Le décès récent de Robert Badinter, homme politique français ayant contribué à l’abolition de la peine de mort en France en 1981 rappelle la question de la validité de la peine de mort. Les chrétiens devraient-ils soutenir la peine de mort ? Pour examiner les deux côtés du débat, Evangile 21 présente deux essais personnels sur la peine de mort de Matthew Arbo, professeur adjoint d’études bibliques et théologiques à l’Université baptiste d’Oklahoma, et de Charles Nicolas, pasteur des Eglises réformées évangéliques.
Dylann Roof, le suprémaciste blanc qui a assassiné neuf Afro-Américains participant à une étude biblique dans une église, a été condamné à mort par un tribunal fédéral en janvier 2017. Cette condamnation était prévisible. Le crime de Roof était monstrueux. Rares sont ceux qui estiment qu’il ne mérite pas cette condamnation. Pour être honnête, je partage aussi ce sentiment. Pourtant, lorsque j’approfondis ma colère à son égard, je dois admettre que l’exécuter n’arrange pas vraiment les choses ; cela donne seulement l’impression que cela pourrait être le cas. C’est là que réside le nœud du problème. Pour les chrétiens, la justice dans la peine de mort ne consiste pas en un sentiment de satisfaction obtenu par des représailles ou la vengeance, mais en la remise en ordre de ce qui peut vraiment être remis en ordre.
Les chrétiens ne sont pas obligés de soutenir la peine de mort et ne devraient d’ailleurs pas le faire. Les raisons pour lesquelles je m’oppose à la peine de mort sont à la fois philosophiques et théologiques. Je commencerai par les objections philosophiques, que je divise en aspects théoriques et pratiques, avant de conclure par les objections théologiques.
Objections philosophiques
Les défenseurs de la peine de mort font souvent appel à l’importance pour les auteurs de recevoir ce qu’ils méritent, oude leur rendre la monnaie de leur pièce. Cet échange est censé suivre le vieux principe juridique du lex talionis [la loi du talion] – œil pour œil – et donc, dans un sens, « régler » une dette criminelle contractée par le malfaiteur. Maisconsidérer la punition comme un échange – un œil pour un œil – est une erreur. Il est préférable de concevoir la punition comme une représentation symbolique. Si une personne en assassine une autre, le fait de tuer le malfaiteur ne rétablit pas l’état des choses qui existait avant le meurtre. Cet fait est irréparable.
La punition ne peut finalement pas, à elle seule, rétablir un juste équilibre dans la société. C’est une conditionnécessaire mais non suffisante pour l’ordre social. La peine de mort, en tant que forme de punition, ne peut représenter que les crimes violents. Comme dans le cas de Dylann Roof, elle punit symboliquement, en traduisantl’accusé en justice et en informant le public de ce qui s’est passé et de ce qui est fait pour y remédier. La peinede mort ne rétablit pas tant la justice qu’elle ne la respecte.
Ce n’est pas un état de fait passé qui est le plus souhaité, mais plutôt le sentiment profond que les malfaiteurs doivent être punis. Selon l’approche rétributiviste, le but de la punition est simplement de punir. C’est littéralement ce quesignifie le mot « rétribution » et, à bien des égards, la rétribution a une place légitime dans notre code pénal. Cependant, lorsqu’elle est appliquée à la peine de mort, la théorie commence à s’effondrer.
La punition ne peut finalement pas, à elle seule, rétablir un juste équilibre dans la société. C’est une condition nécessaire mais non suffisante pour l’ordre social.
La rétribution ne peut, au mieux, constituer qu’une partie de l’objectif de la peine. Il est tout aussi essentiel que la peine dise la vérité sur le crime, et ce, dans un but pédagogique. Telle est la position de Saint Augustin. Il affirme que le châtiment doit à la fois dire la vérité sur le crime et discipliner l’accusé de manière formative et proportionnée. La peine de mort est unique parmi les châtiments en ce qu’elle est incapable d’atteindre cet objectif pédagogique. Les morts n’apprennent pas de leurs erreurs ni de la discipline imposée. Suggérer que la peine de mort exprime en quelque sorte notre respect sincère pour la vie humaine – l’image de Dieu – est, à première vue, beaucoup trop paradoxal pour être accepté. Pour cette raison et celles exposées ci-dessous, je ne crois pas que Genèse 9:6, qui fait référence à l’effusion de sang pour l’effusion de sang, soit moralement applicable. Le fait que nous soyons les coexécuteurs du Christ est une raison suffisante pour ajuster notre herméneutique sur ce point.
Il est également prouvé que la peine capitale n’a aucun effet dissuasif efficace sur les crimes passibles de la peine de mort. Certains crimes capitaux sont accusés d’avoir été commis sans préméditation ou dans le feu de l’action, et n’ont donc jamais effleuré l’esprit de l’auteur du crime avant qu’il ne les commette. En outre, dans les 14 États où la peine de mort n’est pas appliquée, le taux d’homicide est égal ou inférieur à la moyenne nationale. Les preuves positives de l’efficacité de la peine de mort pour dissuader les crimes violents ne sont pas convaincantes.
Objections pratiques
Permettez-moi maintenant d’aborder brièvement l’aspect pratique, en commençant par quelques statistiques suggestives [NDT : statistiques relevées en 2017] :
- Plus de la moitié des condamnés à mort sont des personnes de couleur.
- Depuis 1977, l’écrasante majorité des condamnés à mort (77 %) ont été exécutés pour avoir tué des victimes blanches, alors que les Afro-Américains représentent la moitié des victimes d’homicide.
- Depuis 1973, 140 condamnés à mort ont été innocentés.
- Presque tous les condamnés à mort n’avaient pas les moyens d’avoir leur propre avocat.
- Depuis 1976, 82 % des exécutions ont eu lieu dans le Sud.
- Sur les 344 personnes innocentées représentées par l’Innocence Project, 20 ont purgé leur peine dans le couloir de la mort. Sur ces 344 disculpations, 71 % concernaient une erreur d’identification par le témoin oculaire, 46 % concernaient une mauvaise application des preuves médico-légales, et 28 % concernaient des aveux faux ou obtenus sous la contrainte.
- Sur ces 344 personnes, les deux tiers étaient des personnes de couleur.
Il ne s’agit là que d’un petit échantillon des problèmes pratiques endémiques du système de justice pénale. Je souhaite souligner, en particulier, les problèmes de représentation des avocats et les préjugés raciaux. Compte tenu de la pression actuelle exercée sur les avocats commis d’office, à la fois en raison de la charge de travail et d’un sous-financement prolongé, il est difficile de voir comment les délinquants violents qui n’ont aucun moyen de payer leur propre avocat sont représentés de manière comparable par un avocat désigné par l’État, aussi intentionné ou talentueux qu’il puisse être. De même, des preuves de plus en plus nombreuses suggèrent que les personnes de couleur reçoivent un pourcentage disproportionné de condamnations à la peine de mort. Ensemble, ces raisons sont suffisantes pour suspendre temporairement la peine capitale au niveau national.
Objections théologiques
Enfin, examinons les objections théologiques à la peine de mort.
Tout d’abord, si l’on souhaite justifier la peine capitale sur la base du principe du lex talionis (œil pour œil) de l’Ancien Testament, il faut démontrer que la mort en tant que mesure punitive est moralement juste, puisque les éléments civils et cérémoniels de la loi ont été accomplis en Christ. Ce faisant, les défenseurs chrétiens de la peine de mort devront également tenir compte des instructions de Jésus dans Matthieu 5:38-41, où il précise que cette interprétation de la loi à des fins de représailles est erronée. Si quelqu’un est victime d’un méfait ou d’une injustice, Jésus implore la tolérance et la charité, rejetant toute interprétation qui justifierait la vengeance. Dans la pratique, il est particulièrement difficile de distinguer la vengeance de la rétribution dans le cadre de la peine de mort. Les autorités gouvernementales sont parfois tenues de recourir à la force pour faire respecter la loi et garantir la paix, bien sûr, mais rien ne les contraint à tuer les délinquants pour ce faire. La même idée est présumée dans la logique de Romains 13 : l’autorité politique peut, mais n’est pas obligée, d’imposer une peine de mort. Le chrétien n’est pas non plus insubordonné ou irrespectueux lorsqu’il plaide pour une clémence mesurée.
Un deuxième point théologique, proposé depuis longtemps par Saint Augustin, est le suivant : une fois que le condamné est mis à mort, il n’est plus éligible à l’évangélisation et à la conversion. La clémence permet de mieux envisager la possibilité d’une renaissance dans le Christ. Elle ne garantit pas la conversion, bien sûr, mais l’exécution réduit certainement les chances. J’ai l’impression que l’Église primitive a pris cette opportunité particulière à cœur.
La foi chrétienne est pleinement et entièrement en faveur de la vie, du début à la fin.
Troisièmement, la foi chrétienne est pleinement et entièrement en faveur de la vie, du début à la fin. Cet engagement a une portée suffisamment large, même pour les condamnés. Tout être humain a une dignité, et personne, pas même le monstre, ne peut perdre totalement sa dignité. Je trouve le prêtre et universitaire anglican britannique Oliver O’Donovan (1945) très instructif sur ce point précis. Si les chrétiens prennent au sérieux la dignité humaine, nous devrions critiquer toute peine qui favorise des attitudes de mépris à l’égard des condamnés. Le code deutéronomique, par exemple, limite le nombre de fois où le coupable peut être fouetté, « afin que ton frère ne soit pas avili à tes yeux » (Deutéronome 25:1-3). L’avilissement se distingue ici de la honte, qui peut à juste titre accompagner la punition, mais l’exécution est un avilissement par définition. Comme le dit Oliver O’Donovan : « Lorsque la souffrance du châtiment devient un objet de curiosité vulgaire et de fascination, voire d’expérimentation, le condamné cesse de compter parmi nous comme un être humain méritant l’amour du prochain, et le respect humain ordinaire semble s’évanouir ».
Lorsque la souffrance du châtiment devient un objet de curiosité vulgaire et de fascination, voire d’expérimentation, le condamné cesse de compter parmi nous comme un être humain méritant l’amour du prochain, et le respect humain ordinaire semble s’évanouir
Telles sont mes objections et mes explications. Je les expose franchement, sachant que beaucoup rejetteront mes arguments avec véhémence. Je comprends ce sentiment. Je vous demande seulement de vous demander si la peine de mort donne réellement aux condamnés ce qu’ils méritent, ou si elle ne fait qu’apaiser la colère, même si elle est justifiée, de ceux qui ont un lien de parenté avec la victime et qui assimilent alors « justice est faite » à « celui qui a tué mon être cher a été tué ».
Beaucoup de prétendues défenses chrétiennes de la peine de mort sont, je le crains, plus utilitaires que théologiques.