Aujourd’hui, dans le monde chrétien, la notion d’unité est très en vogue et les initiatives œcuméniques ont le vent en poupe. Que faut-il en penser ? En particulier, quelles relations entretenir avec l’Église catholique ? Nous avons réfléchi, dans un précédent article, à l’évolution de l’Église catholique, en nous basant sur des conférences données par Leonardo de Chirico en Suisse romande, début novembre. Aux yeux du vice-président de l’Alliance évangélique italienne, spécialiste du catholicisme, l’Église catholique, depuis Vatican II, est désormais adepte d’un « catholicisme conciliant, captivant et accommodant ».
Les évangéliques : d’ennemis à « frères séparés »
Jusqu’à Vatican II, la question des relations avec l’Église catholique ne se posait pas vraiment, « puisque cette dernière considérait que nous étions « dehors »». Mais désormais, « l’Église catholique ne voit plus les évangéliques comme des ennemis, mais comme des « frères séparés » », remarque Leonardo de Chirico. « Elle veut souhaiter la bienvenue à tout le monde. Elle est amicale avec les chrétiens libéraux, orthodoxes, charismatiques et évangéliques, avec les musulmans, les bouddhistes et les hindouistes, avec les athées et les agnostiques ». Le discours et l’ouverture que semble prôner l’Église catholique, et tout particulièrement le pape François, séduisent les évangéliques. Leonardo de Chirico s’en désole : « Les évangéliques ont l’impression que les choses ont changé, mais ils se trompent. L’image que l’on voit a changé… mais pas pour le bien, ni selon l’Évangile. Le changement vient uniquement de cette intention, de la part de l’Église catholique, de vivre la catholicité et l’universalisme, toujours avec cette idée qu’elle doit être le sacrement de l’unité entre Dieu et le monde ».
Sommes-nous trop naïfs ?
Pour le dire autrement, Leonardo de Chirico considère que les évangéliques font preuve d’une trop grande naïveté, laquelle s’explique cependant assez bien dans le contexte actuel. « Beaucoup de chrétiens estiment que les principaux défis auxquels nous devons faire face sont l’islam et la sécularisation. Dans cette perspective, on ne voit plus très bien pourquoi il faudrait se battre contre l’œcuménisme, alors que l’islam et la sécularisation sont des ennemis bien plus dangereux ». Le fait est, donc, que les évangéliques, plutôt que de redouter l’œcuménisme, l’embrassent, faisant implicitement passer le message que la Réforme est terminée et que les catholiques ne sont plus si différents de nous.
Leonardo de Chirico fait bien comprendre que l’Église catholique a usé de beaucoup d’intelligence pour favoriser cet œcuménisme et atténuer la méfiance des évangéliques : les mouvements catholiques de renouveau, au 20e siècle, ont intégré de nouvelles formes, sans pour autant renoncer au fond. « Le renouveau liturgique a introduit des formes nouvelles de célébration, mais n’a aucunement modifié la doctrine sacramentelle de l’Église ; le renouveau biblique a autorisé les fidèles laïques à l’usage de la Bible, mais n’a pas modifié la doctrine de la prééminence de la tradition sur l’Écriture ni remis en question les doctrines non-bibliques du magistère ; le renouveau charismatique a ouvert la voie aux expériences charismatiques, mais il l’a assimilé en en faisant un instrument au service de l’Église catholique ».
Un autre sens aux mots
Signe de cette naïveté, notre difficulté à comprendre que certains mots ne veulent pas dire la même chose dans le langage évangélique et dans le langage catholique. « L’Église catholique parle de « justification », mais elle la définit comme un processus continu. Elle parle de la « croix », mais ce mot, dans le catholicisme, est davantage lié à l’activité permanente de l’Église qui, par les sacrements, aide le chrétien à porter sa croix pour être au bénéfice de la grâce de Dieu. Et quand un prêtre parle de « conversion », il ne l’entend pas dans le même sens que nous », avertit Leonardo de Chirico. « Certains évangéliques affirment que 80% du catéchisme de l’Église catholique est acceptable pour un évangélique, mais cela n’est vrai que si on le lit en donnant aux mots le sens que nous voulons leur donner ! »
L’évangélisme, une épine dans le flanc de l’Église catholique
Alors Leonardo de Chirico pose la question : « La stratégie des catholiques consiste à ouvrir la table aux évangéliques, aux libéraux, aux athées, à tout le monde, finalement ; mais va-t-on accepter d’être à cette table si le menu de l’Évangile n’est plus au centre ? ». De surcroît, il faut être conscient, selon le pasteur réformé baptiste, que dans la perspective du pape François, l’Évangile ne doit pas avancer par la proclamation, mais par l’attraction. « Ceux qui adhèrent à un message trop exclusif et qui prêchent l’Évangile en affirmant que l’on est sauvé par la foi seule et par la grâce seule commettent le « péché de prosélytisme » ». Or, pour Leonardo de Chirico, la foi évangélique doit demeurer un « oui » convaincu, exclusif et sans équivoque à la vérité de Dieu. Entre le catholicisme et l’Évangile, il n’y a pas que des différences de perspectives ou des nuances, mais une différence de fond ». Et d’ajouter ces propos peu « œcumenic friendly » : « L’évangélisme ne peut pas être une aile dans la catholicité, mais doit demeurer une épine dans le flanc de l’Église catholique, pour lui rappeler son besoin de se réformer ».
Des collaborations sont-elles possibles dans certains domaines ?
Est-ce à dire qu’aucune relation n’est envisageable avec les catholiques ? « Il peut y avoir des combats politiques ou éthiques menés en commun avec les catholiques », répond Leonardo de Chirico. « Mais ces formes de coopération nécessaire ne doivent pas être confondues avec des initiatives œcuméniques, ni être considérées comme l’expression d’un consensus doctrinal nouveau ». Nous avons assurément des préoccupations partagées avec les catholiques, comme d’ailleurs avec parfois des musulmans ou des Juifs, lorsqu’il s’agit par exemple de la définition du mariage et de la famille.
Cependant, même dans ces collaborations, le vice-président de l’alliance évangélique italienne invite les évangéliques à éviter deux écueils. D’une part, rejeter la volonté des catholiques de voir ces combats politiques ou éthiques comme étant une « mission commune ». Car dans la perspective catholique, le mot « mission » n’a pas le sens de l’annonce de l’Évangile aux nations, mais « il est devenu un moyen d’imprimer cette vision catholique de l’unité ». D’autre part, Leonardo de Chirico encourage à ne pas accepter d’œcuménisme spirituel, c’est-à-dire toute pratique où l’on se mettrait à prier, chanter ou rendre un culte ensemble. « Lorsque nous prions en public avec un représentant de l’Église catholique, nous montrons publiquement que nous avons reconnu non seulement la personne, mais aussi l’institution que cette personne représente ».
Faut-il « évangéliser » les catholiques ?
En plus de ces relations avec des catholiques dans le but de défendre des intérêts communs, des relations sont évidemment possibles, et souhaitables, sur le plan individuel, afin de rappeler le véritable sens de l’Évangile. Le concile de Vatican II a ouvert davantage la lecture de la Bible à tout un chacun. « Nous devons en tirer avantage, en encourageant les catholiques à lire la Bible », motive Leonardo de Chirico, « mais en nous souvenant que les catholiques lisent souvent la Bible avec toutes sortes de filtres et d’intermédiaires humains, avec aussi les lunettes de l’institution ou des sacrements ». Il s’agit non pas d’entamer la discussion autour de sujets controversés, mais de construire des ponts en essayant de comprendre réellement la Bible et de poser les bonnes questions. Par exemple : « Que dit ce texte du péché ? Du salut ? ». Enfin, Leonardo de Chirico insiste sur l’importance d’inviter un catholique dans nos églises : « Beaucoup de témoignages relèvent que ce qui les frappe le plus dans nos cultes, c’est le repas du Seigneur, célébré selon l’Évangile ».
L’Évangile. Voilà ce qui doit rester au centre dans toutes ces réflexions quant aux relations avec le catholicisme et les catholiques. « C’est l’Évangile qui définit l’unité, pas le contraire. Dans la Bible, l’unité est toujours liée à la vérité : si on détache l’unité de la vérité, on en fait un absolu. Et au lieu de la recevoir comme un don de Dieu, on en fait une idole ».