient cette peur ? Pourquoi les requins que Carlos destinait à Ernesto s’en prennent-ils à lui ?
La soif de justice, les prières et même l’appel à la justice vengeresse sont bibliques et importants pour les personnes qui souffrent. Cependant, même lorsque vous faites confiance à Dieu, attendre sa justice dans ce monde brisé peut sembler décourageant et déroutant. Peut-être que justice ne sera pas rendue dans cette vie. Peut-être que la mauvaise personne sera punie. Peut-être que le désir et la recherche de justice vous consument et les requins dans votre esprit commencent à tourner en rond. Il peut y avoir un coût humain profond à ne pas faire appel aux pouvoirs que Dieu a établis.
Il a nagé avec les requins
La bonne nouvelle, c’est que nous disposons déjà d’une démonstration parfaite de la justice. Heureusement, Eire nous montre où la trouver.
« J’arrive au bout de la piscine, et je sors, tremblant comme une feuille. Je regarde l’eau. Bleu-vert. Calme. Pas un requin en vue…Quand est-ce que quelqu’un d’autre va arriver ? Ça ira mieux si quelqu’un d’autre est là pour attirer les requins. Cinq minutes plus tard, la porte des vestiaires s’ouvre, une personne s’approche et plonge. Merci Seigneur. Maintenant, les requins de mon esprit vont s’en prendre à lui. Je peux à présent avancer. »
Plus tôt dans l’épître de Paul aux Romains, avant qu’il ne parle de vaincre le mal par le bien ou que le gouvernement établi par Dieu porte l’épée, il évoquait le besoin universel de justice qu’éprouve l’humanité. Paul décrit comment tous les gens, Juifs et non-Juifs, sont soumis à la colère de Dieu à cause du péché. Puis il donne aux pécheurs et à ceux qui souffrent la meilleure nouvelle possible concernant la justice.
Par la grâce de Dieu, Jésus a payé le prix pour nous. Paul écrit que « C’est lui que Dieu a destiné à être par son sang une victoire expiatoire pour ceux qui croiraient. Il démontre ainsi sa justice…dans le temps présent de manière à être juste tout en déclarant juste celui qui a la foi en Jésus. » (Romains 3.25-26).
Pour les personnes blessées voulant se venger et pour les responsables d’églises qui les aident, Jésus est l’autre homme dans la piscine. Notre soif de vengeance est donnée par Dieu, mais nous pouvons nous défaire de nos rancunes dans la prière, faire appel aux autorités établies par Dieu pour la justice terrestre, et refuser de nous venger. Nous pouvons à la fois trouver du réconfort et laisser la vengeance entre les mains de Dieu, car Dieu a démontré sa parfaite justice pour nous en Christ, à la croix. Remercions Dieu.
Par sa vengeance, Dieu obtiendra une meilleure justice que notre colère humaine ne saurait le faire.
Des actions sont menées en faveur de la prévention des abus
- en France : Stop Abus (CNEF)
- en Suisse : Ensemble contre les comportements transgressifs (SEA-RES)