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L’Eglise catholique a-t-elle changé ? C’est, en substance, la question que Leonardo de Chirico a posée à plusieurs reprises début novembre lors d’une tournée en Suisse romande, notamment dans le cadre des conférences organisées par les Eglises réformées baptistes. Vice-président de l’Alliance évangélique italienne et pasteur, Leonardo de Chirico est un fin connaisseur et observateur du catholicisme ; il a notamment consacré son doctorat au concile œcuménique de Vatican II et il est le responsable du site Vatican Files (http://vaticanfiles.org/fr). Alors, l’Eglise catholique a-t-elle changé ? On pourrait grosso modo résumer la réponse de Leonardo de Chirico ainsi : « Seulement en apparence ».

Un catholicisme plus conciliant et accommodant

Selon lui, le catholicisme a traversé trois phases. Il y a d’abord eu l’ère du catholicisme impérial, avec une structure hiérarchique pyramidale et un désir d’être à la fois Eglise et Etat. « Cette ère impériale a donné naissance à un « système », que l’Eglise catholique n’a jamais remis en question », remarque Leonardo de Chirico. Il distingue ensuite un deuxième grand âge, celui du « catholicisme oppositionnel », de la Contre-Réformation, élaboré autour de deux moments-clés : le Concile de Trente, puis Vatican I. « C’est l’âge où l’Eglise catholique exprime officiellement qu’il existe deux sources d’autorité, la Bible et la tradition ; c’est l’âge où le système sacramentel a été renforcé et la papauté davantage sacralisée ».

Pour Leonardo de Chirico, le concile de Vatican II (1962 à 1965) marque un tournant important et fait entrer l’Eglise catholique dans l’ère du « catholicisme conciliant, captivant et accommodant ». « Au lieu de prendre parti contre le monde moderne, Rome a changé de stratégie, décidant de l’assimiler, de le pénétrer de l’intérieur, sans changer pour autant sa propre essence ». C’est la méthode des mises à jour… sans réforme structurelle ; de l’addition de nouveaux éléments… sans retrancher quoi que ce soit. « Cette évolution s’est faite en direction du libéralisme théologique (avec une lecture plus critique de la Bible et un accent sur l’universalité du salut), en direction des évangéliques (avec un accent sur la conversion et la relation personnelle avec Christ), en direction aussi de la théologie œcuménique, de la théologie traditionnaliste et même en direction des autres religions », commente le pasteur réformé baptiste. « Il n’est plus question de confrontation directe, mais de contournement et de pénétration ».

« Le pape François invite tout le monde à sa table »

Le pape François incarne à merveille cette catholicité de Vatican II : « Plaisant et ouvert, il parle tous les langages. Par son intermédiaire, l’Eglise catholique invite à sa table une plus grande diversité de gens et étoffe toujours davantage le menu », analyse Leonardo de Chirico. François entend ainsi favoriser une unité qui ressemble à un polyèdre, une figure géométrique combinant des angles, des surfaces et des distances qui la rendent irrégulière. Pour François, l’Eglise catholique se trouve au centre du polyèdre et s’estime capable de maintenir des relations avec toutes sortes de gens de toutes sortes de religions.

Il y a là une évolution majeure par rapport à la vision catholique d’avant Vatican II. L’Eglise catholique distinguait alors nettement entre ceux qui sont « dedans » (les baptisés et les communiants) et ceux qui sont « dehors » (hérétiques, schismatiques, païens et excommuniés). Cette perspective clivante n’est plus mise en avant. L’Eglise catholique se considère désormais comme LE sacrement : c’est elle qui fait le lien entre Dieu et le genre humain, c’est par elle que l’humanité peut se rapprocher de Dieu. L’Eglise catholique pourrait être comparée au soleil, autour duquel gravitent tous les groupes religieux ou non-religieux, à des distances plus au moins grandes du centre. « L’Eglise catholique a reconfiguré la notion d’unité avec des cercles concentriques ».

Tous, même musulmans et athées, au bénéfice de la grâce ?

Dans cette perspective, le concept même de salut a évolué. Le fameux « en dehors de l’Eglise, pas de salut » n’est plus à l’ordre du jour. Certes, l’Eglise catholique estime détenir la « plénitude de la grâce », par l’intermédiaire en particulier du système sacramentel. Mais chacun, sur la terre, est au bénéfice de cette grâce, à différents degrés, à différentes intensités. Leonardo de Chirico explicite : « Vatican II affirme ainsi que les Juifs n’ont pas besoin de se convertir au christianisme, parce que l’alliance entre Dieu et le peuple juif n’aurait jamais été rompue. Quant aux musulmans, qui étaient « dehors » avant Vatican II, on considère désormais qu’ils prient le même Dieu et ne sont donc pas exclus de la grâce de Dieu. Le pape Jean-Paul a commencé de parler d’eux comme de « frères et sœurs » ; et récemment, François a demandé aux musulmans de prier pour lui ».

Plus loin du centre, les croyants d’autres religions gravitent eux aussi autour de cette même grâce, puisqu’ils ont aussi une notion de Dieu, une recherche spirituelle et une vie de piété : « Ils reçoivent donc la grâce de Dieu, où ils sont et comme ils sont ». Quant aux gens dits de « bonne volonté », ceux qui se comportent d’une manière respectable, ils sont également au bénéfice de la grâce, même lorsqu’ils sont athées. Allons encore plus loin : « Après Vatican II, un des architectes de ce concile, Karl Rahner, a parlé de « chrétiens anonymes », c’est-à-dire des gens qui ne se savent pas chrétiens, ou qui ne veulent pas l’être, mais qui le sont quand même, parce que la grâce de Dieu est localisée dans l’existence humaine elle-même », relève Leonardo de Chirico.

La Réforme n’est pas terminée !

Le discours et les méthodes de l’Eglise catholique ont donc évolué, certes, mais ses fondements théologiques n’ont pas bougé. Leonardo de Chirico rappelle que les deux reproches majeurs que la Réforme a adressés au catholicisme… sont encore des reproches qu’on peut lui faire aujourd’hui. Premièrement, les Réformateurs ont insisté sur le « Sola Scriptura », l’Ecriture seule, et dénoncé l’importance de la tradition dans l’Eglise catholique. « Or non seulement la situation n’a pas changé, mais elle a même empiré », assure Leonardo de Chirico. « La preuve : après la Réforme, l’Eglise catholique a publié trois nouveaux dogmes, pour démontrer qu’elle s’arroge le droit de définir des traditions et d’exercer son autorité au-dessus de la Bible : le dogme de l’Immaculée conception en 1854, celui de l’Infaillibilité pontificale en 1870 et celui de l’Assomption de Marie en 1950 ».

Deuxièmement, les Réformateurs ont martelé que l’on est sauvé par la foi seule : l’Eglise catholique a rétorqué, au Concile de Trente, que nous sommes sauvés par la combinaison de ce que Dieu fait et de ce que nous faisons. Et « le système sacramentel affirme que l’Eglise distribue et infuse la grâce de Dieu à travers les sacrements ».

Une religion du « oui » et du « non »

Leonardo de Chirico remarque donc qu’en définitive le catholicisme est une religion du « oui » et du « non », contrairement à ce que l’apôtre Paul demande des chrétiens en 2 Corinthiens 1,12-21. « Le catholicisme affirme et nie le message biblique en même temps. On dit oui et non à Christ, puisque les prérogatives de l’Eglise empiètent sur ce qui devrait revenir de manière exclusive à Christ. On dit oui et non à la grâce, puisque la nature humaine aurait en elle-même la capacité de s’élever malgré le péché. On dit oui et non à la foi, puisqu’il faut également les sacrements. Et ainsi de suite ».

Le nom même de « catholique romain » nous permet de comprendre ce fonctionnement à la fois rigide et élastique de cette institution : « La catholicité de l’Eglise donne le sens d’une réalité englobante, adaptable. La romanité signifie que cette catholicité sera toujours centrée sur ce pouvoir central, à Rome. C’est là que réside en fait le génie de l’Eglise catholique : si le système n’était que catholique, il mourrait, parce qu’il n’aurait pas de tête et de structure ; si le système n’était que romain, il ressemblerait trop à une armée, à laquelle on ne voudrait pas adhérer. Mais cette combinaison subtile fait partie de l’ADN du catholicisme », résume Leonardo de Chirico.

Focalisation sur des enjeux qui font l’unanimité

Et c’est ce qui donne à l’Eglise catholique sa capacité à rassembler des gens d’horizons si divers. « D’ailleurs, elle souhaite être toujours plus reconnue comme la seule voix qui peut parler au nom de l’humanité ». Le pape François fait aussi preuve de beaucoup de finesse en évitant les sujets trop sensibles, ceux qui pourraient entraver cette unité : « Il marginalise les problèmes éthiques et se concentre sur les problèmes sociaux ou environnementaux, mieux acceptés par l’opinion publique occidentale ». Dans ce contexte, de quelle manière les évangéliques doivent-ils se comporter avec l’Eglise catholique et les catholiques ? Nous tâcherons de répondre à cette question dans un deuxième article.

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